Intervention de Didier Migaud

Réunion du 27 mai 2015 à 11h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Comme chaque année, je suis très heureux d'être auditionné par votre Commission, au moment de la publication des travaux que la loi organique relative aux lois de finances – LOLF – commande à la Cour de produire pour le Parlement, en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ces travaux portent respectivement sur les comptes et le budget de l'État en 2014. Consacrés uniquement à l'État pour le dernier exercice clos, ils ne portent pas sur les autres administrations publiques – sécurité sociale et collectivités territoriales. Ils vous apporteront un matériau utile pour l'analyse des comptes et du budget de l'État. Le rapport annuel de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui sera rendu public fin juin, vous apportera des informations complémentaires et actualisées. Il couvrira, lui, l'ensemble des administrations publiques.

Pour vous présenter ces rapports, se trouvent à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de leur préparation, et Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes.

Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées respectivement par Dominique Pannier, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, pour l'acte de certification ; par les équipes animées par Catherine Périn, conseiller maître, Sébastien Justum, auditeur, et Louis-Paul Pelé, rapporteurs, pour le rapport sur le budget de l'État en 2014. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy, conseillers maîtres.

J'aborderai successivement et de façon aussi concise que possible le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail très riche, avant de répondre à vos questions. Mais avant cela, je veux mentionner devant vous une innovation qui a accompagné la publication de ces travaux. Pour la première fois cette année, la Cour des comptes a profité de cette occasion pour mettre en ligne sur son site plusieurs jeux de données publiques, répertoriés sur la plateforme data.gouv.fr. Il s'agit notamment de l'exécution budgétaire de 2012 à 2014, mission par mission, programme par programme, action par action. Il s'agit aussi du bilan et du compte de résultats de 2006 à 2011. Cette mise en ligne permet à tout un chacun d'accéder à ces informations dans un format numérique directement et librement réutilisable, pour réaliser des infographies… ou refaire les calculs de la Cour ! Cette démarche s'inscrit dans une démarche globale de l'État visant à une plus grande ouverture des données publiques, dans le souci de rendre la gouvernance publique plus transparente, conformément à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Depuis 2006, en application des dispositions de la LOLF, la Cour a procédé, à neuf reprises, à un examen approfondi des comptes de l'État. Ces comptes sont arrêtés par le ministre des Finances et intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous est soumis par le Gouvernement.

L'acte qui est porté à votre connaissance aujourd'hui a pour objet de vous fournir une information, une opinion motivée, sur la régularité, la sincérité et la fidélité de l'image que donnent les documents produits par l'État sur sa situation financière.

Trois chiffres-clés, aisés à retenir, permettent d'appréhender synthétiquement le bilan de l'État au 31 décembre 2014 : d'une part, le passif total s'élève à environ 2 000 milliards d'euros ; d'autre part, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d'euros – ainsi, la situation nette de l'État est négative, d'environ 1 000 milliards d'euros ; enfin, les engagements hors bilan de l'État dépassent 3 000 milliards d'euros, pour atteindre 3 400 milliards d'euros.

Au titre de l'exercice 2014, la Cour certifie que les comptes de l'État donnent une image fidèle de sa situation financière. Mais, pour la neuvième fois, elle assortit cette certification de réserves. Elle en formule, cette année encore, cinq, substantielles, qui présentent le même libellé que l'an dernier.

Trois d'entre elles présentent un caractère quasi systémique.

Premièrement, le système d'information financière de l'État, constitué de Chorus et de plus de trois cents autres applications informatiques, reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d'erreurs.

Deuxièmement, les ministères peinent encore à organiser et à piloter de manière satisfaisante leurs dispositifs ministériels de contrôle et d'audit internes.

Troisièmement, la comptabilisation des produits régaliens, c'est-à-dire du produit des impôts, pâtit des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.

Les deux autres réserves substantielles concernent, d'une part, les actifs et passifs du ministère de la Défense et, d'autre part, les immobilisations financières de l'État.

En ce qui concerne les actifs et passifs du ministère de la Défense, des incertitudes persistent sur les inventaires de stocks et de matériels, sur l'évaluation de ces biens et sur le recensement et l'évaluation par le ministère de ses actifs immobiliers.

Pour ce qui est des immobilisations financières de l'État, il n'est pas possible de se prononcer sur la fiabilité de l'évaluation d'un grand nombre de participations financières.

La synthèse qui vous a été remise comporte un tableau retraçant l'évolution des réserves dans le temps. Elle met en évidence les efforts réalisés par l'administration depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, qui ont permis la levée progressive de réserves substantielles – au nombre de treize la première année.

Le fait que les réserves substantielles soient, comme l'année dernière, au nombre de cinq et qu'elles aient le même libellé ne veut pas dire que rien n'a changé sur le fond, ni qu'aucun progrès n'est à enregistrer, ni davantage qu'aucun constat d'audit nouveau n'est apparu. En y regardant de plus près, la stabilité globale apparente cache en réalité une poursuite de la dynamique d'amélioration de ce que l'on appelle parfois la qualité comptable.

La Cour a ainsi constaté de multiples évolutions, qui vont dans le bon sens : trente-sept parties de réserves font l'objet d'une levée dans l'acte ; la moitié de ces levées – dix-sept sur trente-sept – porte sur la réserve n° 4 concernant les actifs et passifs du ministère de la Défense, notamment l'évaluation des stocks de munitions, des biens mis à la disposition d'industriels ainsi que des coûts de démantèlement des réacteurs des sous-marins nucléaires et du porte-avions Charles-de-Gaulle ; d'autres levées interviennent sur des sujets anciens et sensibles, comme l'évaluation de la quote-part de la France au Fonds monétaire international – FMI – ou la comptabilisation des contrats de désendettement et de développement.

En conclusion, la Cour est extrêmement attentive aux efforts consentis par l'administration en matière de gestion comptable et financière. Ils permettent d'accroître la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur, et peuvent être utilisés comme un levier de modernisation de l'organisation et du fonctionnement des administrations.

Nous travaillons en ce moment même sur une publication prévue pour fin 2015 ou début 2016, qui s'efforcera de dresser le bilan, dix ans après, de la mise en place de la comptabilité générale de l'État et des perspectives d'évolution suggérées pour tirer pleinement partie de cette innovation, en particulier dans la gestion publique.

J'en viens au rapport sur le budget de l'État en 2014. Ce travail apporte un éclairage sur les finances de l'État, en analysant l'exécution budgétaire, sous deux perspectives : d'une part, par rapport à l'exécution de l'année précédente, en l'occurrence 2013 ; d'autre part, au regard des prévisions qui figurent dans la loi de finances initiale – LFI – de l'année.

Ce rapport est livré avec cinquante-neuf analyses de la gestion des missions budgétaires, deux analyses de l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, et, nouveauté pour cette année, une analyse des dépenses fiscales. Ce sont plus de deux mille pages, qui vous apportent une information riche, dans la perspective de l'examen du projet de loi de règlement. Le rapport mis en ligne sur le site de la Cour comportera des liens directs vers chacune de ces analyses, pour en faciliter l'exploitation. Je rappelle que ce travail ne traite que du seul budget de l'État en 2014 et non de l'ensemble des finances publiques. Le rapport de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques portera, lui, sur l'ensemble des administrations publiques.

La Cour dresse quatre constats : premièrement, la réduction du déficit budgétaire de l'État a été interrompue ; deuxièmement, la dette de l'État a continué de progresser à un rythme soutenu ; troisièmement, les recettes fiscales se sont de nouveau révélées inférieures aux prévisions ; quatrièmement enfin, les dépenses de l'État ont été stabilisées, moyennant toutefois des opérations budgétaires contestables.

La Cour constate donc en premier lieu que la réduction du déficit budgétaire, amorcée depuis 2010, a été interrompue en 2014. Ce déficit, de 85,6 milliards d'euros, est en hausse de 10,7 milliards par rapport à 2013. Il représente plus de trois mois de dépenses du budget général.

On pourrait penser que ce sont les dépenses exceptionnelles, notamment le lancement du deuxième programme d'investissements d'avenir – PIA –, qui sont responsables de cette hausse. Ce n'est pas le cas : même retraité des dépenses exceptionnelles, le déficit augmente de 5,5 milliards d'euros par rapport à 2013.

En réalité, la croissance et l'inflation, plus faibles que prévu, ont affecté fortement l'exécution du budget. D'une part, les prévisions de recettes ont été trop optimistes : les recettes totales nettes, après remboursements et dégrèvements d'impôts, ont, pour la première fois depuis 2009 et de façon inhabituelle, baissé de 6 milliards d'euros par rapport à 2013. D'autre part, les ajustements en dépenses ont été trop tardifs et insuffisants pour contenir le dérapage du solde budgétaire. Ainsi, les dépenses nettes du budget général ont augmenté de 4,2 milliards d'euros.

En deuxième lieu, la Cour observe que la dette de l'État a continué de progresser à un rythme soutenu en 2014. Fin 2014, elle atteignait 1 528 milliards d'euros, contre 1 457 milliards d'euros fin 2013. Il s'agit d'une augmentation de 71 milliards en un an. Par voie de conséquence, l'État a connu un besoin de financement total, avec le renouvellement des emprunts arrivant à échéance, de 179 milliards d'euros, montant supérieur aux prévisions. À noter d'ailleurs que ce montant sera plus important encore pour 2015, puisqu'il s'élèvera à 188 milliards d'euros, montant inégalé d'émissions de titres de dette, qui s'explique notamment par l'arrivée à échéance des emprunts contractés au plus fort de la crise.

La charge de la dette, qui s'est élevée à 43,2 milliards d'euros en 2014, continue à baisser. Elle représente 1,7 milliard d'euros de moins qu'en 2013, grâce à des taux d'intérêt exceptionnellement bas. Mais il ne faut pas s'y tromper : les taux d'intérêt nominaux très bas ne garantissent pas la soutenabilité de la dette. En 2014, pour seulement stabiliser le poids de la dette dans le PIB, il aurait fallu limiter le déficit à 11 milliards d'euros, soit sept à huit fois moins que le niveau constaté – 85,6 milliards d'euros. Il faut a fortiori veiller à ce que ces taux d'intérêts bas n'agissent pas comme des anesthésiants, empêchant l'État de prendre les décisions propres à restaurer la crédibilité de nos finances publiques. Le réveil n'en serait que plus douloureux.

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