Intervention de Laurent Collet-Billon

Réunion du 26 mai 2015 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

Je vous remercie de votre invitation. Le mécanisme d'actualisation, inscrit dans le corps de la LPM, permet de vérifier, avant la fin de la deuxième année d'exécution, l'adéquation entre les objectifs et les réalisations et d'affiner, si nécessaire, les orientations en fonction de l'évolution du contexte.

Cet exercice m'apparaît indispensable à double titre. En premier lieu, la construction de la LPM ne fut pas simple car il s'agissait de conjuguer souveraineté stratégique et souveraineté budgétaire dans un contexte économique marqué par l'impératif de redressement des finances publiques. Il a fallu également concilier les besoins d'équipement des forces armées, à court ou moyen terme, avec ceux du maintien à long terme de la base industrielle et technologique de défense, maintien qui impose notamment d'alimenter l'activité des bureaux d'études avec des programmes nouveaux dont les forces ne profitent que plus tard.

La LPM repose sur la concrétisation d'hypothèses audacieuses. La première est la réussite de la renégociation de la plupart des grands contrats d'armement en cours, renégociation rendue inévitable par la révision à la baisse des projections financières pour 2014-2019 par rapport à la précédente LPM. Le réalisme budgétaire a conduit à diminuer de 40 % environ les flux de paiement des programmes à effet majeur. Deuxième hypothèse : la conquête de marchés à l'export, en particulier pour le Rafale. La viabilité de la LPM suppose en effet que la France ne prenne livraison d'aucun Rafale entre mai 2016 et la fin de la période de programmation, ce qui rendait nécessaire, selon les prévisions de fin 2013, deux contrats à l'exportation avant la fin de 2014 ; en réalité, ce sont 26 Rafale qui seront livrés à nos forces, sur les 66 dont la production est prévue sur la durée de la programmation. La troisième hypothèse est la disponibilité des ressources exceptionnelles (REX), qui constituaient une part significative des ressources prévues sur la période de programmation pour les programmes à effet majeur.

D'autre part, la LPM a maintenu nos ambitions stratégiques sur les missions fondamentales - dissuasion, protection du territoire et intervention sur les théâtres extérieurs -, tout en se fondant sur des hypothèses de réduction de l'activité en opérations extérieures par rapport aux années précédentes. Or l'année 2014 a vu, tout au contraire, le déclenchement ou la montée en intensité de plusieurs opérations extérieures, sur des théâtres divers – le général de Villiers l'a certainement évoqué devant vous. Sur le plan des matériels, ces opérations ont fait apparaître, ou rendu plus urgents, des besoins capacitaires auxquels il faudra répondre, en particulier pour les forces spéciales.

Par ailleurs, les événements survenus le 7 janvier dernier conduisent nos forces armées à être présentes de manière massive sur le territoire national.

J'en viens au bilan de l'exécution des seize premiers mois de la LPM ; j'aborderai ensuite les enjeux de son actualisation pour les équipements.

Pour ce qui concerne le programme 146, l'exécution des seize premiers mois de la LPM a été conforme aux prévisions. En particulier, les principaux programmes ont été lancés comme prévu, qu'il s'agisse de Scorpion, des avions MRTT – Multi Role Tanker Transport –, du missile M51.3 ou du programme de capacité de renseignement électromagnétique spatiale, CERES. Les autres commandes majeures, comme le quatrième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, ont été passées. On note cependant un décalage dans la commande du deuxième système de drones MALE – Moyenne altitude longue endurance – Reaper : cela tient au fait que nous n'avons reçu que très tardivement l'offre américaine, arrivée il y a moins d'une semaine à notre ambassade. Cette commande fait l'objet d'un contrat FMS – Foreign military sale.

Pour ce qui concerne les paiements, le report de charges, sur le programme 146, se montait à 2,3 milliards d'euros à la fin de 2013, en raison des ultimes annulations de fin d'année : rapporté à un programme de 10 milliards, ce chiffre est évidemment significatif. Malgré des annulations, le niveau était le même à la fin de 2014, et ce grâce à une gestion prudente des engagements tout au long de l'année. En l'absence de nouvelle annulation et sous réserve d'obtention de l'ensemble des crédits prévus pour 2015, le report de charges devrait même connaître une légère amélioration à la fin de l'année, grâce aux crédits supplémentaires, d'un montant de 250 millions d'euros, obtenus fin 2014 via le plan d'investissements d'avenir (PIA).

Quant aux études amont du programme 144, l'effort a été maintenu, avec un niveau d'engagement de 782 millions d'euros, pour 714 millions de paiements. En 2015 les ordres de grandeur devraient rester analogues, pour peu, bien entendu, que la réserve de précaution du programme soit levée en fin d'année. De fait, le maintien du niveau de nos investissements en recherche et technologie est indispensable pour assurer la compétitivité de notre industrie de défense ; nous en voyons les bénéfices dans les performances actuelles des équipements, tant à l'exportation que pour nos armées.

S'agissant des renégociations de contrats, les calendriers de livraison de programmes en cours de réalisation – avions de transport A400M, hélicoptères NH90 et Tigre, Rafale, frégates multi-missions (FREMM) et sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda – ou la cible de certains programmes en cours, comme le système d'équipement du fantassin FELIN, ont été revus afin de dégager des marges de manoeuvre financières pour lancer de nouveaux programmes ou répondre à des besoins capacitaires. Cela s'est traduit concrètement par des étalements de commandes et de livraisons.

Ces renégociations, qui n'ont pas été simples, ont, pour la plupart, abouti avant la fin de 2014, grâce à l'action de mes équipes de direction de programmes, mais aussi à l'attitude constructive des industriels ; certaines d'entre elles concernaient des programmes menés en coopération, tels que l'A400M, le Tigre ou le NH90. L'enjeu était alors de ne pas induire de surcoûts sur les équipements produits par nos partenaires ou provoquer des modifications importantes dans le partage industriel, car il aurait fallu prendre ces dépenses à notre charge. Cela a pu être obtenu.

Quant aux exportations, le montant des commandes s'élève à 8,2 milliards d'euros en 2014, soit une hausse de plus de 19 % par rapport à 2013. Par ce résultat exceptionnel, la France consolide sa position parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux. La qualité des matériels français est reconnue par les forces armées du monde entier. Les résultats, en 2015, devraient être bien meilleurs encore.

En 2014, notre principal client a été l'Arabie saoudite, avec 50 % des contrats entrés en vigueur, du fait des contrats conclus avec la Garde nationale du Royaume et du financement consenti à l'armée libanaise pour l'acquisition de matériels français, dans le cadre du contrat « DONAS » – Donation Arabie saoudite. S'y ajoute le contrat portant sur les satellites d'observation au profit des Émirats arabes unis. Pour ce qui concerne la zone Afrique, rappelons le contrat signé avec l'Égypte sur les corvettes Gowind. En revanche, contrairement aux prévisions de la LPM, le premier contrat d'exportation du Rafale n'a pu être conclu en 2014, ce qui nous a conduits à renégocier avec Dassault le report de la date butoir initiale, à la faveur de mécanismes de rappel : nous sommes désormais confiants – et plus encore depuis la signature des derniers contrats – sur la bonne exécution de la LPM en ce domaine.

La situation s'est fortement améliorée au début de 2015 : les contrats signés avec l'Égypte et le Qatar, l'annonce de trente-six avions pour l'Inde et d'autres prospects nous rendent optimistes quant à l'atteinte de la cible d'exportation prévue en LPM pour le Rafale. Il en résulte, bien entendu, des négociations complexes avec l'industrie, pour déterminer l'incidence précise des exportations sur la production destinée à l'armée française : la question commence à susciter des inquiétudes du côté de l'armée de l'air mais il était important de dégager la LPM de cette épée de Damoclès que représentait l'exportation du Rafale.

En ce qui concerne la coopération, l'année 2014 a été marquée par la concrétisation de plusieurs partenariats en matière d'armement, en particulier avec le Royaume-Uni : je pense au démonstrateur de drone de combat FCAS – Future Combat Air System –, au lancement du programme de missile antinavire léger et au lancement des études relatives au futur système de guerre des mines. En 2015, nous devrions voir se concrétiser la coopération avec l'Allemagne sur le programme MUSIS – Multinational space-based imaging system for surveillance, reconnaissance and observation – ainsi qu'une coopération trilatérale sur un drone MALE européen.

J'en viens au contenu de l'actualisation. Celle-ci repose sur plusieurs piliers, à commencer par une moindre déflation des effectifs de la mission « Défense ». Cette atténuation, à hauteur de 18 750 équivalents temps plein (ETP), a un coût – en titre 2 (T2) et hors T2 – de 2,8 milliards d'euros sur la période 2016-2019.

Deuxième pilier : l'achat d'équipements nouveaux, pour 1,5 milliard, et un effort sur l'entretien programmé des matériels (EPM) de 500 millions sur la période. Sur ce total de 2 milliards, la moitié provient de crédits budgétaires supplémentaires, et l'autre moitié du redéploiement de crédits qui seront économisés d'ici à 2019 grâce au ralentissement de la progression des indices économiques, conformément aux conclusions du rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Contrôle général des armées (CGA) s'agissant du coût des facteurs.

Le troisième pilier, enfin, est la disparition des recettes exceptionnelles inscrites au programme 146 : elles seront intégralement remplacées par des crédits budgétaires.

Je me focaliserai sur les principales mesures capacitaires d'actualisation de la LPM, sans commenter les mesures relatives aux effectifs et à l'EPM, qui impactent les autres programmes budgétaires de la mission « Défense », comme le 178 ou le 212.

La LPM a fixé, pour la marine nationale, une cible de quinze frégates de premier rang. Compte tenu de la difficulté de renégociation du contrat FREMM, qui portait sur onze frégates en tranche ferme, il était prévu un réexamen du type des trois dernières frégates en 2016. Or l'exportation d'une FREMM vers l'Égypte, prélevée sur la série française, a conduit à avancer la livraison d'une FREMM à 2019 – afin de respecter le contrat capacitaire dans les meilleurs délais – et, surtout, à définir une feuille de route pour les frégates : le nombre de FREMM a ainsi été fixé à huit et le lancement du programme de frégates de taille intermédiaire (FTI) a été anticipé, la première livraison étant prévue en 2023. Voilà qui sécurise à la fois la production à Lorient et les bureaux d'études de DCNS et de Thales dans le domaine naval.

Les opérations conduites au cours des derniers mois ont également montré l'importance croissante des hélicoptères, mais aussi leurs conditions d'emploi très sévères sur certains théâtres, lesquelles ne sont pas sans conséquences sur leur disponibilité. C'est pourquoi il a été décidé de revoir à la hausse les cibles des deux programmes majeurs d'hélicoptères : sept Tigre supplémentaires seront acquis, ainsi que six NH90 en version terrestre.

Le vieillissement de la flotte d'avions de transport tactiques, en particulier les Transall et les C-130, est une préoccupation sensible, alors même que l'A400M rencontre les difficultés que l'on connaît. Cela conduit à envisager l'acquisition de C-130, a priori d'occasion, dont certains permettraient le ravitaillement en vol des hélicoptères. Cette fonction est en effet importante en Afrique, dans la mesure où la méthode actuelle de ravitaillement, au sol, sur des terrains sablonneux, est agressive pour les moteurs. Par ailleurs, certains des C-130 seront équipés de missiles pour les besoins des forces spéciales. Je rappelle, d'ailleurs, que les C-130 actuels ont tous été acquis d'occasion. En tout état de cause, la réflexion en ce domaine sera menée d'ici à la fin de l'année.

L'actualisation de la LPM contient d'autres mesures issues du retour d'expérience des opérations en cours, comme l'acquisition d'un « lot OPEX » supplémentaire pour les Rafale, de vingt-cinq pods de désignation laser de nouvelle génération supplémentaires, ou encore, pour l'armée de terre, d'une régénération du potentiel des véhicules blindés légers (VBL), qui sont notoirement à bout de souffle. Enfin, l'acquisition du troisième satellite MUSIS est rendue possible par la coopération avec l'Allemagne, qui en paiera la plus grande part. Nous aurons aussi accès au système allemand d'observation radar SARah, et bénéficierons de capacités de revisite accrues sur nos objectifs.

Dans le domaine de la sauvegarde maritime, enfin, il est prévu d'acquérir au total quatre BSAH – bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers – en patrimonial et quatre B2M – bâtiments multi-missions –, contre, respectivement, deux et trois bâtiments initialement prévus dans la LPM.

Comme je l'ai indiqué, le financement des acquisitions d'équipements est assuré par un surcroît de 500 millions d'euros de ressources budgétaires et par le redéploiement, à hauteur de 1 milliard d'euros, de crédits internes à la mission « Défense » – hors dissuasion, études amont et EPM. Ces redéploiements sont rendus possibles par le ralentissement de l'inflation qui dégage quelques marges. En effet, la LPM a été élaborée en euros courants, avec un principe d'auto-assurance pour le ministère de la Défense : cette disposition est de facto abandonnée dès que les circonstances s'y prêtent.

La décision de redéployer ces crédits ne laisse aucune marge en cas de reprise de la progression des indices économiques : à défaut d'obtenir dans ce cas un abondement des crédits du programme 146, il faudrait inévitablement redéfinir une partie du contenu physique de la LPM. En outre, ces redéploiements constituent une prise de risque sur les conditions de lancement des opérations puisque, pour une part significative, ils reposent sur les enveloppes financières des programmes futurs, lesquels n'ont pas encore de contenu précis et ne font donc pas l'objet de devis.

Je termine par quelques mots sur le modèle de la DGA. Celle-ci est bien entendu partie prenante des travaux d'actualisation de la LPM ; ses missions demeurent inchangées, mais elle est très fortement impliquée dans le développement des activités liées à la cyberdéfense et au renseignement. La DGA, qui compte environ 60 % d'ingénieurs, aura à faire face à 2 000 départs d'ici à 2019. Il lui faudra donc recruter massivement : un contingentement en ce domaine pourrait conduire à une déflation excessive des effectifs et, par conséquent, à une incapacité à assurer certaines missions. Je ne revendique aucune part dans l'atténuation de 18 750 ETP : je plaide seulement pour le respect de la trajectoire prévue. Des personnels supplémentaires au service de la cyberdéfense seraient évidemment bienvenus.

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