Intervention de Patrick Drahi

Réunion du 27 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Drahi, président-directeur général d'Altice :

La question sur le malaise des salariés est sans doute la plus importante, parce qu'une entreprise est constituée de salariés qui travaillent pour développer des services qui sont vendus à des clients.

Créée en 1993 et filiale d'un grand groupe distribuant de l'eau, SFR a connu dix-neuf ans de croissance ininterrompue, essentiellement financée par le développement du marché du mobile ; elle a investi dans le fixe très tardivement en rachetant une entreprise de taille plus modeste, le groupe LDCom qui lui-même avait racheté Neuf Télécom. SFR était donc considérée comme un challenger et une énorme machine à générer du cash – et qui servait fort bien son actionnaire chaque année.

En 2012, l'arrivée de la concurrence dans le secteur du mobile a provoqué un tsunami. Les prix se sont écrasés, ce qui a provoqué certains dégâts sur les salariés de SFR car l'entreprise était habituée à vivre dans l'opulence et la générosité des dividendes monstrueux versés chaque année. Alors qu'elle dégageait 4 milliards de cash par an en 2011, elle était tombée à 2,2 milliards lors de sa reprise par Numericable en 2015 – nous avons clôturé l'affaire le 27 novembre 2014. L'entreprise n'avait plus de stratégie, elle perdait des clients tous les jours et beaucoup d'argent.

Quant aux investissements de SFR au cours des quinze dernières, de l'ordre de 1,5 milliard par an, ils étaient plus au moins constants. Or la beauté du mobile est qu'une nouvelle technologie apparaît tous les quatre ans : après Radiocom 2000 dans les années quatre-vingt-dix, on a eu le GSM, puis la 2G, la 3 G, la 3 G + le EDGE, la 4G, la 4G + on aura bientôt la 5G à laquelle se prépare le nouveau groupe Nokia Alcatel Siemens. Et dans les laboratoires on pense déjà à la 6G ! Du coup, on essaie de vous vendre un appareil mobile tous les trois ans pour être sûr que vous continuiez à dépenser de l'argent pour mettre à niveau votre technologie.

Quand une entreprise commence à dévisser suite au tsunami, en passant en deux ans de 4 milliards de résultat à 2,2 milliards, avec des investissements bon an mal an de 1,5 milliard, il ne lui reste plus que 700 millions. Et quand cette entreprise a l'habitude de verser 1,5 milliard à son actionnaire par an, cela pose un petit problème… Et ce n'est pas nous qui l'avons créé.

Mais ce problème en a entraîné deux autres. D'abord, le malaise des salariés qui se sont soudainement vus passer d'une entreprise leader, en plein développement, à une entreprise qui commençait à perdre de l'argent et, surtout, qui n'investit plus. Ensuite, les problèmes de qualité : il faut bien reconnaître que SFR n'était plus le challenger technologique du marché du mobile, son actionnaire ayant décidé de ralentir les investissements.

Ces problèmes de qualité, on les connaissait bien dans le secteur du câble : souvenez-vous de ce que c'était à Paris, où l'entreprise n'arrêtait pas de changer de nom, parce que cela ne marchait jamais ! Ces problèmes, nous les avons réglés. Depuis huit ans, cela s'appelle Numericable et nous avons la meilleure qualité de service de tous les opérateurs.

La qualité technique sur le réseau SFR n'était plus à la hauteur. Que fait-on quand un champion comme l'OM ou le PSG est rétrogradé en troisième division en gardant les mêmes joueurs, puisqu'on s'est engagé à maintenir les emplois ? On n'a pas d'autre choix que de changer l'entraîneur et le capitaine de l'équipe. C'est ce que j'ai fait : j'ai changé tout le management, et en une semaine. Parce qu'on ne fait pas du neuf avec de l'ancien, on ne gagne pas avec des gens qui depuis trois ans ne gagnent pas. Pour les salariés, évidemment, cela change. Au début, ils sont plutôt contents : ils en avaient marre de l'ancien chef, qui les amenait progressivement dans le mur. Mais ce nouveau chef a une façon de voir les choses un peu différentes. La première chose que je leur ai dite, c'est : on est chez nous, c'est votre entreprise, vous pouvez entrer au capital si vous souhaitez investir, on n'ira pas dans le mur. Enfin, j'ai repensé la stratégie de A à Z en décidant d'orienter l'entreprise vers le fixe. Pourquoi ? Parce que c'est le fixe qui fera la différence, sachant que 70 % de nos usages se font à partir d'un lieu fixe ; et le fixe, ce n'est pas le 2G, le 3G, le 4G, c'est la fibre, point barre ! Et au département commercial, la bonne stratégie n'est pas de se battre pour garder des clients : il faut se battre pour offrir mieux au client. Ce n'est pas en cassant les prix qu'on le gardera : c'est le cercle vicieux infernal, où tout le monde descend à l'étage d'en dessous, qui n'est pas loin du sous-sol… Et qu'offre-t-on de plus au client ? Le très haut débit fixe. SFR est passée d'une entreprise de bradage de mobiles à une entreprise de montée en puissance dans le très haut débit. Cela tombe bien : c'est justement le plan du Gouvernement ! C'est grâce à Numericable-SFR que les 12 millions de foyers en France seront effectivement équipés en très haut débit en 2017. Jamais cet objectif n'aurait pu être tenu avec le SFR de l'époque ou n'importe quel autre acteur.

Certes, les salariés ne sont pas heureux, mais les choses s'améliorent : ceux qui parmi vous sont sur SFR – j'espère que vous êtes nombreux – ont pu s'apercevoir que le réseau marche beaucoup mieux dans Paris.

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