Intervention de Patrick Drahi

Réunion du 27 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Drahi, président-directeur général d'Altice :

Vous avez eu raison de mettre Orange sur le mobile parce que SFR a connu des problèmes de qualité. Vous reconsidérerez votre décision dans un an quand tout fonctionnera parfaitement bien. Dans certaines villes de province, le problème n'est pas encore réglé, mais on ne peut pas régler un problème technologique en trois mois ! Nous investissons massivement, d'autant plus qu'avec le même argent, nous en faisons plus. Imaginiez que vous faites venir un peintre qui vous réclame 10 000 pour repeindre un mur alors que vous savez que cela ne vaut que 5 000, et que vous arriviez à le payer seulement 5 000, cela ne signifie pas nécessairement que vous ne dépenserez que 5 000, mais que vous allez faire repeindre deux murs au lieu d'un… Notre stratégie est de payer le juste prix pour investir davantage

Les fournisseurs et les sous-traitants qui nous suivent sont les vrais bons – je ne dis pas que les autres sont les vrais mauvais, mais ce ne sont pas forcément les meilleurs. Les vrais bons nous suivent et viennent à l'international. Dans tous les pays où j'investis, j'ai amené les équipementiers, les fournisseurs de prestation de service français. Ce n'est pas parce que je veux faire de la politique : c'est tout simplement parce que j'avais commencé en France, et que tous mes contacts étaient français… Ainsi, quand je suis arrivé en Israël, en République dominicaine et au Kenya, j'ai amené Sagem pour les décodeurs, j'ai amené Webhelp pour les call centers : tous ces gens-là ont ouvert leur business dans ces pays où ils n'étaient pas présents.

Évidemment, certains ne veulent pas bouger, et pour cause : ils étaient habitués à se servir sur une entreprise qui gagnait 4 milliards par an. Mais tout cela, c'est terminé. La concurrence a obligé à remettre en question certains modèles. Les fournisseurs qui ont accepté de travailler avec nous dans une logique de modernisation, de numérisation, s'en trouvent fortement récompensés aujourd'hui car ils font plus de business. Ils gagnent peut-être proportionnellement moins d'argent, mais ils en gagnent au bout du compte davantage parce que leur business est beaucoup plus gros. Faites le calcul : mieux vaut faire 20 % de marge sur 100 euros de chiffre d'affaires que 40 % sur 40 euros de chiffre d'affaires !

Cette nouvelle dynamique va créer des emplois en France, mais aussi à l'étranger pour les collaborateurs français. Car le vivier naturel de nos managers est en France. Ces managers, qui avaient un tempérament de perdant au cours des trois dernières années, sont très heureux d'avoir une carrière internationale aujourd'hui.

Voilà ce que nous offrons à nos collaborateurs et à nos sous-traitants.

Certes, nos méthodes de gestion sont différentes de celles des autres, car nous avançons assez vite. Moi, quand je fais une réunion, je prends une décision tout de suite, quitte à organiser une deuxième réunion le lendemain si la décision n'est pas bonne. Rien ne sert de tenir des réunions à l'issue desquelles la décision est d'organiser une autre réunion pour savoir ce qu'on va décider ! Les choses vont donc vite avec moi, mais les gens apprécient. Je peux vous dire que les collaborateurs de SFR qui sont en contact direct avec nos équipes sont beaucoup plus heureux qu'avant.

Reste à faire descendre cette dynamique positive au niveau des 17 000 collaborateurs. Cela prend du temps, cela ne peut pas se faire en trois mois. Nous y travaillons en essayant de conserver la meilleure ambiance, tout en maintenant les emplois, comme nous nous y étions engagés.

Une de vos questions sur les sous-traitants portait sur les conditions de paiement. Auparavant, SFR était une sorte de « fille à papa » qui dépensait de l'argent toute la journée sans payer les factures, car le cash était absorbé au quotidien par la maison mère. À la fin du mois, la fille à papa envoyait le relevé de la carte bleue à la maison mère qui payait rubis sur l'ongle sans regarder les dépenses de la jeune princesse. Mais aujourd'hui, le papa a changé, et ma fille ne se conduit pas comme cela. Avant de payer, je vérifie ses dépenses, et cela prend du temps. À notre arrivée, une centaine de personnes pouvaient dépenser chaque jour entre 100 000 et 10 millions, ce qui fait 12 milliards à la fin de l'année : j'appelle cela un bateau ivre ! Pour remettre de l'ordre, nous avons retiré les pouvoirs d'engagement à l'ensemble des collaborateurs : c'était la seule façon pour nous de savoir ce qui se passait. Deuxièmement, quand un sous-traitant me présente la facture des dépenses de la jeune fille, je prends le temps de vérifier. Vous l'avez compris : nous sommes en train de remettre les choses au carré. Pour être parti de zéro, je sais ce que signifie gérer le cash d'une petite entreprise qui recrute son premier salarié, puis son deuxième salarié. Nous n'avons planté personne – je n'ai jamais planté personne de toute ma carrière. Certes, le processus a pris un peu de temps, car il s'agit d'une entreprise de 17 000 salariés qui dépensait 12 milliards par an. Cela a créé des tensions, et d'abord avec ceux qui n'acceptaient pas de se moderniser dans la façon de traiter la tâche, mais il n'y a pas de problème de fond. J'ajoute qu'il n'y a aucun impayé : s'il y a des retards de paiement, c'est parce que nous n'avons pas eu le temps d'étudier l'affaire, mais nous ne sommes pas les seuls – d'autres en France ont des retards de paiement, y compris à notre égard.

Bonne nouvelle, donc, pour le sous-traitant : premièrement, il est payé ; deuxièmement, nous connaissons son état financier et ne le mettons jamais en difficulté. Ceux qui se sont évertués à se faire entendre via des journaux sont les filiales des très grands groupes, qui n'ont pas de problème de cash, mais davantage un problème de gestion interne parce qu'ils n'arrivent pas à se moderniser. On ne gère pas un réseau mobile en 2015 comme on le gérait en 1993.

Troisième question, très importante : la couverture fibre en France. Vous avez évoqué l'accord de partage de la zone AMII entre SFR et Orange, de 20 % – 80 %. SFR va-t-elle remplir son engagement de couverture sur cette zone pour 2,5 millions de foyers ? La réponse est oui, mais conformément à ce que nous a autorisé l'Autorité de la concurrence – qu'il faut du reste féliciter pour son travail remarquable sur ce dossier extraordinairement technique. Nous tiendrons cet engagement, donc, à l'exception des zones où un réseau câblé est déjà en place, car il s'agit d'éviter un double investissement au même endroit.

Nous tiendrons donc notre engagement sans aucun problème. Mais moi, je souhaite en faire plus. Pourquoi n'aurions-nous que 10 % du territoire national quand l'opérateur historique en aurait 90 % ? Vous allez me dire que je ne sais pas compter… En fait, sur 20 millions de foyers zone dense et zone AMII, Orange est en train d'en faire 18 millions, et on me demande si je suis d'accord pour en faire 2 millions. Non seulement, je suis d'accord, mais je suis d'accord pour en faire beaucoup plus, et j'en ferai beaucoup plus ! Du coup, cela permettra à Orange d'en faire un peu moins où elle avait prévu d'en faire et inversement, ce qui est une bonne nouvelle pour les finances du pays – ou pour les finances de France Telecom, ce qui revient un peu au même à hauteur de 26 %… En clair, l'investissement que ferait SFR au-delà de ce qui était prévu va faire économiser de l'argent à Orange ; et cet argent, Orange pourrait le redéployer dans d'autres zones de France. On parle de milliards ! Vous cherchez des économies pour équilibrer les comptes de la nation : moi, je vous ai trouvé 2 milliards et personne ne veut les prendre !

Je reviens sur la régulation. Monsieur le président, le plan câble n'a pas été un succès économique pour le pays. Il faudrait éviter de faire le plan fibre ! Il ne faut pas dire non à ceux qui souhaitent investir dans l'infrastructure au prétexte qu'on a donné l'exclusivité à l'ancien monopole ! Le développement des investissements permettra de créer des emplois et d'abord chez les sous-traitants.

Je rebondis sur la dette. SFR-Numericable a dégagé, dès le premier trimestre, des centaines de millions d'économies, qui deviendront d'ici à quelques mois des milliards que nous allons réinvestir – nous ne les utiliserons pas pour verser des dividendes. À la fin du premier trimestre, la dette de SFR-Numericable s'élevait à 10,5 milliards, pour un EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) annualisé de l'ordre de 3,8 milliards, soit un ratio inférieur à trois. Quand vous parlez de la dette de France Télécom, il faut rajouter les leasings, plus les liabilities au titre des retraites : son endettement est donc proche, voire supérieur au nôtre. Et quand vous rajoutez les 1,5 milliard de dividendes versés chaque année aux actionnaires, vous voyez que mes capacités financières en France sont voisines, voire supérieures à Orange. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi je devrais n'en faire que 20 % – ou 10 % comme je vous l'ai expliqué. Je veux donc en faire 50 %. Cela passe-t-il par une renégociation des accords ? Je ne renégocie rien du tout, je dis simplement que je veux en faire plus. Les retards sont liés au gel des investissements sous la période précédente ; mais aujourd'hui, la cadence de modernisation de notre réseau et d'extension en fibre optique sur nos zones non couvertes est la plus élevée de France.

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