Intervention de Patrick Drahi

Réunion du 27 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Drahi, président-directeur général d'Altice :

La concurrence est bénéfique pour le consommateur : si 80 % du territoire est chez France Telecom, où est la concurrence ? Si je me retrouve à payer un plan fibre, comme le contribuable, en fait, s'est retrouvé à payer le plan câble, cela ne peut pas marcher, car on se retrouverait dans un monopole ! Je préfère investir et être chez moi, car je bénéficie intégralement de mon choix technologique et d'investissement, et j'ai les moyens de le faire. Cela est également bénéfique à Orange qui, du coup, dégage des moyens soit pour vous verser plus de dividendes, soit pour investir davantage en France afin de couvrir les zones blanches, soit pour investir à l'international. Il serait bon que deux, trois ou quatre acteurs des télécoms français investissent à l'international. On ne parle que de moi, mais j'aimerais qu'on parle des autres ! Pourquoi n'investissent-ils pas ? Le problème n'est pas que j'investis beaucoup à l'international, c'est que les autres n'investissent pas suffisamment à l'international.

Vais-je participer aux enchères des fréquences 700 MHz ? Je vais vous faire plaisir : oui, je vais le faire, parce que c'est un devoir national pour moi, parce que je ne peux pas gagner de l'argent sans l'investir dans le système. C'est un peu comme pour Libération : vous avez besoin de cette bande, et je participerai. Pour autant, ai-je besoin de ces fréquences ? Je ne le pense pas. Si les ingénieurs aiment avoir des fréquences, des fibres optiques, des stocks qui ne servent à rien, moi, je n'ai pas besoin de ces fréquences pour les dix ans à venir – le spectre de fréquences détenu par SFR actuellement est suffisant. Mais comme ceux qui participeront aux enchères, je mettrai l'argent sur la table, nous avons le cash flow nécessaire. Le ministre a exprimé une préoccupation légitime, et j'ai déjà indiqué à l'ARCEP que nous paierons ce qu'il faudra pour avoir notre quote-part des fréquences.

Vous m'avez parlé de la consolidation des équipementiers. En fait de regard, j'ai surtout les larmes aux yeux… En 1987, j'ai déposé des brevets dans la fibre optique au nom de la Compagnie générale d'électricité, devenue Alcatel qui elle-même est devenue Nokia. C'est l'Europe, c'est très bien, mais ce n'est plus Alcatel… Ça me fait mal, mais si on est arrivé là, c'est parce qu'on s'est planté sur la technologie et l'internationalisation. La bonne nouvelle est qu'on achète beaucoup chez Nokia Siemens. En Israël, j'ai choisi Nokia Siemens, car certains équipementiers posent problème. En France aussi, nous travaillons beaucoup avec Nokia Siemens, Alcatel aussi, et cela permettra d'alimenter les équipes qui, j'espère, resteront en France. Cette consolidation a été inévitable, surtout face aux Chinois, qui ont une santé incroyable. La Chine a choisi le DVB, norme européenne de télévision numérique, mais aussi le GSM, la norme de téléphonie mobile pour l'Europe. Nous nous sommes fait totalement déborder, pour la simple raison qu'à Pékin ou à Shanghai, les gens bossent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ! Dans ces conditions, le retard est vite rattrapé ! Le problème est là, et uniquement là ! Car nous sommes beaucoup plus intelligents, nous avons de meilleures écoles. Aux États-Unis, c'est la même chose : je n'ai aucun complexe face à un ingénieur américain, un manager américain ou un banquier américain, à ceci près que le gars prend deux semaines de congé par an ! Je ne dis pas que nous devons renoncer à nos vacances, mais le résultat des courses est celui-là : nous nous sommes fait déborder et cela va continuer.

L'Europe des quinze comptes 120 opérateurs pour 360 millions d'habitants. Aux États-Unis, pays de 320 millions d'habitants, quatre opérateurs se partagent le mobile et deux opérateurs par zone se partagent le fixe : les gens du mobile ne font pas de fixe, et inversement. Autrement dit, le gâteau, le pie du mobile est partagé entre quatre personnes et celui du fixe par deux. Contre cent vingt en Europe ! L'offre de Numericable tout illimité est vendue 120 dollars à New York : c'est peut-être un peu cher. Mais 46 euros à Paris, ce n'est un peu pas cher : un café de 2 euros pris chaque jour au bar, cela fait déjà 60 euros à la fin du mois ! Un café coûte plus cher que le nec plus ultra de la technologie mondiale ! On marche sur la tête… La consolidation n'est pas le monopole, elle consiste à permettre à des acteurs européens de ne pas se faire dépasser, comme Alcatel l'a été par Nokia qui elle-même se fera dépasser par les Chinois, et à faire en sorte que nos champions nationaux ne terminent pas dans les mains d'acteurs américains ou chinois. Cette concurrence tous azimuts en Europe n'est pas bonne. Je connais pire encore : en Israël, sept opérateurs se partagent un marché dix fois plus petit que la France… Trois sont déjà au bord du dépôt de bilan.

Ainsi, la consolidation européenne est très importante et elle passe par les consolidations dans chacun des pays. On n'y est pas arrivé dans les années quatre-vingt-dix, avec la tentative de rapprochement de France Telecom avec son homologue allemand Deutsche Telekom. C'était une bonne idée – à l'époque, cela aurait pu être un 5050, mais aujourd'hui ce serait un 2080 ou un 2575. Aujourd'hui, je pense que ces rapprochements vont pouvoir avoir lieu. Nos amis allemands ont mieux réussi leur développement international dans les télécoms, car ils ont moins détruit leur marché intérieur : les prix sur le marché allemand ne sont pas les prix américains, mais ce ne sont pas les prix français. Nous avons les prix les plus bas d'Europe, mais quelle en sera la conséquence dans cinq, dix ou quinze ans ?

Madame de La Raudière, je vous remercie de saluer notre développement à l'international. La régulation en France n'est pas trop contraignante : il y a pire dans d'autres pays. Mais il y a souvent une petite erreur d'analyse sur les besoins d'intervention financiers de l'État ou des collectivités locales. Car faire une seule infrastructure pour permettre de tirer le plus loin possible n'est pas une bonne chose ; il faut laisser les acteurs investir où ils ont envie de le faire, ce qui leur permettra de couvrir les zones blanches plus rapidement. À cet égard, nous sommes le premier fournisseur en zone d'aménagement du territoire en cofinancement avec les collectivités locales : le département du Rhône a été le seul à être équipé intégralement en très haut débit fixe grâce à une décision visionnaire des années quatre-vingt-dix. Ainsi, la réglementation n'est pas mauvaise, si ce n'est qu'elle devrait permettre plus de concurrence sur les infrastructures pour favoriser les consolidations nationales et internationales.

Chez SFR-Numericable, nous avons du FTTH (fiber to the home, ce qui signifie fibre jusqu'au domicile), du FTTB (fiber to the block ou fiber to building, c'est-à-dire fibre jusqu'au bloc d'immeubles ou jusqu'au bâtiment). Nous avons même du FTTX : nous avons même récupéré des réseaux câblés fibrés à l'envers, c'est-à-dire qui faisait du câble et se terminait en fibre ! C'était une expérimentation unique en France, à Toulon : le fabricant a disparu, nous sommes obligés de tout démonter…

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