Intervention de Patrick Drahi

Réunion du 27 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Drahi, président-directeur général d'Altice :

Exactement… C'est ce que nous appelons le FTTX.

L'important est de savoir quels débits sont offerts au consommateur pour son usage de vidéos ou de données, qui augmente d'année en année. Le FTTB est la technologie la plus répandue au monde, le FFTH le sera dans cinquante ans ; en attendant, il faut être pragmatique, c'est-à-dire faire évoluer ces réseaux. Là où vous n'aviez pas de réseau, c'est comme si vous n'aviez pas de voiture : vous n'allez pas acheter celle de l'année dernière. Il faut tirer du FTTH : c'est ce que fait SFR. C'est aussi ce que fait Orange : il a un réseau, mais ce n'est pas le bon, puisqu'il a vendu le câble… Son réseau téléphonique doit donc être modernisé en FTTH, il n'a pas le choix. Le réseau câblé, lui, n'a pas besoin d'être modernisé, puisque le câble coaxial qui arrive dans votre département est suffisant pour absorber les débits de l'abonné pour les dix à vingt prochaines années. Ainsi, aux endroits où nous avons du réseau câblé, nous tirons la fibre jusqu'à l'immeuble ou jusqu'à un bloc d'immeubles – jusqu'à l'immeuble dans des zones denses comme Paris – et nous maintenons le raccordement existant en câble coaxial. (M. Drahi montre à la commission un câble à fibre optique et un câble coaxial). C'est très simple : dans votre appartement, l'équipement terminal réceptionne une fibre optique sur un petit boîtier, et celui-ci est raccordé à la box grâce à un petit câble Ethernet ou téléphonique ou un câble coaxial. Dans les zones modernisées comme Paris, la différence entre un réseau FTTB et un réseau FFTH représente dix mètres de fibre optique en plus ou en moins, soit la distance entre une cave et le deuxième étage de l'immeuble : nous arrivons en bas de l'immeuble avec la fibre optique et nous maintenons notre câble coaxial.

Aux États-Unis, les déploiements « tout fibre optique » ont commencé il y a une dizaine d'années. Le plus gros opérateur, FIOS (Fiber optic services), filiale de Verizon – l'équivalent d'Orange –, a dépensé 20 milliards pour son plan massif de déploiement de fibre optique. Depuis, ils se sont calmés un peu, et utilisent aujourd'hui la terminaison en câble coaxial dans beaucoup de cas.

S'agissant des co-investissements sur les réseaux d'initiative publique (RIP), nous y répondrons systématiquement.

Alors que depuis des années SFR avait bloqué les investissements, nous n'avons pas rechigné, à la demande de l'ARCEP, à prendre la décision d'investir sur les 3 000 points nécessaires à la couverture mobile. Mais il y a le ressenti du consommateur, qui n'a pas toujours l'impression que son téléphone fonctionne. Il faut savoir que les smartphones sont très « smart » pour faire de l'internet, mais beaucoup moins pour téléphoner : à chaque fois qu'ils perdent le signal, ils mettent quarante-cinq secondes à deux minutes pour le retrouver… Ma propre mère préfère son vieux téléphone 2G au smartphone dernier cri qui vient de lui être offert, et elle a raison ! C'est un problème de technologie, mais je vous rappelle qu'il n'y a pas si longtemps les foyers n'avaient pas Internet, on ne savait pas ce qu'était la data et on utilisait des fax à rouleau papier… Maintenant, on veut tout avoir, et qui fonctionne impeccablement, et le tout pour 14,99 euros… Il faut attendre un peu : le déploiement de la fibre, à la faveur des investissements réguliers des opérateurs, améliorera la situation.

En tant que citoyen, la net neutrality me semble normale. En tant qu'opérateur, c'est un peu comme si j'investissais sur une autoroute que n'importe qui pourrait prendre sans payer ! Or, que je sache, sur une autoroute, un poids lourd paye plus cher qu'une moto… Si vous partagez votre connexion, vous n'avez qu'un seul abonnement et vous partagez les débits. Je pense que les télécoms ne peuvent pas à terme faire 0 % de croissance avec des prix dictés, d'un côté, par le régulateur, et, de l'autre, par les majors de la Silicon Valley. Au demeurant, aux États-Unis, le débat sur ce sujet est très politique en fonction des administrations : les gens du câble sont plutôt républicains et les gens d'internet sont plutôt démocrates…

Vous avez évoqué la boulimie dont je ferais preuve, mais vous constatez que je n'ai pas tellement grossi ! (Sourires.) Je n'ai pas donné suite aux rumeurs diffusées par la presse sur l'opération Time Warner Cable aux États-Unis. Nous n'étions pas prêts. Nous faisons les choses, certes, rapidement et avec ambition, mais de façon conservatrice. Car, je vous l'ai dit, 63 % de l'entreprise sont dans mes mains et, j'espère un jour, dans celles de mes enfants. Je ne vais pas me lancer dans une croissance boulimique au risque d'hypothéquer l'avenir de l'entreprise et donc celle de ma famille.

Les gens qui nous financent sont les mêmes que ceux qui financent la France : ce sont les grands investisseurs. Les montants que l'on nous prête sont calculés au regard de nos résultats des douze derniers mois et de notre évolution au cours des trente-six derniers mois. Vous avez là une entreprise avec une croissance à deux, voire trois chiffres. Je reprends l'image du ménage qui s'endette à hauteur de 60 % pour acheter une maison : ce n'est pas la même chose si papa et maman sont diplômés des meilleures écoles et pleins d'avenir en début de carrière, que lorsque les parents sont beaucoup plus âgés, que l'un est sans emploi et l'autre dans une entreprise en difficulté. Les deux scénarios n'ont rien à voir, et c'est ce que regardent les gens qui nous font confiance. Autrement dit, il ne faut pas regarder notre ratio d'endettement à l'instant T. Sur SFR-Numericable, le Gouvernement m'ayant demandé de ne pas dépasser un certain taux de financement, nous avions volontairement « capé » le financement à 3,7 fois le résultat, ce qui était nettement plus que la moyenne du secteur en France, mais nettement moins que la moyenne du secteur dans le reste du monde. Nous avons donc fait un gros effort, et j'avais d'ailleurs à ce titre procédé à une augmentation de capital de 4,8 milliards d'euros. Nous avons donc ramené 4,8 milliards d'euros dans Numericable, sur le marché français – c'est donc de l'argent capitalisé, et qui reste en France. Quatre mois après avoir pris les affaires en mains, ce ratio de 3,7 est tombé à 2,9. Nous sommes donc redescendus au même niveau d'endettement que nos concurrents, mais nous n'avons pas tout à fait la même trajectoire, ce qui va nous permettre à la fois d'investir et de continuer à réduire notre endettement. Pour autant, l'objectif n'est pas de réduire notre endettement, mais de faire de la croissance. Quand on est focalisé sur la réduction de son endettement, c'est qu'on a un problème de croissance. Si vous êtes en décroissance, votre plus gros problème est votre dette ; si vous êtes en croissance, c'est de savoir quelle va être votre prochaine avenue de croissance – et non pas comment faire pour rembourser votre dette, puisqu'elle se rembourse en cinq ans. Si j'arrête mon développement soi-disant boulimique, dans cinq ans j'aurai zéro dette. Et alors ? Cela serait idiot car je ne ferais pas de croissance pendant cinq ans. Mieux vaut faire de la croissance en gardant le pied près de l'accélérateur et du frein, tout en regardant dans le rétroviseur, c'est-à-dire en conduisant la voiture. Quand j'achète Suddenlink aux États-Unis, je sais ce que je fais ; d'ailleurs, je fais réinvestir le vendeur à hauteur de 30 %, ce qui m'assure un partenariat avec un acteur local parce que je ne peux pas débouler en disant : bonjour, c'est moi le Français… On n'est pas comme ça dans la famille, on arrive modestement, on prend le temps de connaître les gens. Le décret Montebourg existe depuis longtemps aux États-Unis : il faut y aller doucement, apprendre à travailler avec les gens, voir si on est capable d'améliorer les résultats de l'entreprise : c'est mon pari, et je pense que nous allons y arriver, nous avons du temps devant nous. Ainsi, la dette aujourd'hui est relative : une dette 30 milliards avec un potentiel de 7 à 8 milliards de résultat n'est pas pire qu'une dette plus élevée avec un résultat qui n'arrête pas de décroître.

Pour être dans les télécoms depuis vingt-cinq ans, je sais ce qu'est une crise de croissance – j'ai déjà connu trois cycles. C'est pourquoi, lorsque nous émettons de la dette, c'est une dette obligataire à long terme. Pendant dix ans, nous n'avons rien à rembourser, nous ne payons que les intérêts, ce qui dégage des marges de manoeuvre – on ne peut pas nous en vouloir de profiter des taux bas. À ceci près que ce gain permis par les taux bas est utilisé pour financer, non pas des déficits, puisque nous gagnons de l'argent, mais de la croissance, c'est-à-dire de l'investissement ou le rachat d'entreprises désireuses de rejoindre un groupe plus grand.

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