Intervention de Patrick Drahi

Réunion du 27 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Drahi, président-directeur général d'Altice :

Vous avez raison, mais les moyens dégagés chez SFR ne servent pas – bonne nouvelle – les intérêts de la dette, puisque ceux-ci n'ont pas augmenté. Les intérêts de la dette payés par SFR et Numericable ne sont pas plus élevés qu'il y a deux ans, puisque les taux ont baissé. Qui plus est, nos taux ont été fixés sur dix ans. Par conséquent, nous réalisons des économies que nous réinvestissons dans le réseau. Au premier trimestre, nos investissements ont augmenté de 20 % ; à la fin de l'année, nous les augmenterons de 25 % à 30 %. Si les autres acteurs font la même chose, ne se font pas la guéguerre sur les mêmes communes et redéploient les investissements sur un territoire plus élargi, nous serons tous gagnants. Voilà pourquoi je dis depuis plusieurs semaines qu'il faut sans doute repenser – je ne dis pas renégocier – l'accord signé entre Orange et SFR pour en faire quelque chose de plus grand, de plus ambitieux, qui permettra de couvrir plus loin et plus rapidement grâce au réinvestissement des profits dégagés par les économies réalisées.

Je lis dans la presse que nous demandons au fournisseur de nous faire moins 40 %. Ce n'est pas du tout notre méthode. Du reste, si c'était aussi simple, tout le monde en ferait autant. Jusqu'à présent, le travail était sous-traité par petits morceaux : un peu comme si un médecin n'était responsable que de la cheville jusqu'aux genoux, le suivant du genou à la hanche, la troisième de la hanche jusqu'au cou, etc. Nous demandons tout simplement au sous-traitant d'être responsable de A à Z. En fait, nous lui simplifions son travail, et c'est ce que l'on faisait dans le câble. Pourquoi ? Quand une installation chez le client ne fonctionne pas, qui est responsable ? Celui qui a installé le décodeur, celui qui a fait le raccordement, le gestionnaire de réseau ou l'informaticien ? Le client ne veut pas le savoir ; lui, il veut que cela marche. Alors plutôt que de saucissonner le travail, nous demandons au sous-traitant de faire le travail de A à Z sur la zone. De cette façon, si cela ne marche pas, je saurai à qui parler. En se réorganisant ainsi, le sous-traitant sera beaucoup plus efficace, et il aura beaucoup moins peur de la responsabilité qu'il assume. Par conséquent, il peut faire davantage de volume, et donc réduire ses prix. En réalité, le petit chef d'entreprise de 100, 200, 300 salariés, ne fait pas 40 % de marge : il fait dix à quinze points de marge, c'est bien et nous veillerons toujours à ce qu'il les fasse. Nous n'avons aucun intérêt à faire perdre de l'argent à nos sous-traitants, bien au contraire : il faut qu'ils gagnent de l'argent pour pouvoir se développer avec nous. C'est un changement des méthodes de travail.

Vous avez évoqué les call centers. Téléphonez-vous au call centers en cas de problème technique ? Pas forcément, vous allez sur internet et essayez de vous débrouiller. Faut-il maintenir des bataillons de gens pour l'annuaire téléphonique ? Non. Les gens vont sur Internet, trouvent le numéro en quinze secondes, puis appuient sur leur smartphone pour être mis en communication. Donc, les métiers évoluent. Et les entreprises qui savent évoluer trouvent les économies – ce sont ces économies qui font 30 % ou 40 %. Vous verrez : nous allons déployer beaucoup plus de sites 4G en France que ne l'a jamais fait SFR. Nous n'avons pas baissé le tarif de 40 % ; nous avons passé une commande deux fois supérieure aux prestataires grâce à cette façon différente de travailler, cette responsabilisation complète. C'est cela qui nous permet de dégager des marges de manoeuvre – ces mêmes marges de manoeuvre dégagées dans le câble pour rendre les entreprises bénéficiaires. Et avec ces bénéfices, nous remboursons nos dettes. Nous essayons, non pas de gagner de l'argent en travaillant comme dans les années quatre-vingt-dix, mais de repenser le modèle, la façon de travailler. Aux États-Unis, les sociétés internet, ce sont des jeunes qui travaillent dans des garages pour développer des projets et qui sont payés avec des bouts de chandelle – c'est l'esprit de l'entreprise 2.0, 3.0, XXIe siècle en tout cas. C'est ainsi que nous travaillons, et nous aimons faire monter les jeunes : je recrute très peu de collaborateurs venant de l'extérieur pour les fonctions de management, j'ai pris les jeunes sur place pour changer l'équipe précédente, qui étaient du reste très heureux de voir partir les gens d'avant, et je leur ai dit : nous allons travailler comme on devrait le faire en 2100, pas comme en 1900 !

Oui, nous voulons couvrir toute la France. Peut-on le faire en deux dans ? Non, cela prendra dix ans. Avons-nous besoin de l'intervention publique. Oui, dans les zones excentrées, parce que nous n'y parviendrons pas tout seuls.

Au surplus, il est indispensable de se développer à l'international. En effet, en revenant de l'étranger, on ramène des idées neuves, pas forcément meilleures, mais différentes. En mélangeant les idées des uns et des autres, on impulse des innovations. Qui a lancé les 100 MHz en France ? C'est Numericable en 2007. Qui a lancé la première expérimentation du giga sur les réseaux câblés dans le monde ? Numericable et Cisco à Paris en 2010. Qui a lancé la box qui intègre tout ? Numericable. C'est cela, l'innovation. Et le start over – ou « restart » –, idée que j'ai ramenée d'Israël ? Je reviens à la maison, le match a déjà commencé. Qu'est-ce que je fais ? Je rembobine. C'est nous qui l'avons lancé en France. Je n'ai rien inventé : en Israël, cela se faisait depuis dix ans…

Israël représente 5 % de mon business, contre 50 % il y a trois ans, mais 0 % il y a cinq ans quand la France représentait 100 % de mon business. Donc, en fonction de l'évolution de notre groupe, tel ou tel pays pèse plus ou moins. Si je vais aux États-Unis, qui représentent 12 % de mon business, c'est parce que nous vivons dans un monde globalisé où mes concurrents font la même chose et que nous avons besoin d'équilibrer le bilan de l'entreprise. L'euro existera-t-il encore dans dix ans ? On n'en est pas sûr à 100 % ; et moi, je ne veux pas mettre mes 35 000 collaborateurs en péril parce qu'on n'aurait plus d'euros en France, au Portugal ou en Belgique. Que se passerait-il sinon ? On serait très mal, toutes les entreprises françaises seraient dans les mains de ceux qui prêtent l'argent. Or vous savez très bien qui prête l'argent…

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