Intervention de Daniel Gibbes

Séance en hémicycle du 1er juin 2015 à 16h00
Octroi de mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Gibbes :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’octroi de mer fait partie de nos plus anciennes taxes. Son principe, conçu par Jean-Baptiste Colbert, concerne les produits importés comme les productions locales. Progressivement étendue à l’ensemble des départements d’outre-mer, cette taxe indirecte assure des ressources aux budgets des collectivités, en particulier les communes, et favoriser le développement des entreprises locales en instaurant des possibilités d’exonération.

Après un vote unanime au Sénat et en commission des finances de l’Assemblée nationale, le texte que nous examinons aujourd’hui tire les conséquences d’une décision européenne et modifie certaines caractéristiques importantes de l’octroi de mer, comme le seuil d’assujettissement ou le champ des opérations exonérées.

Il faut remonter au XVIIe siècle pour voir apparaître, sous une forme voisine, l’octroi de mer. Supprimé à la Révolution, il est réintroduit au XIXe siècle. Par la suite, les règles de libre circulation et de non-discrimination des marchandises édictées par la Communauté européenne dans les années 1990 ont obligé ce dispositif historique à évoluer.

Reconnaissant le caractère spécifique des territoires ultramarins français, le Conseil des communautés européennes a, dans sa décision du 22 décembre 1989, reconnu le rôle primordial de l’octroi de mer pour le développement économique et social des départements d’outre-mer.

La loi du 17 juillet 1992 en a tiré les conséquences en prorogeant le régime de l’octroi de mer français pour une durée de dix ans. Le dispositif arrivant à échéance le 31 décembre 2002, la France a demandé à l’Union européenne sa prorogation pour une nouvelle période de dix ans. La décision du 10 février 2004 du Conseil de l’Union européenne a fait droit à cette demande en autorisant la France à maintenir un régime dérogatoire jusqu’au 1er juillet 2014.

Enfin, la décision du Conseil du 17 décembre 2014 a autorisé une nouvelle prorogation des exonérations jusqu’au 31 décembre 2020. Il s’agit donc, à travers ce projet de loi, de transposer cette décision et de la compléter par certaines mesures tendant à moderniser le dispositif de l’octroi de mer issu de la loi du 2 juillet 2004.

Madame la ministre, je veux rappeler ici le caractère essentiel de cet impôt pour les départements d’outre-mer, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’octroi de mer constitue une recette fiscale de près de l,15 milliard d’euros par an, au bénéfice principal des communes de ces départements. Il représente ainsi 38 % des recettes fiscales des communes réunionnaises et jusqu’à 48 % de celles des communes martiniquaises.

En outre, les exonérations d’octroi de mer dont bénéficient les productions locales les plus sensibles des DOM contribuent à leur développement en venant compenser une partie du déficit de compétitivité résultant des handicaps structurels dont souffrent nos territoires ultramarins.

Les conditions géographiques défavorables font partie de ces handicaps. En effet, les départements d’outre-mer sont tous situés à plus de 6 000 km de l’Hexagone et à plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres des centres d’activité économique les plus proches. Ils sont donc fortement dépendants des approvisionnements extérieurs. L’étroitesse des marchés locaux, cause majeure de renchérissement, est une autre difficulté structurelle.

La coexistence de ces handicaps se traduit par une situation économique et sociale difficile. Rappelons que les territoires ultramarins souffrent d’un taux de chômage de l’ordre de 25 %, supérieur donc à la moyenne hexagonale. L’octroi de mer permet de répondre à ces difficultés en renforçant la production locale sur le marché.

Outre la prorogation de l’octroi de mer et de ses exonérations jusqu’au 31 décembre 2020, la principale mesure du projet de loi consiste à abaisser le seuil d’assujettissement des entreprises, ramené de 550 000 à 300 000 euros de chiffre d’affaires. Cela procurera aux collectivités un surcroît de ressources estimé par l’étude d’impact à 2,5 millions d’euros.

En revanche, les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros seront exonérées et n’auront plus à faire de déclarations administratives, jugées trop lourdes pour bon nombre d’entre elles.

Je souhaite cependant, madame la ministre, vous faire part de nos interrogations quant à l’opportunité, en période de crise, de taxer plus durement le tissu économique local.

Le projet de loi propose également d’étendre le champ des possibilités d’exonération aux carburants à usage professionnel, aux biens destinés à l’avitaillement des bateaux et des aéronefs, et aux importations de biens destinés à certains opérateurs tels que les établissements de santé. Cela signifie qu’une entreprise assujettie à l’octroi de mer pourra déduire une partie de ses dépenses d’investissement du montant de son impôt. C’est une bonne mesure pour les économies des départements d’outre-mer.

Enfin, les taux d’octroi de mer que pourront fixer les assemblées délibérantes seront plafonnés à 50 %, avec une exception pour les alcools et les tabacs qui pourront, eux, être taxés à 80 %.

En ma qualité de député de Saint-Barthélémy et Saint-Martin, permettez-moi d’ouvrir quelques perspectives pour la suite de nos travaux.

Il est urgent, madame la ministre, de s’atteler à la question de la fiscalité dans les outre-mer. Le système fiscal souffre dans nos territoires de nombreux dysfonctionnements qui pèsent injustement tant sur les collectivités que sur nos compatriotes, confrontés à un chômage galopant et, pour certains d’entre eux, à la misère.

Cette remise à plat de la fiscalité et des modalités de financement des collectivités en outre-mer s’impose d’autant plus que le dispositif de l’octroi de mer a été prorogé de seulement cinq ans par le Conseil de l’Union européenne, alors qu’il l’avait été de dix ans en 1992 puis en 2004. Est-ce là le signe de sa disparition prochaine ? Il serait peut-être sage de s’y préparer…

Permettez-moi également, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, d’appeler l’attention de notre assemblée sur un cas particulier que je connais bien. Saint-Martin et Saint-Barthélémy ne sont pas assujettis à l’octroi de mer. Toutefois, avant de devenir des collectivités d’outre-mer, ces deux territoires bénéficiaient des ressources de l’octroi de mer de la Guadeloupe.

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