Intervention de Ary Chalus

Séance en hémicycle du 1er juin 2015 à 16h00
Octroi de mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAry Chalus :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous revenons aujourd’hui, avec l’examen de ce projet de loi qui entend modifier la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, sur la question de la fiscalité ultramarine. Il s’agit plus particulièrement de faire en sorte que l’octroi de mer reste un outil au service du financement des communes et du développement économique des territoires d’outre-mer.

Cela semble avoir été l’objectif de cet impôt indirect depuis le XVIIe siècle. C’est en effet du maintien d’une disposition datant de Louis XIV et conçue par Colbert dont nous allons débattre, d’une imposition spécifique des départements d’outre-mer, dont l’origine remonte au « droit de poids » et instituée en 1670 – sans doute l’une des plus vieilles taxes du système fiscal français.

Une vieille histoire donc, dont nous nous sommes accommodés et qui avait à l’origine pour objectif de protéger la production locale en taxant les importations de biens qui, à l’époque, arrivaient par la mer.

Initialement appliqué uniquement aux biens débarqués à la Martinique, l’octroi de mer a été instauré plus tardivement en Guadeloupe et à La Réunion. Aujourd’hui, il concerne également les départements de Mayotte et de la Guyane.

Les recettes de cette taxe ont toujours ce double rôle : procurer des recettes aux communes et protéger la production locale.

Depuis 1984, les conseils régionaux peuvent y adjoindre un octroi de mer régional perçu au profit des régions, et du département de la Guyane, dont le taux maximum légal est fixé à 2,5 %.

Régulièrement révisé à partir de la Révolution française de 1789, ce régime fiscal a dû être mis en compatibilité avec le droit communautaire, dans la perspective de l’ouverture du grand marché intérieur européen au 1er janvier 1993. En effet, consistant à appliquer une taxe d’effet équivalent à un droit de douane, il n’était pas conforme aux dispositions du traité de Rome.

Par une décision du 22 décembre 1989, le Conseil des communautés a demandé au Gouvernement français de modifier sa législation afin de taxer indistinctement les biens, qu’ils soient importés ou produits dans les départements d’outre-mer. Toutefois, le Conseil européen a autorisé la France à exonérer, totalement ou partiellement, les productions locales en fonction des besoins économiques pendant une durée initiale de dix ans.

Ainsi, l’extension de la taxation à la production locale assortie d’un régime dérogatoire d’exonération totale ou partielle a été adoptée par une nouvelle loi votée le 17 juillet 1992. Face à la nécessité de respecter le droit européen, on a choisi de préserver une ressource considérée comme vitale pour les communes et les collectivités territoriales au lieu de refondre entièrement la fiscalité des territoires d’outre-mer. De même, afin que l’octroi de mer demeure protecteur pour la production locale, les textes ont instauré un dispositif de différenciation des taux applicables aux produits importés d’une part et aux produits locaux d’autre part. Cette disposition étant assimilable à une aide d’État au sens de l’Union européenne, il a fallu se soumettre à un processus régulier d’approbation par celle-ci afin que la taxe soit reconduite dans le respect du droit communautaire. Le premier régime d’exonération arrivant à échéance le 31 décembre 2003, les autorités françaises en ont demandé la prorogation dès le 14 avril 2003.

Une fois de plus, le Conseil de l’Union européenne a su prendre en compte les contraintes géographiques et économiques particulières des outre-mer français. Sa décision du 10 février 2004 a autorisé la prolongation de l’octroi de mer jusqu’en juillet 2014 en contrepartie d’une série d’adaptations. La loi du 2 juillet 2004 a précisé les conditions du second régime dérogatoire qui a été prorogé d’un an, jusqu’en juin 2015, à la demande du Gouvernement, par la décision du 17 décembre 2014 du Conseil européen formulant un nouveau compromis entre les institutions communautaires et la France. Le Conseil européen a autorisé le maintien de l’octroi de mer pour cinq ans à condition de procéder à quelques aménagements. On se demande si l’octroi de mer ne vas pas disparaître ! La loi du 2 juillet 2004 doit donc être adaptée avant la fin de ce mois de juin afin de transposer dans la loi française les modifications demandées en contrepartie d’une nouvelle prolongation de l’octroi de mer jusqu’en 2020. Celles-ci ne remettent pas en cause les caractéristiques de cet impôt indirect mais recommandent de procéder à des adaptations limitées qui concernent principalement le seuil d’assujettissement des entreprises et la liste de biens dont la livraison peut être exonérée.

Par exemple, le 17 décembre dernier, le Conseil européen a adopté le principe d’une obligation déclarative à partir de 85 000 euros et d’un assujettissement effectif à l’impôt à partir de 300 000 euros contre 550 000 actuellement. Concrètement, cela signifie que les entreprises de production agricole ou industrielle des outremer dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 300 000 euros, soit 25 000 euros par mois en moyenne, paieront une taxe supplémentaire. Nous devrons assumer les conséquences qu’aura sur plusieurs centaines d’entreprises moyennes le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui ! Par ailleurs, ce texte étant avant tout la traduction en droit français de la décision prise par le Conseil de l’Union européenne en décembre dernier, les dispositions principales relatives aux seuils d’assujettissement et à la différenciation de la taxation de la production locale et des produits similaires importés ne peuvent être véritablement amendées. C’est là toute la limite de notre exercice du jour !

Elles doivent en outre être transposées dans le droit français au plus tard le 30 juin prochain. Après l’adoption du texte au Sénat, notre assemblée est donc amenée à le voter à son tour, dans l’urgence une fois de plus, à défaut de remettre à plat le régime fiscal des cinq territoires d’outre-mer concernés. Certes, il y a matière à débattre ! Pour l’heure, le véritable enjeu du vote de ce projet de loi est d’éviter la disparition brutale de près de 40 % des recettes fiscales de nos communes ! À cette fin, nous devons veiller à la prorogation du dispositif le plus rapidement possible, en dépit de ses limites ! Néanmoins, une fois voté ce sursis supplémentaire, nous ne pourrons plus éluder un vrai débat sur la fiscalité de nos outre-mer dans son ensemble. D’ailleurs, les décisions successives de l’Union européenne en matière d’octroi de mer tendent vers un resserrement du dispositif. La date limite de révision du nouveau régime a été fixée au 31 décembre 2020, soit une prorogation de cinq ans, très certainement afin de coïncider avec la date de révision des lignes directrices des aides d’État à finalité régionale auxquelles est assimilé l’octroi de mer depuis 2004.

La réduction à cinq ans de la prorogation du dispositif contre dix ans auparavant n’est pas le seul élément qui doit nous inciter à agir. La menace pesant sur l’équilibre financier des communes d’outre-mer ne doit pas interdire toute réflexion. Dès 2011, la Cour des comptes jugeait la situation financière des communes d’outre-mer très préoccupante. Les réductions de la dotation globale de fonctionnement programmées jusqu’en 2017 ne contribueront pas à améliorer leur situation. Selon la Cour, leurs ressources reposent sur des bases fragiles car elles sont constituées pour plus du tiers du produit de l’octroi de mer, subordonné à la reconduction par l’Union européenne du moratoire qui fait l’objet du présent projet de loi, et de la taxe sur les carburants dont le produit tend à diminuer, d’autant plus que la réduction de leur consommation est l’un des objectifs du projet de loi relatif à la transition énergétique récemment voté en nouvelle lecture par cette assemblée. De surcroît, les recettes de fiscalité indirecte sont quasi-intégralement consacrées au financement des dépenses de fonctionnement au détriment des dépenses d’investissement qui soutiendraient l’activité plus efficacement.

Dès lors, qu’en est-il de la défense de la production locale ? Le constat n’est pas glorieux, nous le savons ! Nos économies sont repliées sur elles-mêmes et n’exploitent que très marginalement les potentialités de leurs zones d’influence respectives, en raison notamment de coûts de production prohibitifs pour l’export ! Même sur nos marchés locaux et malgré l’octroi de mer, nos produits peinent toujours à concurrencer les importations. Les taux de chômage, qui demeurent année après année à des niveaux insupportables et dépassent 50 % parmi les moins de 25 ans, témoignent de l’absence de décollage de la production locale. On mesure là les limites du système fondé sur les dérogations au droit communautaire européen. Peut-être devrions-nous poser sans tabou la question de la convergence avec la TVA ? Il conviendrait aussi de mesurer avec honnêteté et lucidité les incidences sociales et économiques de l’octroi de mer. Dès demain, il faudra donc continuer à travailler au développement et à l’avenir des outre-mer. Nous avons cinq ans pour refonder notre modèle. Le temps nous est donc compté pour élaborer les pistes d’une autre politique fiscale juridiquement sécurisée et véritablement au service du développement endogène de nos territoires ultramarins.

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