Intervention de général Denis Mercier

Réunion du 26 mai 2015 à 18h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air :

a défense du territoire national n'est pas assurée par la seule opération Sentinelle mais par la totalité des opérations menées dans les trois milieux. Pour l'armée de l'air, c'est un engagement en permanence de 3 500 personnes, dans la mission de posture permanente de sûreté (PPS) ou nos différentes missions de service intérieur. Nous avons ainsi en permanence des avions en alerte à une heure pour l'évacuation sanitaire de n'importe quel soldat français, sur n'importe quel point du globe, pour assurer qu'il pourra en moins de vingt-quatre heures être pris en charge dans un hôpital parisien. Je tiens à le souligner car Sentinelle peut faire oublier les importantes missions des deux autres armées.

Ces missions comportent une posture de dissuasion très forte. La plupart des personnes de retour d'opérations extérieures (OPEX) sont engagées sur le territoire national ou bien participent à des exercices dans le cadre de la dissuasion nucléaire.

Nos appareils ont ouvert le feu au Mali et en Irak ce week-end. Le ratio de tirs par rapport aux engagements est en Irak de 0,8 : c'est presque un tir à chaque sortie.

On a souvent tendance à ne regarder que les moyens cinétiques, mais d'autres plus-values tout aussi essentielles sont apportées par les avions de reconnaissance, parmi lesquels j'intègre, les C-160 Gabriel, les AWACS, qui sont des moyens de l'armée de l'air, mais aussi l'Atlantique 2 de la marine, et par tous les autres moyens qui concourent à une appréciation autonome de la situation.

Nous nous félicitons tous du succès du Rafale. J'étais persuadé que cet avion était en avance sur son temps, et que c'est ce qui expliquait pourquoi nous n'en avions pas encore vendu. Le succès du Rafale tient avant tout à un véritable besoin de puissance aérienne de la part des pays qui s'en dotent. Ces pays ont compris que, pour disposer d'une puissance militaire au vingt et unième siècle, il fallait se doter de moyens aériens, notamment d'avions de combat, et le Rafale est l'un des meilleurs de sa génération.

Avant d'évoquer l'actualisation de la LPM, je souhaite rappeler les bases sur lesquelles repose cette loi. Cette LPM a été construite sur un budget réduit qui correspondait à la réalité du moment. À partir de cette réalité, il convenait d'assurer la plus grande cohérence possible de nos moyens militaires et nous avons fait des choix. Il était tout aussi important pour moi de garder des ravitailleurs et de moderniser nos structures de commandement que de voir les avions livrés comme prévu.

Cette cohérence nécessaire a conduit à des hypothèses. En premier lieu, nous avons volontairement fait l'hypothèse de quatre années blanches de livraisons de Rafale pour la France couvertes par l'export, ce qui impliquait au moins deux exportations. Ainsi, nous avons étalé les livraisons des avions de combat. Nous avons ainsi prévu que l'arrivée de l'escadron de Rafale devant remplacer l'escadron de Mirage F1 CR serait décalée de 2014 à au-delà de 2021. Avec ces hypothèses, les livraisons de Rafale sont prévues de reprendre en 2021.

La deuxième hypothèse, c'est que nous pouvions maintenir les Mirage 2000N, de manière à ce que le deuxième escadron nucléaire sur Rafale soit opérationnel en 2018. Les Rafale ont continué à être livrés mais à une cadence minimale, correspondant à la montée en puissance de cet escadron nucléaire. C'est pourquoi nous avons provisoirement placé quelques avions sous cocon. Mais, à la fin de cette année, tous nos Rafale seront en ligne.

Aussi, quand six Rafale nous ont été prélevés au profit de l'Égypte, il a fallu repenser la manière dont nous conduirions nos opérations. Nous avons réussi à nous mettre d'accord avec le ministère de la Défense, la direction générale de l'armement (DGA) et le constructeur pour que six Rafale nous soient restitués entre 2016 et 2018, ce qui nous permettra de continuer à assurer la montée en puissance de l'escadron nucléaire, même si c'est avec quelques difficultés de maintenance, des pièces étant prélevées au profit des contrats exports. Aucun autre avion ne peut aujourd'hui nous être prélevé. Si un autre client à l'export, après l'Égypte, demandait un avion plus tôt, ce serait au détriment de notre capacité opérationnelle, alors même que nous aurons à assurer la formation des Qataris.

Nous avons fait la même chose pour les A400M. Nous avons étalé leurs livraisons, réduites à quinze dans la LPM, en tirant quatorze C-160 de plus au-delà de 2020 de manière à pouvoir consacrer l'argent à d'autres capacités. Cet étirement nous conduit, notamment parce que la prolongation des C-160 coûte plus cher que prévu, à demander quatre C-130 de plus dans l'actualisation de la LPM, de manière à ce que notre capacité de transport ne soit pas trop obérée.

Ces hypothèses nous permettent de préserver la cohérence de nos moyens ainsi que notre engagement opérationnel. Cependant, cette LPM n'avait prévu ni les exportations ni le fait que nous sommes depuis neuf mois au-dessus des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc. Si nous sommes effectivement fiers de parvenir à gérer la situation, cela contribue cependant générer des tensions sur le modèle. Les réorganisations que nous menons nous permettent de maintenir notre engagement opérationnel, et, avec les hypothèses construites avec les industriels, nous sommes également capables d'assumer les contrats avec l'Égypte et le Qatar, de même que nous le pourrions, du reste, avec d'autres clients, à condition que chacun attende son temps.

Il ne faudrait par ailleurs pas se fier à de fausses bonnes idées. Nous sommes en train de développer des démonstrateurs de drones de combat, mais nous n'en sommes pas du tout à des prototypes pour remplacer les avions de combat. Les démonstrateurs ne pourront pas devenir opérationnels avant au moins 2025. Ces développements ne sauraient remettre en question la prolongation des Mirage 2000D et la livraison de Rafale prévues dans la LPM.

La précédente LPM avait sous-doté le maintien en condition opérationnelle (MCO) d'environ un milliard d'euros. La sous-activité de nos équipages est de l'ordre de 20 %, une situation préoccupante surtout pour nos plus jeunes, les plus anciens volant un peu plus car le complément est financé par le décret portant ouverture de crédits à titre d'avance DA-OPEX. Le ministre nous a concédé une augmentation de 4,3 % en volume sur l'entretien programmé des matériels (EPM). Avec ces 4,3 %, il restait un milliard d'euros sur la LPM. Nous nous sommes engagés à dégager ce milliard et à le réinvestir dans l'activité, et ce selon trois axes.

Le premier, le plan « CAP 16 » de la Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (SIMMAD), vise à revoir la manière dont nous passons les contrats, en prévoyant une association plus forte avec les industriels et des méthodes différentes selon les types de flotte. Ce plan porte aujourd'hui ses fruits : nous avons déjà dégagé plus de 300 millions d'euros et fléché plusieurs centaines de millions d'euros.

Le complément sera dégagé par le projet « supply chain » de l'état-major des armées : c'est le deuxième axe.

Le troisième axe, c'est le projet « Cognac 2016 » en vue de passer à un nouveau type d'avion d'entraînement qui permette l'entraînement différencié de nos équipages. Cela nous fera gagner 110 millions d'euros par an de MCO. Ce projet a glissé en 2017 et il ne faut pas qu'il glisse davantage. C'est un projet simple – un achat d'avions sur étagère – pour un tout petit investissement sur le programme 146 et un gros retour sur le programme 178.

Comme ce projet sur le MCO marche bien, l'état-major des armées nous a demandé d'y intégrer le carburant sous enveloppe même si ce n'était pas prévu au départ. Cela vous montre les efforts que nous continuons à déployer dans ce domaine.

Les 500 millions supplémentaires accordés dans l'actualisation de la LPM pour l'entretien programmé des matériels (EPM) doivent nous permettre de compenser la suractivité liée aux opérations.

Tout cela – LPM volontairement tendue, surconsommation en opérations extérieures, SOUTEX, ainsi que les objectifs d'économies – nécessite que le DA-OPEX soit intégralement financé. Si ce n'est pas le cas, nous serons obligés de reprendre sous enveloppe et nous tuerons les efforts que nous avons consentis. Notre personnel le comprendrait difficilement.

Les non-déflations d'effectifs accordées par le Président de la République portent sur la totalité des missions opérationnelles : renseignement, cyberdéfense, SOUTEX… Il ne s'agit pas seulement de soldats pour Sentinelle.

Dans l'armée de l'air, nous sommes allés trop loin dans la réduction du nombre de commandos – trop loin pour pouvoir prêter main-forte à Sentinelle mais surtout pour assurer de manière optimale la protection de nos propres installations. À la différence d'un régiment, une base aérienne comporte des installations prioritaires de défense extrêmement sensibles, que nous devons protéger efficacement.

Dans le domaine du SOUTEX, l'accompagnement des Égyptiens et celui que nous préparons pour les Qataris demandent du personnel, et ce sont autant de personnes qui ne pourront être engagées en opération.

De même, nous n'avons pas eu le droit de fermer la base de Luxeuil, une fermeture qui devait dégager près de 450 effectifs. Il n'est pas possible que ceux-ci soient maintenus dans le compte des déflations. La fermeture de la plateforme aéronautique de Tours, dans le cadre du projet Cognac, est également décalée.

Les officiers qui passent les contrats de MCO, à la SIMMAD, ont déjà dû se remettre en question. Ces tâches exigent des personnels qualifiés et expérimentés, et ne peuvent être effectuées par des sous-officiers.

Nous sommes parvenus à une copie de 1 400 effectifs en non-déflation. Cela ne nous est pas assuré. Depuis six ans, c'est-à-dire depuis la précédente LPM et l'année dernière où nous avons réduit plus de 2 000 effectifs en un an, l'armée de l'air a perdu 18 000 effectifs. Nous avons fermé douze bases sous la précédente programmation, et nous allons encore en fermer quatre et en restructurer cinq sur cette LPM.

Ces réformes portent essentiellement sur des sous-officiers ou des militaires du rang. Sur un peu de plus de 5 000 officiers que compte l'armée de l'air, 1 500 sont officiers en raison du fait qu'ils sont personnels navigants. Le pourcentage d'officiers dans les effectifs ne peut être considéré de la même manière dans les trois armées. Le plan de l'armée de l'air supprime 400 postes d'officiers, alors que l'on nous demandait 900. Nous discutons pour alléger la supprime en officiers, afin de préserver nos capacités opérationnelles.

En revanche, nous nous engageons à dépyramider et, pour cela, nous continuons de réfléchir à des mesures d'accompagnement pour faire partir certains des plus gradés, dans une logique non plus de reconversion mais de progression, dans le privé pour certains.

Enfin, je voudrais parler de cohésion sociale. J'étais samedi à l'École de l'air, où nous avons lancé, il y a quelques années, une initiative visant à détecter des jeunes en classe de seconde pour les accompagner jusqu'en terminale. Ces enfants sont issus de quartiers difficiles, les quartiers nord de Marseille par exemple, et encadrés par nos jeunes élèves officiers. Ils sont choisis avec leur lycée et leurs parents en fonction de leur potentiel que leur milieu socio-culturel ne permet pas de réaliser pleinement. Une grande partie est en échec scolaire mais ils sont considérés comme « rattrapables » par leur lycée.

Samedi était organisée la journée « portes ouvertes » de cette initiative, avec ces jeunes, qui passent le brevet d'initiation aéronautique dans le Sud-Est. Ce brevet officiel a cinq unités de valeur. Ils étaient 2 000 présents, avec leurs parents, leurs proviseurs et professeurs, sur la base aérienne de Salon-de-Provence. L'un d'eux, monté sur l'estrade, tint ces propos : « J'étais en échec scolaire et je suis entré dans le programme de tutorat avec l'École de l'air. Les sous-lieutenants ici présents m'ont aidé, m'ont fait faire un vol et m'ont accompagné pour passer le brevet d'initiation aéronautique. J'ai travaillé et je l'ai obtenu avec mention Très Bien. Aujourd'hui je suis en terminale S et je rêve d'entrer en Prépa. » Il représentait bien les autres adolescents présents.

Ce programme connaît une telle réussite que quarante professeurs nous ont demandé, l'été dernier, de faire passer eux-mêmes les brevets d'initiation aéronautique dans leurs lycées. Nous les avons formés – car nous avons créé à Salon-de-Provence une ingénierie de formation – et nous venons d'en former quarante autres à Pâques. Cela se fait en partenariat avec l'Éducation nationale, et cela fonctionne.

Le 17 juin, au Bourget, nous allons signer avec la directrice générale de l'enseignement scolaire une convention cadre qui demandera aux commandants de base aérienne et aux recteurs de développer le projet à grande échelle à partir de septembre. Nous venons de créer la fondation de l'armée de l'air avec de grandes entreprises aéronautiques afin notamment de dégager des fonds pour payer des heures de vol aux jeunes et leur apporter cette étincelle de rêve.

Nous nous concentrons sur un second projet. Le lycée technique Aristide Briand, en Seine-Saint-Denis, était il y a quatre ans au bord de l'implosion. Nous avons créé une classe aéronautique avec deux sous-officiers de l'armée de l'air, qui ont fait travailler les lycéens au Musée de l'air et de l'espace au Bourget. Ce lycée fait aussi passer le brevet d'initiation aéronautique. Quatre ans après, la proviseure du lycée dit que l'armée de l'air a sauvé son établissement. Ces jeunes commencent à être connus dans la France entière. Luc Besson, qui a besoin de transporter un avion pour un prochain film, s'est rendu au lycée : ce sont ces lycéens qui démonteront et remonteront l'avion.

L'actualisation de la LPM est une bonne chose, car il y avait des problèmes, mais les livraisons prévues dans la loi doivent être intégralement respectées. Les principaux points d'actualisation, pour l'armée de l'air, portent non pas tant sur le financement des non-déflations d'effectifs que sur les compléments de capacités, dont l'intégration des trois MRTT, à l'horizon 2018-2019. Cette échéance étant après les élections, il faut flécher les équipements qui doivent être livrés et les financer. Cela n'a pas été fait, cela le sera en juin ; c'est donc après le vote de l'actualisation par le Parlement, mais il est absolument nécessaire, à mes yeux, que vous disposiez au mois de juin d'éléments précis sur les finances, les équipements et les non-déflations année par année jusqu'en 2019.

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