Intervention de Philip Cordery

Séance en hémicycle du 2 juin 2015 à 15h00
Débat sur l'emploi des jeunes en europe

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery :

Monsieur le Président, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, mes chers collègues, le 21 mars 2013, nous étions réunis dans ce même hémicycle pour débattre de la politique européenne en matière d’emploi des jeunes. Et dressant à l’unisson un bien triste constat de la situation de l’emploi des jeunes en Europe, nous placions beaucoup d’espoir dans l’action de l’Union européenne en la matière.

La Commission européenne venait en effet d’affirmer avec force son volontarisme, érigeant enfin – et sous la pression constante de la France, ne l’oublions pas – l’emploi des jeunes au coeur de ses priorités, celui-ci devenant un objectif en soi des politiques de l’emploi européennes, objectif illustré par le paquet « Emploi des jeunes » et ses deux mesures phares, l’initiative pour l’emploi des jeunes et la garantie pour la jeunesse.

L’ambition de la Commission était alors de couvrir, par ces deux mesures, ainsi que par nombre de mesures complémentaires, l’ensemble des domaines concernés par la lutte contre le chômage des jeunes : la formation, l’apprentissage, la mobilité, l’aide au retour à l’emploi et l’aide à la création d’entreprise.

Que d’attentes placées en ces mesures par les uns et par les autres ! Elles étaient à la hauteur des enjeux que nous illustrions en égrenant les terribles chiffres du chômage des moins de 30 ans, presque partout en Europe, et surtout dans les pays du sud tels que l’Espagne, la Grèce ou encore l’Italie, mais à l’exception notable de l’Allemagne et de l’Autriche.

Deux ans après, les choses n’ont malheureusement pas beaucoup évolué. La situation de l’emploi des jeunes demeure marquée, partout en Europe, par un taux de chômage deux fois supérieur à celui de la population générale, soit, en 2014 : 17,5 % pour l’Union européenne à vingt-huit, 19,4 % pour la zone euro, 39,7 % pour l’Espagne, 45 % pour la Grèce, mais 6,9 % pour l’Allemagne et 8,9 % pour l’Autriche. La France se place en situation médiane, avec un chômage des jeunes à 18,2 %.

De plus – et il y a là une injustice supplémentaire – lorsque les jeunes travaillent, ils sont plus souvent que les autres employés sur des contrats de moindre qualité, temporaires notamment ; c’est le cas de 32,3 % des jeunes au sein de l’Union et de 53,2 % des jeunes Espagnols, tandis que 38,4 % des jeunes Français et 25 % des jeunes Autrichiens sont concernés.

En outre, le problème des jeunes qui ne sont ni dans l’emploi, ni dans la formation, ni dans l’éducation – communément appelés NEETs, pour Not in education, employment or training – se pose avec toujours autant d’acuité : ils représentent 15,8 % de la tranche d’âge à l’échelle de l’Union européenne.

Il résulte de tout cela en corollaire, vous le savez, que toute une génération est menacée de pauvreté et de déclassement, ce qui est pour elle source de désespérance, et, pour nos sociétés, de déstabilisation.

En effet, comment nos sociétés peuvent-elles demeurer stables si la jeunesse est désespérée ? Comment peuvent-elles fonctionner si aucune place digne n’est faite aux jeunes dans la société active, si les générations précédentes concentrent à leur profit les emplois stables et correctement rémunérés ?

Créer de l’emploi pour les jeunes en Europe, faire place aux moins de 30 ans sur le marché du travail, partout et dans tous les pays, est plus qu’une priorité : c’est une urgence. Le temps presse de renverser la vapeur. J’ai travaillé pendant plusieurs mois sur cette question, en tant que rapporteur d’une mission d’information de la commission des affaires européennes. Je me suis rendu en Espagne, où j’ai constaté la gravité de la situation : c’était l’année dernière, mais les choses n’ont pas vraiment évolué, et je ne m’étonne pas de la percée de Podemos ni de la sanction infligée par les électeurs au gouvernement conservateur.

Je me suis aussi rendu en Finlande et en Autriche, pour essayer de comprendre les secrets de ces deux pays, qui obtiennent de bons résultats avec deux modèles fondés sur des paradigmes totalement différents : le premier sur la suprématie et l’excellence de l’enseignement académique, le second sur la place de choix faite à l’apprentissage.

Mon rapport a été adopté par la commission en mars dernier. Nous avons adopté vingt-quatre conclusions, adressées tant à la France qu’à l’Union européenne et qui vont toutes dans le sens d’un soutien accru à la lutte contre le chômage des jeunes.

Je vous renvoie à ce rapport, mes chers collègues, qui serait trop long à détailler ici ; et je souhaite, pour l’heure, concentrer le reste de mon propos sur ce qui m’apparaît le plus urgent : faire de l’ambition de l’Union en matière de soutien à l’emploi des jeunes une réalité, faire que cela fonctionne et que la garantie pour la jeunesse, qui n’a encore de « garantie » que le nom, tienne ses promesses et offre à chaque jeune, dès sa sortie du système d’éducation ou de formation, un emploi stable et de qualité ou, à tout le moins, une formation qui lui permette par la suite d’accéder à un tel emploi.

C’est impératif. Nous ne pouvons laisser notre jeunesse sur le bord du chemin. Nous ne pouvons accepter qu’aujourd’hui, près de 6 millions de jeunes soient au chômage. Ce n’est ni acceptable, ni équitable. Il faut absolument que la Commission européenne mette tout en oeuvre pour que la garantie pour la jeunesse soit une réussite.

Pour cela, il convient non seulement qu’elle accélère la validation des programmes opérationnels, mais aussi qu’elle demeure vigilante quant à leur contenu.

Quant aux crédits de l’initiative européenne pour la jeunesse, ils doivent pour être utiles se concentrer sur des actions concrètes et d’investissement, et éviter le saupoudrage. Il est très rapidement apparu évident – et la Commission s’est rendue à cette analyse – qu’il était nécessaire de revoir ses règles de financement. La Commission a ainsi accepté de revoir les règles de préfinancement, celui-ci n’étant à l’origine que de 1 %. Il semble que la quasi-totalité du préfinancement, porté à présent à 30 %, soit aujourd’hui disponible. C’est une modification importante, mais d’autres améliorations pourraient encore être apportées au dispositif. Le rapport propose ainsi que la Banque européenne d’investissement soit impliquée, avec des véhicules financiers de type prêt à taux zéro par exemple. Nous proposons aussi que les investissements opérés via la garantie pour la jeunesse ne soient pas pris en compte dans le calcul du déficit budgétaire des États membres.

Voilà pour le court terme. Pour le moyen terme, l’Union européenne et l’ensemble des États qui la composent doivent miser sur le capital humain que représentent les jeunes, investir dans ce capital et le valoriser comme s’il était notre bien le plus cher, notamment en orientant les jeunes vers les besoins du marché du travail, afin de faciliter la transition entre leurs études et la vie active – transition qui est pour certains d’entre eux une véritable trappe à inactivité et explique, pour beaucoup, la croissance du nombre de décrocheurs.

Améliorer les conditions de formation, notamment en revalorisant les filières d’apprentissage qui sont dans beaucoup de pays trop dénigrées, alors qu’en Allemagne ou en Autriche elles ont depuis longtemps fait la preuve de leur efficacité en matière d’insertion professionnelle, favoriser la mobilité transfrontalière, mieux encadrer les stages : tels doivent être les objectifs de l’Union européenne, à la frontière entre politique de l’éducation et politique de l’emploi.

Je conclurai mon intervention par une question, monsieur le ministre : quel bilan tirez-vous de la mise en oeuvre de ces fonds, notamment du fonds de l’initiative européenne pour la jeunesse, et quelles perspectives pouvez-vous nous donner pour les années à venir, afin que l’Union européenne prenne à bras-le-corps ce problème qui est celui de toute notre société, l’emploi des jeunes ?

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