Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la jeunesse européenne doit-elle se résoudre à n’être qu’une génération sacrifiée ? Je ne fais ici que reprendre la formule d’un discours de Mario Monti que j’ai eu l’occasion d’entendre un certain mois d’août, à Rimini. Elle n’est sans doute pas trop forte.
Telle est sans doute la véritable question soulevée par un taux de chômage des jeunes, qui varie de 7,8 % en Allemagne à 58,3 % en Grèce, 53,9 % en Espagne et 42,7 % en Italie.
L’Europe entière a été frappée par une crise violente, traumatisée par une récession brutale à laquelle les jeunes, et plus particulièrement les moins qualifiés d’entre eux, ont été les plus sensibles.
Le chômage ne frappe pas pour autant tous les pays de la même manière : les bons résultats de l’Allemagne, de l’Autriche ou de certains pays scandinaves contrastent fortement avec la situation dramatique des pays du sud de l’Europe – nous y reviendrons.
Ainsi, l’Union européenne compte 14 millions de jeunes décrocheurs qui ne sont ni employés, ni étudiants, ni en formation. Cette jeunesse laissée pour compte n’incarne-t-elle pas le malaise d’une Europe en proie au doute sur son avenir ?
Quant à nous, n’en doutons pas : une rupture entre l’Europe et sa jeunesse serait la pire des faillites, celle dont découleraient toutes les autres.
Les risques sont connus : celui d’une jeunesse résignée ou qui se réfugie dans la défiance, voire la désespérance, et qui serait tentée par le rejet de l’Europe ; celui de l’implosion de nos systèmes de solidarité, puisque le chômage des jeunes représente une perte financière évaluée à quelque 150 milliards d’euros par an ; celui d’une Europe privée de nouvelles forces de travail, de ses jeunes talents, de leur inventivité, qui ne pourrait alors que prendre acte, impuissante, du basculement du monde vers les pays émergents.
Ce constat ne doit-il pas interroger plus profondément nos politiques nationales et communautaires ?
L’Europe doit impérativement créer d’autres conditions pour renouer avec la croissance en soutenant l’investissement, donc l’emploi de demain.
Le plan de 315 milliards mis en place par Jean-Claude Juncker apporte un début de réponse, bien qu’incomplète à l’égard d’un tel enjeu.
L’Europe se doit également de prendre des initiatives fortes pour favoriser la mobilité des jeunes en Europe, y compris dans le développement de l’apprentissage – dont l’Allemagne fournit un modèle si intéressant – afin d’offrir de véritables perspectives sur un marché de l’emploi élargi.
Mais, en tout état de cause, il ne relève sans doute pas du rôle de l’Europe d’apporter une réponse uniforme au chômage des jeunes. Le voudrait-elle qu’il serait impossible, et sans doute inopportun, de tenter de transposer des mesures à l’identique dans des pays encore si différents à bien des égards, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la structuration des marchés du travail mais, peut-être encore plus profondément, de la culture même du travail.
En revanche, qu’une impulsion puisse être donnée par l’Europe à des réponses adaptées nationalement, voire territorialement, n’est-ce pas ce que l’on est en droit d’attendre et d’espérer ?
Je souhaiterais enfin évoquer la question plus large des migrations internes à l’Europe.
Nous sommes toutes et tous conscients des vertus de la mobilité des jeunes en Europe, dont le programme Erasmus symbolise sans doute la plus belle réussite. Cette mobilité, ô combien souhaitable sur le plan culturel notamment, n’est-elle pas par ailleurs ambivalente en temps de crise ?
Sous l’effet de la crise et de la paupérisation, notamment des plus jeunes des pays du sud, une nouvelle carte des flux migratoires se dessine désormais à l’intérieur de l’Union européenne.
Ainsi, entre 2007 et 2011, le flux d’Italiens, de Grecs et d’Espagnols vers l’Allemagne a augmenté de 93 % ! Mérites et chances de l’intégration allemande, certes. Mais ces jeunes Européens qui émigrent vers les pays du nord sont souvent les mieux formés et les plus aptes à trouver un emploi. Leur départ ne prive-il pas aussi les pays d’origine de leurs meilleures ressources humaines, aggravant les déséquilibres entre Europe du nord et Europe du sud ?
Cette question mériterait certainement des analyses plus approfondies sur les conséquences de tels mouvements et de telles mutations.
Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si l’Union européenne s’est saisie de cette problématique – pour une fois, ce mot me semble plus juste que le terme « problème ». J’aimerais également savoir quel est l’état d’avancée des connaissances en la matière, et souligner qu’en tout état de cause, la France s’honorerait de promouvoir une réflexion européenne sur ce sujet aussi sensible que complexe.