Intervention de François Rebsamen

Séance en hémicycle du 2 juin 2015 à 15h00
Débat sur l'emploi des jeunes en europe

François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais tout d’abord remercier Philip Cordery pour la qualité du rapport qu’il a présenté. Le panorama européen de l’emploi des jeunes qu’il y dresse indique en effet qu’il y a urgence à poursuivre l’action de l’Europe en faveur de l’emploi des jeunes.

Cette urgence, la France l’a perçue dès 2012, et elle a oeuvré pour que des engagements communs soient pris par l’ensemble des pays membres. C’est le sens de la recommandation sur la garantie européenne pour la jeunesse, adoptée par le Conseil de l’Union européenne en avril 2013. Cette recommandation fixe aux pays de l’Union un objectif clair et concret : proposer à tout jeune de moins de vingt-cinq ans une offre de qualité pour un emploi, un stage ou une formation dans les quatre mois qui suivent sa perte d’emploi ou sa sortie d’études.

Ce cadre d’action commun est à mon sens nécessaire, car il faut apporter une réponse globale à cette situation, par-delà les disparités que l’on peut observer d’un pays à l’autre de l’Union européenne, et que vous avez rappelées.

Une réponse globale, pourquoi ? Parce que 6 millions de jeunes privés d’emploi, c’est une menace pour la cohésion sociale, non seulement de notre pays, mais aussi de l’Europe, qui pourrait se traduire, à terme, par le recul de l’intégration de certains territoires.

C’est une menace pour une génération tout entière, qui risque d’être durablement exclue du marché du travail, même quand la reprise sera là. Or cette génération, ce sont les citoyens européens d’aujourd’hui et de demain. Pourront-ils croire en l’Europe, si celle-ci n’a pas su leur donner de perspectives ?

C’est une menace, enfin, pour la prospérité de l’espace économique européen. Comme le souligne justement le rapport, le non-emploi des NEETs – ces jeunes sans emploi, sans formation, sans stage ni éducation – a un coût qui s’élève à 100 milliards d’euros pour l’Europe à vingt-huit.

Sept ans après le début de la crise, l’urgence est toujours là. Il y a urgence à maintenir l’effort de l’Union en faveur de l’emploi des jeunes, urgence à développer des solutions innovantes pour faciliter l’accès à l’emploi des jeunes, urgence, enfin, à améliorer le fonctionnement des dispositifs existants.

C’est ce que pointe le rapport de Philip Cordery. Et c’est un constat que je partage, et que je suis sûr que vous partagez, car je suis convaincu qu’une Europe qui a du sens pour tous, c’est une Europe qui s’engage dans la durée, pour que la crise ne prive pas sa jeunesse d’avenir.

C’est ce message qu’a porté et que porte encore la France, avec des résultats concrets. Je pense bien sûr à la création de l’initiative pour l’emploi des jeunes, couramment appelée IEJ, qui constitue l’armature financière de la garantie européenne pour la jeunesse. Elle s’élève au total à 434 millions d’euros, en associant aux 216 millions du fonds IEJ les 218 millions d’abondement du Fonds social européen dans sa programmation 2014-2020.

La France a été l’un des pays membres les plus réactifs dans la mobilisation de ces crédits – cela est reconnu – et dans la mise en oeuvre d’un programme opérationnel national en faveur des jeunes NEETs. À tel point que d’autres pays sont venus voir ce que nous faisions.

Ce programme opérationnel national est en cours de déploiement, et poursuit trois objectifs : repérer ces jeunes NEETs, notamment des décrocheurs scolaires, pour une prise en charge adaptée et précoce ; mieux les accompagner, en leur proposant un suivi personnalisé par Pôle emploi, les missions locales, notamment dans le cadre de la garantie jeunes, ou encore l’Association pour l’emploi des cadres, l’APEC, pour les jeunes diplômés ; enfin, faciliter l’insertion professionnelle en proposant une expérience d’insertion professionnelle, à travers, par exemple, les emplois d’avenir, le service civique en alternance, le service militaire adapté dans les DOM, ou encore l’appui à l’entrepreneuriat ou à la mobilité des apprentis.

Ces différentes actions doivent prendre en compte l’hétérogénéité des publics cibles et proposer une offre de service adaptée aux NEETs en situation d’isolement et de grande précarité. C’est l’ambition de la garantie jeunes, financée à hauteur d’un tiers, soit 75 millions d’euros, par des fonds IEJ.

Mise en place dès l’automne 2013 sur dix territoires pilotes, elle concerne aujourd’hui quarante-cinq territoires, et en concernera soixante et un dès le mois de septembre de cette année. Elle illustre la conviction que les jeunes décrocheurs ont besoin d’un accompagnement global, social et professionnel : resocialisation, aide au logement, accompagnement, mobilité, appui à l’élaboration du projet professionnel, travail sur les savoir être en entreprise. Bref, l’objectif est avant tout de mettre les jeunes en contact avec l’emploi, sous toutes ses formes, que ce soit dans le cadre de périodes de mise en situation en milieu professionnel, de stages, de contrats d’intérim, d’apprentissage, de CDD ou de CDI.

Bien sûr, nous ne disposons pas encore d’un bilan quantitatif, mais les premiers retours qualitatifs sur la garantie jeunes sont très positifs. J’ai pu moi-même me rendre sur le terrain et m’en rendre compte dans différentes villes françaises. Ils montrent qu’elle constitue plus qu’une solution transitoire. L’accompagnement personnalisé des jeunes NEETs se ressent dans la qualité de l’emploi trouvé ou retrouvé. En d’autres termes, la garantie jeunes a des effets incontestablement positifs sur les parcours des bénéficiaires, et pas uniquement sur leur situation à un moment donné.

La commissaire européenne Marianne Thyssen a pu m’accompagner et faire le même constat, ainsi que la ministre allemande du travail. C’est parce qu’elle permet la mise en place de dispositifs efficaces comme la garantie jeunes que je souhaite la pérennisation et la simplification des modalités de mise en oeuvre de l’IEJ. C’est d’ailleurs l’une des préconisations du rapport, et c’est la demande qu’a faite la France à la Commission européenne dès l’automne dernier.

La France a déjà obtenu des aménagements, preuve que nous agissons. Ainsi, le montant du préfinancement, qui posait problème aux missions locales qui portaient ces projets, est passé de 1 % à 30 %, et des modalités simplifiées de gestion seront mises en place, après accord de la Commission, notamment pour permettre la liquidation des dépenses sur une base forfaitaire. Sans cette mesure, nous n’arrivions pas à consommer ces crédits, et nous aurions pu les voir disparaître. Mais je suis conscient du fait qu’il faut aller plus loin dans la simplification, et vous pouvez compter sur moi pour porter haut et fort ce message.

Il faut que nous puissions accompagner ces jeunes décrocheurs dans le temps. C’est pourquoi il est indispensable que l’IEJ soit prolongée sur l’ensemble de la période budgétaire 2014-2020. Pour maintenir un niveau d’engagement financier identique, je solliciterai un abondement pour arriver à une enveloppe globale IEJ et FSE de 21 milliards d’euros sur l’ensemble de la période 2014-2020.

La définition des NEETs pourrait être élargie pour inclure les jeunes en cours de décrochage, et pas seulement ceux ayant déjà décroché. En revanche, il est essentiel de ne pas éparpiller ces crédits en revoyant trop largement les critères d’âge : pour que ces actions produisent pleinement leurs effets, il faut qu’elles continuent d’être ciblées.

Il me semble important de ne pas fusionner la garantie européenne pour la jeunesse et la garantie jeunes comme vous le proposez, monsieur Cordery. La garantie européenne pour la jeunesse a permis d’imaginer, au-delà de la garantie jeunes, des dispositifs complémentaires, comme le recrutement – prévu en 2015 – de 740 conseillers spécialisés dans l’accompagnement renforcé des moins de vingt-six ans, et des moins de trente ans dans les quartiers politiques de la ville. Voilà pour ce qui est des positions du Gouvernement sur l’IEJ et la garantie européenne pour la jeunesse.

Comme le souligne le rapport de Philip Cordery, et certains d’entre vous l’ont également évoqué, la formation initiale professionnelle représente une autre solution pour améliorer la situation des jeunes Européens et des jeunes Français vis-à-vis de l’emploi. Elle permet en effet une meilleure adéquation entre les compétences présentes et les compétences attendues sur le marché du travail, et ses résultats en termes d’insertion professionnelle sont probants.

La comparaison avec le modèle allemand ou le modèle autrichien – voire suisse, mais nous sortons de l’Union européenne – est certes intéressante, mais elle ne doit pas nous faire oublier les mérites du système français.

D’un point de vue quantitatif, tout d’abord, la France n’est pas à la traîne : tous dispositifs confondus – contrats d’apprentissage, contrats de professionnalisation et enseignement professionnel – près d’1,25 million de personnes sont en formation professionnelle, soit 17 %. Ce taux est similaire à celui de l’Allemagne.

D’un point de vue qualitatif, l’offre de formation a toute sa pertinence. Il existe en effet deux voies de formation initiale professionnelle, et chacune répond à des besoins différents et correspond à notre histoire. L’enseignement professionnel permet d’obtenir un diplôme sans avoir l’obligation de trouver un employeur. L’apprentissage a d’excellents résultats en matière d’insertion professionnelle, mais il est étroitement dépendant de la conjoncture économique et de la capacité à faire, nous le voyons souvent, des entreprises.

Vous le savez, le Gouvernement s’est engagé dans un vaste plan de relance de l’apprentissage, avec l’objectif toujours réaffirmé de 500 000 apprentis en 2017. La loi du 5 mars 2014 a déjà permis de clarifier les règles de financement, de simplifier les démarches de collecte des entreprises et de sécuriser le parcours des apprentis.

Pour soutenir la rentrée 2015, deux nouvelles mesures viennent d’être décidées. La création d’une aide que j’appellerai « TPE jeune apprenti », qui traduit l’annonce récente du Président de la République.

Toute entreprise de moins de onze salariés employant un apprenti mineur percevra 368 euros par mois pour compenser les cotisations sociales restant à payer et la rémunération légale. Ce dispositif entrera en vigueur très prochainement, d’ici la fin du mois de juin, puisque c’est la période de recrutement des apprentis.

Seconde mesure : la prestation réussite apprentissage, qui a été annoncée dans le cadre du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté. Cette prestation sera ciblée sur les territoires prioritaires de la politique de la ville, notamment. Elle permettra à 10 000 jeunes de se préparer en amont à l’apprentissage, et à l’employeur de les aider à s’intégrer durablement dans leur milieu de travail.

Ces mesures doivent permettre aux entreprises de s’engager résolument en faveur du développement de l’apprentissage.

L’État lui-même doit faire des efforts. En juillet 2014, la fonction publique n’accueillait que 700 apprentis. L’objectif est aujourd’hui fixé à 10 000 apprentis. Nous en sommes déjà à 4 000, ce qui montre bien l’effort que nous avons réalisé.

Contrairement à ce qui peut être dit, le choix d’accueillir un apprenti n’est pas toujours directement lié à des incitations financières – vous le savez, au fond de vous-mêmes. De nombreuses autres données doivent être prises en compte : les freins psychologiques, bien évidemment, mais aussi la réserve de l’employeur à recruter des jeunes peu expérimentés et dont le savoir être dans l’entreprise n’est pas assuré, une mauvaise expérience passée, des problèmes de comportement, des risques de ruptures… Tout cela pèse, et c’est pour lever ces freins que j’ai souhaité lancer une grande campagne de communication et que j’ai fait de l’accompagnement une priorité. Bien évidemment, rien ne sera possible sans un engagement résolu des entreprises dans l’accueil d’apprentis.

Tous ensemble, nous devons encore gagner la bataille des représentations. Malgré tous nos propos, l’apprentissage ne doit pas continuer à être vu comme une voie secondaire, mais comme une voie d’excellence pour entrer sur le marché du travail. Tout le monde a encore du travail à faire pour vaincre ces réticences.

Un des leviers pour y parvenir consiste à renforcer le lien entre le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise.

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