Intervention de Jean-Paul Bodin

Réunion du 21 mai 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration :

Il y a en effet des discussions avec Sciences Po, mais alors que cet organisme préférerait une cession de gré à gré, nous préférons un appel d'offres.

La majoration de crédits résultant de l'actualisation de la LPM permet de financer les deux axes prioritaires que j'évoquais.

Le premier, qui a trait au nouveau contrat protection, prévoit une réduction de la déflation des effectifs à hauteur de 18 750 équivalents temps plein (ETP) de 2015 à 2019, afin notamment que les armées soient en mesure de déployer dans la durée 7 000 hommes des forces terrestres sur le territoire national – cet effectif pouvant monter jusqu'à 10 000 pendant un mois. 2,8 milliards d'euros vont permettre de financer cette moindre déflation et les coûts de fonctionnement.

Le deuxième axe prioritaire concerne le financement de l'équipement des forces, notamment une partie importante d'entretien programmé des matériels à hauteur de 500 millions d'euros sur la période, permettant la régénération des matériels soumis à de fortes pressions en opérations extérieures (OPEX). En sus d'une majoration des crédits budgétaires d'1 milliard d'euros par rapport à la LPM initiale au profit de l'équipement, 1 milliard d'euros est redéployé au bénéfice des opérations d'armement, du fait de l'évolution favorable des indices économiques depuis le vote de la LPM, pour financer plusieurs besoins : pour les hélicoptères, sept Tigre et six NH90 TTH ; pour le transport tactique et le ravitaillement en vol, la mise à disposition de quatre C-130, qui est à l'étude, et l'avancement de la livraison des trois derniers MRTT ; pour le renseignement, la charge utile ROEM pour le drone Reaper ; et pour la cohérence opérationnelle, l'acquisition d'un quatrième BSAH et celle d'un quatrième B2M, au profit de la marine.

En moyenne, la dotation annuelle consacrée à l'équipement s'élèvera à près de 17,6 milliards d'euros courants.

S'agissant des effectifs et de la manière dont sera conduite la nouvelle manoeuvre RH, tout n'est pas complètement déterminé, notamment la répartition des effectifs entre grandes entités du ministère.

Le Président de la République a, on le sait, décidé une réduction du volume et du rythme de la diminution des effectifs.

Les 18 750 moindres déflations d'effectifs correspondent à plusieurs mesures : une décision du Premier ministre de créer 250 postes dans le domaine du renseignement ; la demande du Président de la République de mettre en oeuvre le nouveau contrat opérationnel de protection du territoire national, soit 7 000 hommes dans la durée – et donc une augmentation de la force opérationnelle terrestre (FOT) de 66 000 à 77 000 hommes ; des « besoins nouveaux », à hauteur de 5 000 emplois, pour répondre aux exigences et priorités liées à l'aggravation du contexte sécuritaire – notamment le soutien aux nouveaux moyens alloués à la mission protection, le renforcement des capacités de cyberdéfense, de sécurité des systèmes d'information et de renseignement – et à la prise en compte du soutien aux opérations d'exportation ; enfin, la sécurisation des capacités opérationnelles, nécessitant d'annuler une partie des 3 500 suppressions de postes sur les 7 000 prévues dans le cadre des chantiers de transformation du ministère – on constate en particulier des tensions très fortes dans les services de soutien.

Initialement prévue à hauteur de 33 675 ETP dont 10 175 au titre de l'achèvement de la précédente LPM et 23 500 dans le cadre de l'actuelle, la déflation se poursuivra, mais sera ramenée sur l'ensemble de la période à 14 925, dont plus de 8 000 ont été réalisées en 2014.

La déflation, c'est-à-dire le solde entre créations et suppressions sera de l'ordre de – 6 918 postes entre 2016 et 2019. Ainsi, 4 500 postes seront supprimés en 2016, 3 149 en 2017, 3 018 en 2018 et environ 3 800 en 2019. En 2015, créations et suppressions seront équivalentes. Le solde sera en revanche positif en 2016 avec + 2 300 ETP compte tenu de la volonté d'atteindre les effectifs de constitution de la FOT en 2015 et 2016. Cela se traduira en 2015 par une augmentation du recrutement dans l'armée de terre, qui produira vraisemblablement des effets en fin d'année, et par un accroissement massif du recrutement en 2016, pour être sûr d'avoir en 2017 une FOT à 77 000 hommes.

La déflation des effectifs militaires entre 2014 et 2019 devrait être de l'ordre de 9 400 emplois. Les effectifs du personnel civil seront réduits de 5 500 postes, sachant que ceux des catégories A et B augmenteront afin de mettre en oeuvre les renforts décidés, notamment dans le domaine du renseignement et de la cybersécurité. Parallèlement, le dépyramidage du personnel militaire va se poursuivre : le nombre d'officiers devrait être réduit d'environ 2 300 d'ici la fin de la LPM dont, en 2016, une réduction de 50, résultant de 830 suppressions de postes et de 780 créations. En effet, la FOT outre une grande proportion de militaires du rang et de sous-officiers, nécessite également de jeunes officiers – principalement du personnel contractuel.

Par ailleurs, l'armement des postes cyber ou en matière de renseignement ou de sécurité des systèmes d'information nécessitera un effort important de recrutement. Nous aurons donc une manoeuvre assez compliquée à gérer puisqu'il faudra d'un côté recruter et, de l'autre, supprimer des emplois. L'année 2015 est caractéristique de cette manoeuvre puisque 7 500 postes seront supprimés alors que, dans le même temps, 7 500 recrutements supplémentaires seront effectués – sachant qu'il n'y a pas de concordance entre ces deux types d'emplois, qui portent sur des missions différentes.

C'est pour cette raison que nous avons insisté pour que soient maintenus les leviers d'aides aux départs, qui sont un sujet de débat interministériel. La ministre chargée de la fonction publique s'est notamment demandé pourquoi maintenir ce dispositif alors que les effectifs diminuent moins que prévu. Reste qu'il ne s'agit pas des mêmes catégories de personnes.

Les mesures d'aide au départ en vigueur, mises en place en début de programmation, donnent sur le principe satisfaction à la population militaire, mais il faut les rendre plus efficientes et durablement efficaces en en modifiant les curseurs, afin d'élargir les viviers et d'augmenter la sélectivité. C'est pourquoi quelques ajustements ont été inclus dans l'actualisation de la LPM.

La promotion fonctionnelle (PF) permet de promouvoir au grade supérieur des officiers et sous-officiers, au vu de leurs mérites et de leurs compétences, pour occuper certains emplois pendant une durée de 24 à 36 mois, avant leur départ à la retraite avec droit à pension à jouissance immédiate ou leur admission en deuxième section. Mais le dispositif actuel s'avérant insuffisamment attractif – moins d'une centaine de personnes en bénéficiera en 2015 –, il est proposé d'en assouplir les règles sur deux points. D'abord, modifier la condition d'appréciation du droit à pension. Au lieu d'exiger un droit à retraite à jouissance immédiate à la date de la promotion fonctionnelle, il est prévu simplement une durée minimale de services de 15 ans, condition d'ouverture d'un droit à retraite. Pour les officiers comptant moins de 27 ans de services, la pension de retraite sera à jouissance différée, mais s'appliquera de façon plus souple. Le vivier des officiers pouvant bénéficier de ce dispositif passerait ainsi de 1 600 à 2 700. Cela nous permettra d'avoir un dialogue plus clair avec les officiers et de faire en sorte que nous réussissions à garder certaines spécialités. Deuxième point : porter à 48 mois la durée des fonctions exercées par les officiers généraux de la direction générale de l'armement (DGA), du service de santé des armées (SSA) et du service d'infrastructure de la Défense (SID), qui ont des limites d'âge plus élevées – 65 à 67 ans contre 59 ans pour les officiers des armes – et conduisent des missions de plus long terme.

Par ailleurs, la pension afférente au grade supérieur (PAGS) permet aux officiers et sous-officiers de prétendre à une retraite afférente au grade supérieur avec prise en compte des services que le militaire aurait accomplis jusqu'à sa limite d'âge. Les modifications proposées visent à étendre le vivier – s'agissant notamment du grade de commandant – et à rendre moins contraignante la mise en oeuvre par les gestionnaires. Un abaissement de cinq à deux ans de la condition d'ancienneté dans le grade permettra d'augmenter de 46 % le vivier des officiers pouvant prétendre au bénéfice de ce dispositif et d'améliorer la sélection des candidats. En 2014, on a ainsi enregistré 235 PAGS pour un vivier de 2 763 éligibles, lequel pourrait être porté à environ 4 000. Il est aussi prévu de fixer dans l'arrêté de contingent annuel un volume global par grade – et non plus par grade et corps –, ce qui facilitera la manoeuvre des gestionnaires et le dépyramidage souhaité dans le cadre de la LPM.

Je ne cache pas que le niveau de contrainte sur la manoeuvre RH reste très élevé. Si nous n'avons pas des mesures d'accompagnement, on aura des difficultés réelles à faire partir le personnel et à dépyramider, ce qui pèsera sur le titre 2, qui demeure calculé au plus juste. Comme nous aurons à recruter des militaires du rang, il faudra en effet qu'on parvienne à faire partir des personnels de carrière, notamment sous-officiers et officiers. Outre que nous ne sommes pas sûrs de ces départs, nous avons quelques interrogations sur certaines dépenses, comme les dépenses de chômage. En effet, nous avons actuellement un débat sur les durées de recrutement : je suis personnellement très réservé sur des durées courtes, car plus celles-ci sont brèves, moins les personnels acquièrent une expérience valorisable – sachant que se posent par ailleurs des questions d'attractivité.

L'adoption des dispositions relatives aux associations professionnelles nationales de militaires permettra de tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a condamné la France, le 2 octobre 2014, pour non-respect de l'article 11 de la convention européenne des droits de l'homme consacré au droit d'association. La Cour a en effet rappelé que les militaires ne pouvaient être exclus de manière générale du « droit de fonder… des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de [leurs] intérêts ».

À la suite des préconisations du président de la section de l'administration du Conseil d'État, est proposée dans le présent projet de loi la création d'associations sui generis, dites « Associations professionnelles nationales de militaires (APNM) », strictement indépendantes du commandement, des partis politiques, des confessions religieuses, des organisations syndicales ou patronales, des entreprises ou des États étrangers. Ce projet de loi vise à concilier ce droit avec le respect des obligations de neutralité, de disponibilité et d'obéissance requises par l'état militaire. Sont également interdits à l'ensemble des militaires l'exercice des droits de grève, de manifestation et de retrait et, aux militaires engagés en OPEX, la conduite d'actions collectives ou individuelles pouvant porter à discuter de l'engagement des opérations.

Les APNM interviendront dans le dialogue social avec la hiérarchie militaire, en fonction de leur représentativité, notamment par l'intermédiaire de leurs représentants au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM).

Chacune de ces APNM devra s'adresser à l'ensemble des catégories de militaires d'au moins l'une des forces armées ou formations rattachées.

Leur représentativité s'appréciera en tenant compte, non seulement des effectifs d'adhérents et des cotisations perçues, mais également « de la diversité des groupes de grades (…) représentés ». On cherche donc à avoir des associations qui soient les plus ouvertes possibles sur l'ensemble de la population militaire.

Ces associations siégeront à terme au sein du CSFM dans la limite du tiers du total de ses sièges. Par ailleurs, on envisage de conforter ce dernier et de distinguer les conseils de la fonction militaire qui traiteront des questions relatives à une armée et pourront traiter des questions évoquées en CSFM : on ne sera plus dans un mécanisme systématique de préparation des séances du CSFM en CFM.

Le CSFM, quant à lui, étudiera les questions relatives à la condition militaire, dont une définition sera donnée par la loi.

Ce droit d'association constitue une évolution importante des modes de fonctionnement, de concertation et de représentation du personnel au sein du ministère. Mais on ne peut pas dire comment les choses vont se passer, notamment si des associations seront rapidement créées. Je pense que cela aura un impact à terme sur le fonctionnement de la concertation au sein du ministère. Pour présider la seule structure où se retrouvent personnels militaires et personnels civils, qui est le Conseil central de l'action sociale, je vois bien que les formes de dialogue sont différentes avec les deux « familles » rassemblées par rapport au dialogue avec les syndicats d'un côté et le CSFM de l'autre.

Enfin, quelques points de vigilance me semblent devoir être partagés avec vous.

Le premier porte sur le coût des facteurs et les gains de pouvoir d'achat identifiés par le rapport de l'IGF et du CGA. Il faut consolider les gains prévus d'1 milliard d'euros, d'autant qu'ils seraient utilisés pour les dépenses d'équipement.

S'agissant de la manoeuvre RH, j'aurai, en tant que responsable du pilotage de l'ensemble de la masse salariale du ministère, à en gérer la complexité. Cela nécessite la mise en place d'outils de suivi. On a commencé à avoir depuis le début de l'année des structures de pilotage des dépenses du titre 2 et de discussions avec les états-majors. Il nous faut très vite avoir une ventilation des effectifs entre armées, sachant qu'il y aura des réductions d'effectifs dans chaque armée et dans les services. Cela nécessite un dialogue interne très fort. Depuis que ces dispositifs d'autorité fonctionnelle renforcée et de pilotage du titre 2 sont en place, toutes les décisions sont prises collégialement.

Le troisième point de vigilance est la perception des réformes par le personnel au sein du ministère. Les enquêtes sociologiques, notamment celle faite par la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRHMD) à la fin 2014 sur ce sujet, montrent une certaine inquiétude. Si les annonces du Président de la République permettent de rassurer, notamment sur l'évolution des effectifs, le personnel ne sera pleinement rassuré que lorsqu'il verra comment l'évolution des effectifs se traduira – sachant qu'il y a une inquiétude assez forte dans les services de soutien. Il faut donc être en mesure d'expliquer comment les choses vont évoluer dans les services et pourquoi, malgré la moindre déflation des effectifs, il est indispensable de continuer à faire des restructurations – lesquelles sont, au bout d'un certain temps, de plus en plus difficiles à admettre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion