Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 21 mai 2015 à 15h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Certes, votre commission n'a pas l'exclusivité de ce soutien, mais vous avez largement votre part et, avec votre appui, le redressement de l'effort de défense permet de maintenir une cohérence entre les moyens qui nous sont donnés et les missions qui nous sont confiées. Vous trouvez là l'idée maîtresse de l'argumentation que j'ai faite valoir auprès du Président de la République.

Dans le cadre de la LPM, nous avions défini un modèle complet d'armée, certes taillé au plus juste – je vous l'ai dit déjà plusieurs fois –, mais cohérent et adaptable. C'est grâce à ces qualités que nous avons pu, jusqu'à présent, remplir les missions qui nous ont été confiées. C'est grâce à ces qualités que nous pouvons maintenant l'actualiser à l'aune d'un nouveau contexte. Nous nous livrons à un exercice de densification d'un modèle toujours pertinent et que nous voulons plus robuste, c'est-à-dire à la fois adapté à un contexte sécuritaire qui s'est durci et prenant en compte les missions nouvelles que nos armées doivent désormais assumer.

Pour remplir les missions qui me sont confiées, l'augmentation du budget de la défense est plus qu'un besoin, c'est une nécessité. Je ne mésestime pas l'effort que cela représente pour la Nation dans le contexte économique actuel, mais ce n'est pas une faveur faite aux armées, c'est la preuve que notre pays, dans un monde de plus en plus imprévisible et menaçant, veut demeurer maître de son destin. C'est l'honneur de la France de prendre cette décision courageuse.

Renforcer le budget de la défense est nécessaire : sans les ajustements proposés par le projet de loi d'actualisation de la LPM, nous ne serions bientôt plus en mesure d'assurer correctement la totalité de nos missions ni de conserver notre modèle d'armée, notamment pour la période 2016-2019. Pour vous le démontrer, j'articulerai mon discours en trois parties : je reviendrai, dans un premier temps, sur les facteurs qui mettent sous tension nos armées et justifient l'actualisation de la LPM, puis sur la réponse qu'apporte précisément le projet de loi, enfin sur trois points d'attention.

L'actualisation de la LPM était prévue pour 2015 – de même qu'une autre aura lieu en 2017. Trois éléments la justifient : la protection du territoire national, les opérations extérieures et le soutien aux exportations.

J'évoquerai d'abord les missions des armées qui concourent directement à la protection du territoire national. Au-delà, bien sûr, de la dissuasion nucléaire, que je n'évoquerai pas ici et qui n'est pas concernée par l'actualisation, ces missions comprennent la protection des approches maritimes et aériennes de notre territoire – à laquelle concourent quotidiennement plusieurs milliers de marins et d'aviateurs – ainsi que l'engagement de nos soldats sur le sol national pour protéger la population.

Sur le territoire national, jusqu'à 10 000 hommes ont été déployés en quelques jours, en janvier dernier, après les attentats parisiens. Ce déploiement sans précédent s'inscrit désormais dans la durée avec l'opération Sentinelle. L'emploi de ce volume de troupes déséquilibre actuellement les armées, et singulièrement l'armée de terre : la préparation opérationnelle a été réduite, des engagements internationaux ont été annulés, des relèves modifiées ; en outre, des soldats ont eu leurs permissions diminuées, voire supprimées, certains entamant en ce moment leur troisième rotation, ce qui correspond parfois à douze semaines d'engagement – sur seize – depuis la mi-janvier. C'est considérable. Qui assumerait cette charge sans faire valoir ses droits individuels ? Nos militaires, ces jeunes Français que vous croisez dans Paris et dans vos circonscriptions, le font sans se plaindre. C'est mon devoir de vous le dire : ils méritent la reconnaissance de la Nation, ils méritent en tout cas les moyens de leurs missions – c'est un minimum. Les armées n'ont pas de syndicat ; leur seul syndicat, c'est la voix de leurs chefs et donc, en l'occurrence, aujourd'hui, devant vous : la mienne.

Soyons clairs : cet engagement n'est pas tenable sans effectifs supplémentaires. Le volume de forces engagées sur le territoire national s'ajoute en effet à celui en opérations extérieures, dans le cadre des missions permanentes, aux forces de présence et de souveraineté. Au total, à l'heure où je vous parle, environ 37 000 soldats sont déployés dans ces missions et dans la durée – je prends ici en compte, bien sûr, les missions de protection. On ne peut pas aller au-delà sous prétexte que les militaires ne se plaignent pas.

Sur l'emploi des armées sur le territoire national en protection de la population, la réflexion doit être poursuivie : quel cadre, quelles missions, quelle coopération avec les forces de sécurité intérieure, quels équipements ? Un rapport sur le sujet, sous l'autorité du Premier ministre, a été commandé par le Président de la République. Il permettra, je l'espère, de mieux définir l'emploi des forces déployées à l'intérieur de nos frontières.

Deuxième justification de l'actualisation de la LPM : les opérations extérieures. Plus de 8 000 hommes et femmes de nos armées sont actuellement déployés en opérations extérieures. Ils remportent d'indéniables succès opérationnels. L'actualité la plus récente nous le montre encore avec le bilan de l'opération qui, au nord du Mali, a conduit, lundi matin, sous mon commandement, à mettre hors de combat le principal chef opérationnel touareg d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Abdelkrim le Touareg, ainsi que l'adjoint d'Iyad Ag Ghali chargé de la police religieuse et des éliminations ciblées d'opposants, Ibrahim Ag Inawalen. C'est un exemple emblématique, car la disparition de ces deux terroristes porte un coup sévère à nos adversaires. C'est aussi un exemple qui montre la qualité de notre renseignement militaire, de nos capacités de planification, de nos capacités d'action. Il montre la qualité de la boucle – vertueuse : renseignement, suivi de la cible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et neutralisation au bon moment, au bon endroit, avec les bons modes d'action et les bons moyens.

Au-delà du volume de troupes, la pression opérationnelle exercée par les OPEX sur les armées est accentuée par deux facteurs principaux.

Le premier facteur concerne les élongations. Les opérations se déroulent sur des zones aux dimensions très importantes qui mettent sous tension nos moyens de transport aéroterrestres avec une surconsommation de leur potentiel. La zone d'opération au Sahel, on ne le dit pas assez, représente à elle seule près de huit fois la superficie de la France, ce qui implique des temps de vol importants pour que nos avions et nos hélicoptères arrivent sur leurs objectifs, et nécessite deux fois plus de moyens de communication qu'un autre théâtre. Autre illustration de ces élongations : l'évacuation de nos ressortissants par la marine, le mois dernier au Yémen, s'est déroulée à 5 000 kilomètres de nos frontières.

Le deuxième facteur est la dureté des théâtres et des opérations. Les conditions d'engagement sont extrêmes pour le personnel comme pour les équipements. Au nord du Mali, du fait de la chaleur – quelque 45 degrés –, chaque homme consomme chaque jour plus de douze litres d'eau. Le caractère abrasif des sables du Sahel et du Levant, de la rocaille des massifs du nord du Mali et de la latérite centrafricaine, conjugué aux vents violents, à la chaleur et aux amplitudes de température de ces théâtres, provoquent également une usure accélérée de nos matériels. Pour les vecteurs aériens, notamment les hélicoptères, ces conditions extrêmes provoquent une dégradation majeure des ensembles mécaniques. En outre, quelque 20 % des matériels terrestres de retour de l'opération Barkhane sont irrécupérables.

Sans moyens financiers supplémentaires pour régénérer ces matériels, et compte tenu de leur âge, le maintien du niveau d'engagement actuel se traduirait à court terme par une diminution rapide de plusieurs parcs, dont ceux des avions de transport tactique et de patrouille maritime, des hélicoptères de manoeuvre et des véhicules blindés. Sans moyens financiers supplémentaires pour l'entretien des matériels, nous mettons en danger notre personnel.

Il faut avoir à l'esprit l'état réel de nos équipements : lors de mon déplacement à Tessalit, il y a une quinzaine de jours, j'ai embarqué dans un véhicule de l'avant blindé (VAB) livré en… 1983. Si nous ne réagissons pas, notre efficacité et notre capacité à durer seraient rapidement compromises. Nos amis britanniques ont connu ce phénomène de retour d'Irak et, plus récemment, d'Afghanistan. Pour éviter ce risque, des mesures urgentes s'imposent et avec d'autant plus de force que le contexte sécuritaire international se dégrade aussi bien sur le flanc est que sur le flanc sud de l'Europe.

En effet, aujourd'hui, ce sont Daech et le terrorisme islamiste radical qui continuent à se déployer en s'appuyant sur une propagande mondiale puissante ; ce sont environ 1 600 Français partis combattre à l'étranger et dont le retour, réel ou potentiel, accentue la menace à l'intérieur même de nos frontières ; c'est AQMI et les groupes armés terroristes de la bande sahélo-saharienne (BSS), qui se jouent de la porosité des frontières pour se camoufler, puis agir – mais nous venons de leur faire mal ; c'est Boko Haram, qui déstabilise la région du lac Tchad et terrorise la population ; c'est le risque de connexion entre les groupes armés terroristes des différents théâtres : AQMI au Sahel, Daech et Jabhat Al-Nosra au Levant, Boko Haram au Nigeria, sans parler des Shebabs de Somalie ; c'est la crise ukrainienne, qui fait peser le risque du retour de la guerre en Europe : l'évolution de la situation y reste mouvante et incertaine ; c'est la misère, qui pousse des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants à prendre tous les risques pour rejoindre l'Europe.

Ne nous payons pas de mots : la guerre, l'affrontement sont de retour de façon durable, avec une multiplication de crises de plus en plus violentes qui nous menacent très directement.

Le troisième et dernier élément qui justifie l'actualisation de la LPM touche aux exportations. C'était un point d'attention de la LPM et, nous pouvons l'affirmer, c'est un pari réussi. Je fais référence aux ventes de Rafale à l'Égypte, au Qatar, probablement à l'Inde, mais aussi d'une frégate à l'Égypte et de différents matériels au Liban. L'augmentation des exportations d'armements est significative. Nous pouvons collectivement en être fiers : c'est le fruit d'années d'efforts et ce sont autant de succès pour « l'équipe France » qui consolident l'équilibre et la soutenabilité de la LPM, tout en renforçant notre plateforme industrielle de défense.

Les armées ont pris leur part dans ces réussites avec, en amont, la participation aux travaux de conception et de définition du besoin, puis la crédibilité opérationnelle apportée aux équipements sur les théâtres d'opérations. Les armées contribuent également, par la qualité des relations internationales militaires qu'elles entretiennent de par le monde, à faciliter les négociations. Les armées participent également à l'accompagnement de ces marchés. Nous devons prendre en compte cette mission nouvelle, qui comprend notamment la formation des équipages, des pilotes et des maintenanciers.

L'impact sur l'équipement de nos forces doit également être considéré. Je prendrai deux exemples concrets. Le prélèvement d'une frégate multi-missions (FREMM) pour l'export impose de prolonger trois frégates anciennes pendant un an chacune. Cela représente une charge de 212 équivalents temps plein (ETP) pour la période 2016-2019, effectifs auxquels s'ajoutent trente-cinq marins affectés au soutien à l'export. De la même manière, l'exportation de Rafale impose, entre autres, un surcroît d'activités et donc la nécessaire prolongation d'un parc de six Mirage 2000C pendant quatre ans. Vous le voyez, ces contrats d'exportation ont, pour les armées, un effet sur les effectifs, le fonctionnement et la formation ; ils ont donc un coût financier. L'actualisation de la LPM doit intégrer ces paramètres.

Aussi, pour résumer cette première partie, je retiens, sur la base d'une LPM sans marges : un engagement massif sur le territoire national, lequel remet en cause le format cible de nos armées ; des opérations extérieures qui usent les matériels ; enfin des exportations qui impliquent de nouvelles charges pour nos armées. L'actualisation de la LPM doit donc répondre à ces problématiques ; c'est l'objet de ma deuxième partie.

La réponse apportée par le projet de loi est à la fois capacitaire et organisationnelle : elle n'est possible qu'avec des ressources budgétaires adaptées.

Elle est d'abord capacitaire et se décline en trois domaines principaux : les effectifs, les équipements et le maintien en condition opérationnelle du matériel.

La mise en oeuvre du contrat protection a montré la nécessité de pouvoir disposer d'effectifs militaires en nombre suffisant. Vous le savez, le Président de la République a décidé de réduire de 18 750 postes la déflation des effectifs du ministère d'ici à 2019. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'une augmentation des effectifs, mais bien d'une moindre baisse ; nous aurons en 2019 moins de militaires professionnels qu'en 1996 avant la professionnalisation. Ce n'est donc pas une inversion, mais une moindre déflation. Elle marque cependant une réelle inflexion de tendance et une mise en cohérence entre le constat sécuritaire et les conclusions qu'il faut en tirer, entre les missions et les moyens.

Cette décision desserre l'étau des effectifs et nous permettra une remontée en puissance rapide de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 soldats, afin de conserver la capacité à maintenir dans la durée les 7 000 hommes que j'ai évoqués, impliqués dans l'opération Sentinelle. Elle donne en outre la capacité permanente d'aller, si besoin et sur court préavis, jusqu'à déployer 10 000 soldats pour quatre semaines. À travers la force opérationnelle terrestre, qui est aussi le réservoir pour les OPEX, c'est donc bien aux unités de combat que va la priorité en effectifs. Pour la première fois depuis cinquante ans, on va recréer des compagnies de combat dans les régiments.

Cette dynamique bénéficie également à l'ensemble des armées. Environ 1 000 postes seront consacrés au domaine du renseignement et de la cyberdéfense. L'actualisation de ces besoins est incontournable. Traquer des terroristes et anticiper au plus tôt leurs attaques, se protéger contre les attaques cyber de Daech, telle celle qui a ciblé TV5 Monde au mois d'avril, retrouver la trace d'un otage, comme ce ressortissant néerlandais au milieu du désert malien – toutes ces actions nécessitent des moyens matériels perfectionnés et des ressources humaines de grande qualité.

Une dernière part des effectifs préservés permettra aux armées, directions et services, de répondre aux besoins nouveaux liés principalement au soutien des exportations et au renforcement de la protection des sites militaires, mais également de limiter les risques dans la conduite de leurs plans de transformation, en évitant un « bourrage » par des effectifs non identifiés dans les déflations.

La moindre déflation d'effectifs a un coût en matière de masse salariale, de formation, de vie quotidienne – je pense en particulier à l'infrastructure –, d'équipement et d'entraînement de ces militaires. Ce coût doit aussi prendre en compte la rénovation de notre système de réserve qui devient indispensable pour aider à répondre aux nouveaux défis. Les réserves font partie intégrante de notre modèle d'armée professionnelle. Je suis pour ma part persuadé que leur développement pourrait contribuer davantage encore à la cohésion nationale. Elles doivent participer, plus et mieux, à de nouvelles missions comme, en particulier, la protection du territoire. Il faut une réserve plus jeune, plus réactive, et plus attractive. Cette actualisation va dans la bonne direction, là aussi, sur ce plan.

Effort sur les effectifs, développement de la réserve, effets induits par le soutien à l'exportation nécessitent au total un financement de 2,8 milliards d'euros pour la période 2016-2019.

En ce qui concerne les équipements et le maintien en condition du matériel, si le cap d'un modèle complet d'armée pour 2020 reste inchangé, nous avons dû, là encore, nous adapter au nouveau contexte en portant notre effort sur la modernisation de nos capacités de renseignement et cyber, sur les frappes dans la profondeur, sur la mobilité et sur la protection des forces. C'est surtout le bon moment pour intégrer les enseignements de nos engagements des trois dernières années au Sahel, au Levant, en République centrafricaine et ailleurs.

Nous devons veiller à quatre aptitudes principales – ce ne sont pas les équipements qui dictent les choix, mais les aptitudes dont doit disposer le chef militaire sur le terrain. Des mesures capacitaires prévues par le projet de loi viennent les appuyer pour un montant total de 2 milliards d'euros : 1,5 milliard d'euros pour les équipements et 500 millions d'euros pour l'entretien programmé des matériels.

La première aptitude consiste à garder l'initiative. Dans la bande sahélo-saharienne, nos opérations aéroterrestres nécessitent de disposer d'une grande réactivité pour conserver l'initiative. Nos actions combinent hélicoptères de transport de troupes et hélicoptères d'attaque. Le potentiel de nos parcs est actuellement insuffisant pour tenir le rythme des opérations. Pour y remédier, l'acquisition d'hélicoptères est primordiale. Le projet de loi prévoit d'anticiper l'acquisition de six NH90 et de valider la tranche conditionnelle de sept Tigre supplémentaires. Maîtriser le processus de ciblage, s'assurer de la précision des tirs et maîtriser les effets collatéraux, sont aussi des savoir-faire qui font la différence sur le terrain. C'est l'objectif de l'acquisition de pods de désignation laser de nouvelle génération pour nos avions de chasse. De la même façon, l'achat de matériels, comme celui de jumelles de vision nocturne complémentaires, permettra à nos forces spéciales de conserver leur avantage technologique au combat. Il s'agit ensuite – c'est la deuxième aptitude – d'accroître la mobilité de nos forces. Du fait de la dispersion des théâtres et de leur étendue, face à un ennemi fugace, nous devons renforcer nos capacités de mobilité stratégique et opérative. Elles sont, vous le savez, particulièrement sous tension. Le besoin sur les théâtres en transport tactique et en ravitaillement en vol est supérieur de 50 % à ce que prévoient les contrats opérationnels du Livre blanc. Nos avions de transport tactiques sont vieillissants et d'un fonctionnement très coûteux. L'urgence de la situation ne permet pas d'attendre plus longtemps la montée en capacité tactique des A400M. Par ailleurs, le vieillissement de la flotte de ravitailleurs fait peser un risque sur l'action aérienne. Il est donc de première importance d'acquérir quatre avions de transport tactiques Cl30 et d'avancer la livraison des trois derniers MRTT.

Troisième aptitude, il convient d'optimiser l'endurance et la disponibilité de nos matériels. Pour cela, nous devons consolider le soutien logistique avec un effort nécessaire pour l'entretien du matériel – que nous appelons « entretien programmé du matériel » –, indispensable à la régénération des équipements les plus sollicités. Le projet de loi prévoit d'affecter 500 millions d'euros, pour la période 2016-2019, à la régénération des matériels fortement sollicités en opérations. C'est un minimum, car, actuellement, nous consommons plus vite que nous ne sommes capables de régénérer. C'est pourquoi cette somme est vitale pour le maintien des capacités opérationnelles de nos armées.

La quatrième et dernière aptitude revient à anticiper nos engagements grâce à nos capacités de renseignement, de surveillance et de maîtrise des espaces matériels et immatériels. La nécessaire anticipation stratégique et tactique passe notamment par l'observation spatiale avec l'acquisition, en coopération avec l'Allemagne, d'un troisième satellite pour le programme de la composante spatiale optique (CSO). Elle passe également par des capacités d'écoutes tactiques. Ces capacités amélioreront la surveillance des vastes zones d'opérations et l'appui direct des forces au contact, ainsi que les actions de ciblage.

Au-delà de ces aptitudes essentielles, nous devons aussi répondre à l'urgence de ruptures de capacités réelles ou potentielles. Nous le faisons avec des mesures de cohérence opérationnelle qu'il ne nous est plus possible de reporter, comme l'achat de lots OPEX pour les Rafale, la régénération des véhicules blindés légers, l'acquisition d'un quatrième bâtiment de soutien et d'assistance hauturier et d'un bâtiment multi-missions supplémentaire. La mobilité, l'initiative, l'endurance et l'anticipation : toutes ces aptitudes ne valent que si elles sont mises en oeuvre par des hommes et des femmes compétents au sein d'une organisation performante. Cela m'amène à aborder, après ce premier volet capacitaire de la réponse, le volet organisationnel, sous-tendu par la transformation des armées, directions et services, qui continue et représente elle aussi un enjeu de cohérence, une exigence de réussite et un gage d'avenir pour notre outil de défense.

Les objectifs de rationalisation et de réforme interne demeurent. Vous pouvez compter sur moi et sur les chefs d'état-major d'armée pour maintenir les objectifs définis par le projet CAP 2020. Il s'agit toujours d'optimiser nos capacités opérationnelles et d'affûter notre organisation générale. Ne croyez pas que ce que nous avons obtenu grâce à l'actualisation de la LPM nous permettra de ralentir le rythme de ces projets de transformation, bien au contraire : nous irons au bout.

La transformation concerne toutes les armées, directions et services. Vous connaissez les différents projets mis en oeuvre par chacun : « Au contact ! », pour l'armée de terre – nouveau projet cohérent, rationnel, adapté à la nouvelle situation –, « Horizon Marine 2025 », pour la marine, « Unis pour faire face », pour l'armée de l'air, « SCA 21 », pour le service du commissariat des armées, « SSA 2020 », projet ambitieux pour le service de santé des armées, « projet DRM », pour la direction du renseignement militaire, « projet Quartz », pour la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (DIRISI), « SEA 2020 », pour le service des essences des armées, « SIMu 2019 », pour le service interarmées des munitions. Je les cite tous pour montrer qu'un modèle d'armée est bien un tout cohérent, entre nos trois armées et toutes les directions et services. Tous ces projets sont en marche autour de trente-deux chantiers ministériels.

Ces projets visent en particulier : à rationaliser le soutien, l'environnement des forces et de nos organisations, sans fragiliser l'efficacité opérationnelle ; à rénover notre modèle des ressources humaines – nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, avec un vrai « dépyramidage », un modèle plus souple dans la gestion des carrières, plus attrayant par des parcours professionnels mieux adaptés aux besoins opérationnels des armées, en renforçant la cohérence entre le grade, les responsabilités et la rémunération – ; ces projets visent enfin à optimiser des structures de commandement ; objectif symbolisé par le regroupement du ministère à Balard et qui concerne tous les états-majors.

La transformation, c'est, en somme, un nouveau logiciel de fonctionnement des armées, directions et services, avec, en prime, un recentrage encore plus marqué sur le coeur opérationnel.

Au total, j'affirme avec gravité que l'effort humain et financier que comprend ce projet de loi nous donnera les moyens d'atteindre ces objectifs.

Je souhaite à présent vous livrer mes points d'attention – ma troisième et dernière partie –, au nombre de trois : la préparation de l'avenir, le budget et le moral de nos soldats.

Les décisions que nous prenons dans le domaine de la défense engagent toujours l'avenir sur le long terme. Aucun de nous ne sait de quoi demain sera fait – et ce qui s'est passé ces dix dernières années incline à la modestie. Préparer l'avenir, c'est notre devoir vis-à-vis des générations futures. Le tragique du monde pourrait de nouveau changer les configurations actuelles. La défense des Français doit être globale et sans maillon faible. Ultime garantie de la nation, elle doit s'adapter à toute surprise stratégique. Face à un très large spectre de menaces, l'équilibre entre les cinq fonctions stratégiques décrites dans le Livre blanc – protection, dissuasion, intervention, connaissance et anticipation, prévention – ne doit pas être remis en cause, comme l'a souligné devant vous le ministre de la Défense lors de son audition d'hier. Le danger existait en effet d'un déséquilibre de l'intervention au bénéfice de la protection.

Pour assurer la cohérence d'ensemble, je reste attentif à l'adéquation entre les missions et les moyens, que j'ai évoquée ; à l'adéquation entre les besoins et les ressources – on touche là à la question des ressources exceptionnelles, et le Président de la République a tranché en sécurisant l'essentiel des ressources en zone budgétaire ; enfin à l'adéquation entre le physique et le financier, là où, parfois, la seule approche comptable peut provoquer des dégâts dévastateurs.

Voilà qui me conduit à mon deuxième point d'attention : le budget.

En dépit d'un abondement en ressources, l'équation financière reste tendue : nous avons obtenu plus de crédits – 3,8 milliards d'euros –, mais nous devons remplir davantage de missions – comme le déploiement de 7 000 hommes sur le territoire national. C'est la raison pour laquelle nous restons concentrés et organisés pour mobiliser en interne les ressources nécessaires au financement des capacités. C'est, entre autres, l'enjeu des plans de transformation dont je vous ai parlé.

Depuis ma dernière intervention devant vous, nous avons conjuré plusieurs risques que laissaient craindre la tension sur les effectifs, les hypothèses d'export et le montant des ressources exceptionnelles. Toutefois, des préoccupations subsistent : le surcoût des opérations extérieures et intérieures, le tempo d'arrivée des ressources et les conséquences des contrats d'exportation.

En ce qui concerne le surcoût des opérations, au-delà de la provision annuelle de 450 millions d'euros, le mécanisme de financement des opérations doit continuer à répondre à une logique de besoins et non à une logique de moyens avec le principe de couverture par recours à la réserve interministérielle de précaution, conformément à l'article 4 de la LPM. Une revue des opérations est en cours afin de déterminer les potentielles sources d'économies. Nous veillons à modérer les coûts des opérations en prenant en compte un juste équilibre entre les effets à obtenir sur le terrain et les moyens engagés. À ce stade, pour 2015, la prévision est au moins de 1 milliard d'euros, auquel il faut ajouter le financement de l'opération Sentinelle.

Pour ce qui est du tempo d'arrivée des ressources financières, je continue à craindre le grignotage progressif, en gestion, de nos ressources financières. Je vous l'ai dit, certains de nos matériels arrivent en fin de vie. Il n'est plus possible de les prolonger sans faire prendre des risques inconsidérés à nos soldats. Le calendrier d'arrivée des équipements ne peut être tenu que si le tempo de mise en place du budget correspondant est respecté. Il en va de l'équilibre structurel et indispensable entre les hommes, les équipements et le budget.

Je resterai vigilant sur trois domaines de fragilité en gestion et tout d'abord sur le coût des facteurs. Actuellement, la conjoncture économique est favorable et a permis de prendre sous enveloppe certaines charges additionnelles sans remettre en cause les équilibres de la LPM. Nous restons néanmoins attentifs à un retournement toujours possible de la conjoncture économique. Pour couvrir ce risque, la mission d'évaluation des conditions économiques confiée à l'Inspection générale des finances (IGF) et au Contrôle général des armées (CGA) a été prolongée, et j'y suis favorable. Elle devra analyser les conséquences des derniers indices économiques de mai, ainsi que l'évolution des charges nouvelles au sein du ministère de la Défense qui viennent diminuer d'autant les économies putatives issues du coût des facteurs et du prix du carburant. L'objectif est de dégager 1 milliard d'euros par ce biais afin de contribuer à financer les dépenses d'équipement. Deuxième point de fragilité : le financement du service militaire volontaire. L'adaptation à la métropole du principe du service militaire adapté (SMA) était une proposition des armées au titre de la cohésion nationale – c'est moi qui l'ai proposée. Je crois en effet que nos armées peuvent et doivent aider les jeunes en marge des dispositifs traditionnels socio-éducatifs. Les armées sont déjà engagées dans des dispositifs d'aide aux jeunes en difficulté. Le service militaire volontaire est un enjeu de cohésion nationale. Dès lors, au-delà de la phase d'expérimentation, son coût ne doit pas être pris sur le budget de la défense. Mon discours ne varie pas : à mission nouvelle, moyens nouveaux.

Le troisième point concerne les charges financières liées au soutien aux exportations, qui sont également l'un de mes sujets de préoccupation, car il est encore trop tôt pour les évaluer avec précision. J'attends d'ailleurs des industriels qu'ils soient vigilants à ne pas pénaliser financièrement les armées qui ont contribué à leurs succès. Il serait incompréhensible que nous ne bénéficiions pas de la baisse des coûts unitaires de certains équipements vendus à l'export et des retours sur le coût des programmes d'équipements à venir.

Dernier point d'attention, le moral reste pour moi un sujet majeur de préoccupation. Dans le contexte actuel, nos subordonnés ressentent parfois un double sentiment : d'une part, une surchauffe et une lassitude engendrée par l'opération Sentinelle, la livraison reportée de certains équipements majeurs et les conséquences des multiples réformes de ces trente ou quarante dernières années ; d'autre part, une condition du personnel dégradée du fait du report de permissions, du célibat géographique, de l'état de certaines infrastructures. Les décisions prises par le Président de la République ont créé un soulagement certain et une espérance réelle. Toutefois, leurs effets ne se feront pas tous sentir à court terme.

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