Monsieur Schrameck, certaines circonstances de la nomination de Mme Ernotte méritent à l'évidence des éclaircissements. On a parlé d'opacité, de procédure antidémocratique, de jeu d'influences… Qu'on le veuille ou non, tout cela a entaché la procédure de sa désignation.
Mais, mes chers collègues, si l'on voulait être un peu taquin, on pourrait dire qu'avoir vent d'irrégularités ou de dysfonctionnements dans le processus de nomination d'un président de France Télévisions, c'est déjà presque un progrès en soi. Il est certain que la nomination de Rémy Pflimlin n'a pas pu donner lieu aux mêmes critiques, le fait du prince coupant court à tout appel à candidature et à toute transparence…
Or, si tous les atermoiements qui ont conduit à la nomination de la nouvelle présidente de France Télévisions sont si abondamment commentés, c'est justement parce qu'ils ont fait l'objet d'une délibération collégiale. Est-ce suffisant pour garantir que cette décision a été prise en dehors de toute pression, sans jeu d'influences, sans aucune irrégularité ? Non, et cela est regrettable. Mais le fait même que nous ayons aujourd'hui la possibilité d'en débattre constitue bel et bien une avancée.
Faut-il aller plus loin ? Très certainement.
Tout d'abord, le fait que les candidatures soient restées secrètes est plus que discutable. Je sais qu'il est beaucoup question en ce moment de CV anonymes, mais les noms des candidats à des fonctions aussi éminentes que la présidence de France Télévisions méritent d'être rendus publics, tout comme la vision stratégique que ces derniers proposent pour l'audiovisuel public. Il s'agit en effet de permettre aux Français de se faire une idée de ce qui est véritablement essentiel dans l'acte de candidature, et c'est bien à partir du contenu de leur projet que les candidats doivent être appréciés – d'où la nécessité de rendre public chaque projet stratégique après la clôture des déclarations de candidature, au moins sous une forme condensée.
Il serait probablement démagogique de dire que les Français, parce qu'ils payent une redevance, sont en quelque sorte les « petits actionnaires » de France Télévisions. Bien sûr, il ne s'agit pas de faire de la nomination du patron de l'audiovisuel public un télé-crochet avec vote par SMS. Mais elle mérite mieux qu'une désignation secrète dans le huis clos d'un conseil qui, au gré des critiques, apparaît trop souvent comme un petit conclave. Cette désignation intéresse aussi nombre de téléspectateurs, et, à l'heure où l'on prône le dialogue social, il ne me semblerait pas illégitime d'y associer par exemple des représentants des salariés du groupe. On pourrait aussi envisager que les commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat procèdent à l'audition des candidats présélectionnés.
Toujours est-il que la transparence concernant les dossiers de candidature, en particulier les projets stratégiques, est impérative. C'est le moins que l'on puisse faire. Cela ne suffira peut-être pas à mettre fin aux contestations qui peuvent avoir lieu après une nomination, mais cela aurait le mérite de rendre le processus un peu moins contestable, même si cette transparence s'accompagne de l'anonymisation des dossiers.
La question des critères retenus pour mener à bien les présélections et les auditions doit aussi être posée. La transparence sur les critères de compétence et d'expérience est le prérequis garantissant un jugement sur le fond et non un choix dicté par les jeux d'influences. La publication d'une grille de critères préalablement définis aurait évité la polémique autour du mode de scrutin. Cela aurait aussi permis de mieux comprendre le rejet, préalablement à toute audition, de certaines candidatures de personnalités qui, par leur parcours, semblaient plus que légitimes. Pour n'évoquer que quelques exemples, les noms de Marie-Christine Saragosse, d'Emmanuel Hoog, ou de Serge Cimino ont été cités.
La question de la publicité des auditions doit aussi être abordée. Certes le Conseil constitutionnel a mis en garde sur les effets d'une publication intégrale des auditions et débats pour la vie privée des personnes concernées et pour la liberté de parole des uns et des autres. Je regrette cette décision car elle est, semble-t-il, utilisée de façon abusive. Cela dit, si l'on y regarde de plus près, loin de justifier le secret qui a plané sur les candidatures et les projets, cette décision ne semble pas empêcher la retranscription d'une partie, et d'une partie seulement, des auditions.
Je rappelle que, récemment, LCP-Assemblée nationale a décidé de retransmettre en direct les auditions de ceux qui étaient candidats à sa présidence ; je n'ai pas l'impression que cela ait porté préjudice aux candidats ou aux membres du comité de sélection dont je faisais partie.
Sans aller jusque-là, l'idée de proposer, sur le site institutionnel du groupe France Télévisions, une retransmission en direct et en replay d'une partie des auditions, celle où le projet est présenté, me semblerait constituer une piste tout à fait intéressante pour garantir la transparence et le caractère démocratique de la procédure.
Monsieur Schrameck, j'entends que vous renvoyez le législateur à sa responsabilité quant à la définition précise des modalités de désignation. Nous pourrons étudier cette question, même si je ne sais pas ce qui relève du domaine législatif et du domaine réglementaire en la matière. Il n'en demeure pas moins que pour les prochaines nominations, le CSA doit tirer des enseignements des écueils qu'il rencontre aujourd'hui. Les quelques propositions évoquées ici peuvent l'y aider.