Cette année, cela fait vingt-trois ans que le traité de Maastricht a créé l'euro et prohibé les déficits publics excessifs, et dix-huit ans que le pacte de stabilité et de croissance a organisé la procédure de suivi budgétaire au sein de la zone euro.
Depuis 1997, ce pacte a connu de nombreux rebondissements dans sa mise en oeuvre. Il a fait l'objet de plusieurs modifications, en 2005, 2011 et 2013, et interprétations, la Commission européenne ayant ainsi fait part le 13 janvier dernier, dans une communication, de sa lecture du pacte, en particulier des flexibilités offertes par ce dernier.
Aussi, alors que nous disposons désormais d'un certain recul sur sa mise en oeuvre – il a atteint « l'âge de la majorité » – et que la situation économique et sociale de la zone euro montre les limites de ce dispositif, il est apparu utile au groupe socialiste, républicain et citoyen d'affirmer la position de l'Assemblée nationale sur la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance.
Si je suis convaincu de la nécessité de faire évoluer le pacte de stabilité et de croissance ou tout du moins sa lecture – et je crois que nous sommes une majorité à l'être ici –, je propose à la commission des Affaires européennes de défendre des propositions légèrement différentes de celles figurant dans la proposition de résolution européenne déposée, qui me semblent s'inscrire davantage dans la logique de la construction européenne.
Pour ce qui concerne tout d'abord la prise en compte des dépenses de défense dans le calcul du solde public, je crois qu'il est utile de rappeler, avant le Conseil européen des 25 et 26 juin prochains, qui sera, pour une bonne part, consacré à l'Europe de la défense, combien il est justifié d'accorder un traitement particulier aux dépenses militaires engagées par les États membres et qui contribuent à la sécurité de l'ensemble du territoire européen.
La situation est en effet la suivante.
Premier constat : nous sommes confrontés à une menace croissante aux frontières et sur le territoire même de l'Union européenne, qui appelle à une mobilisation accrue pour assurer la sécurité du territoire européen. Ainsi, la France, qui est engagée actuellement dans dix-neuf opérations extérieures, dont la plupart participent à la sécurité de l'Union, n'a jamais été aussi impliquée dans des opérations extérieures. D'ailleurs, le surcoût des OPEX pour la France a été doublé entre 2007 et aujourd'hui. Mais chaque État européen est susceptible d'être concerné, comme l'ont montré les récentes attaques terroristes en France et au Danemark.
Deuxième constat : nous ne sommes pas encore parvenus à mettre en place une Europe de la défense, ce qui rejaillit directement sur les budgets des États membres. Certes, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) s'est concrétisée dans la mise en oeuvre de trente-deux missions depuis 2003, dont seize sont achevées. Mais il s'agit avant tout de missions civiles. Surtout, des opérations essentielles pour la sécurité du territoire européen face à la menace terroriste, comme Serval, menée par la France au Mali, sont demeurées des actions engagées en dehors du cadre européen.
Si l'Agence européenne de défense (AED) a joué un rôle déterminant dans la mise en place des projets de mutualisation approuvés par le Conseil européen de décembre 2013, comme le ravitaillement en vol et la cyberdéfense, force est de constater que les outils de la PSDC les plus innovants n'ont pas été mobilisés.
En particulier, ni la coopération structurée permanente, ni la procédure de délégation de missions à un groupe d'États membres prévue par l'article 44 du traité sur l'Union européenne (TUE) n'ont été mis en oeuvre.
Par ailleurs, la solidarité financière ne trouve pas – ou très peu – à s'appliquer en matière de défense.
En effet, les missions civiles menées dans le cadre de la PSDC, en théorie intégralement prises en charge par le budget de l'Union européenne, souffrent d'un manque de financement, comme l'a souligné M. Philippe Setton, notre représentant permanent auprès du Comité politique et de sécurité, lors de son audition par notre commission, la semaine dernière.
Ensuite, pour ce qui concerne les missions militaires menées au titre de la PSDC, il faut rappeler que l'article 41 du TUE interdit le financement d'opérations militaires à partir du budget de l'Union européenne. Un mécanisme intergouvernemental de financement des coûts communs aux États, dénommé Athena, a certes été créé en 2004. La portée de ce dispositif demeure toutefois limitée puisqu'il ne prend en charge que 10 à 15 % seulement des coûts d'une mission.
Par conséquent, la charge des opérations militaires pèse avant tout sur le budget des États membres, avec, bien entendu, des engagements très différents selon les pays. Ainsi, la France consacre 1,91 % de son produit intérieur brut (PIB) à ses dépenses de défense, alors que la moyenne s'établit, pour les vingt-sept États membres de l'AED, à 1,45 % du PIB. La France assure ainsi 21,2 % du total des dépenses de défense des États membres de l'Union, hors Danemark.
Troisième constat : alors que les besoins en matière de défense croissent, les États membres réduisent leurs budgets de défense, notamment sous la pression des règles posées par le pacte de stabilité et de croissance. Ainsi, depuis sept ans, les budgets de défense des vingt-huit États membres moins le Danemark diminuent de manière continue, pour s'établir à 186 milliards d'euros en 2013, contre 201 milliards en 2006 en euros courants – 218 milliards en euros constants.
Au vu de ce constat, il me semble que la conjonction de la montée des dangers et de la baisse des budgets de défense plaide pour un desserrement de la contrainte financière pesant sur les dépenses nationales spécifiques contribuant directement à la défense de l'Union européenne.
Exclure l'ensemble des dépenses de défense du calcul du solde public me semble difficile à défendre auprès de nos partenaires européens ; cela pourrait en effet être perçu par nos partenaires comme une manière une volonté française de se soustraire à ses engagements dans le cadre du pacte.
Il me semble plus crédible et plus justifié au regard des objectifs fixés à l'Union européenne de demander que soient exclues du calcul du solde public les seules dépenses nationales entraînées par la participation aux opérations extérieures réalisées sous mandat de l'Organisation des Nations unies et présentant un lien avec la défense des États membres de l'Union européenne.
Qu'est-ce que cela représenterait pour la France ? Selon les modalités retenues, les dépenses concernées se situent dans une fourchette allant de 1,1 milliard, à savoir le surcoût des OPEX au sens strict, à 5,8 milliards d'euros, si l'on adopte une conception plus large, incluant le coût complet des OPEX ainsi que celui des forces prépositionnées et celui des moyens du renseignement militaire. Mon estimation porte sur les dix-neuf opérations en cours mais la très grande majorité des moyens mobilisés par la France le sont au bénéfice de l'ensemble du territoire européen. C'est notamment le cas des opérations Barkhane au Sahel et EUTM et MINUSMA au Mali, où la France est particulièrement engagée.
J'en viens maintenant à la question des investissements d'avenir.
Nous sommes tous convaincus de la nécessité de soutenir les investissements au sein de l'Union, afin de relancer la croissance et l'emploi. À cet égard, pour garantir l'efficacité du plan d'investissement lancé par la Commission européenne et donner un élan plus fort aux investissements en Europe et en particulier dans la zone euro, il me semble qu'il faut à tout prix éviter qu'une lecture trop stricte du pacte de stabilité et de croissance entrave les investissements.
Aussi est-il nécessaire que la Commission européenne aille plus loin dans sa lecture du pacte qu'elle nous a présentée le 13 janvier dernier. Dans sa communication du 13 janvier 2015, elle a en effet précisé deux points importants s'agissant des investissements.
Tout d'abord, elle a indiqué que la contribution d'un État membre au Fonds européen pour les investissements stratégiques devrait être neutre s'agissant du pacte de stabilité et de croissance.
Ensuite, la Commission européenne a précisé la portée de ce qu'elle nomme la « clause d'investissement », dont elle avait dessiné les contours dans un courrier adressé le 3 juillet 2013 par le commissaire Olli Rehn aux ministres des finances et qui a trouvé à s'appliquer en Bulgarie en 2013 et en 2014, et en Roumanie et Slovaquie en 2014.
Que signifie cette clause d'investissement ? Les seuls États membres soumis au volet préventif du pacte – c'est-à-dire ceux qui respectent les seuils de 3 % de déficit public et de 60 % d'endettement public – peuvent s'écarter temporairement de leur objectif de moyen terme ou de la trajectoire d'ajustement qui doit permettre d'y conduire, pour tenir compte des investissements. Mais plusieurs conditions sont posées : la croissance de leur PIB doit être négative ou leur PIB doit être nettement inférieur à son potentiel ; l'écart ne doit pas conduire à un dépassement de la valeur de référence de 3 % pour le déficit, et une marge de sécurité appropriée doit en outre être préservée ; les niveaux d'investissement doivent effectivement augmenter en conséquence et l'écart doit être corrigé durant la période couverte par le programme de stabilité ou de convergence de l'État membre. Les investissements éligibles sont les dépenses nationales consacrées à des projets cofinancés par l'Union européenne au titre de la politique structurelle et de cohésion, des réseaux transeuropéens et du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, ainsi qu'au cofinancement par l'État membre de projets cofinancés par le Fonds européen pour les investissements stratégiques.
Bien que légèrement assouplie dans la communication du 13 janvier 2015, cette clause d'investissement apparaît encore très restrictive, en particulier parce qu'elle exclut les États faisant l'objet d'une procédure pour déficit excessif.
Si l'on veut vraiment favoriser l'investissement en Europe, il me semble impératif d'étendre le champ de cette clause en y incluant l'ensemble des États, qu'ils relèvent du volet préventif ou correctif du pacte de stabilité et de croissance et quelle que soit leur situation économique mais également en visant la totalité des dépenses nationales consacrées à des projets cofinancés par l'Union européenne.
Enfin, il me semble utile d'inclure dans la proposition de résolution européenne une demande que notre commission porte depuis plusieurs années : l'exclusion de l'appréciation du solde public des contributions nationales au budget de l'Union.
Il apparaît en effet logique que ces contributions, qui participent directement à la mise en oeuvre des politiques de l'Union européenne, ne conduisent pas à peser sur les budgets nationaux.
L'objectif de cette proposition est également d'enrayer la baisse continue de la part de la richesse des États consacrée aux politiques de l'Union.
Il s'agit enfin de faire cesser les débats opposant budget européen et budget national.
Pour la France, qui, avec une participation de 17 % du total, est le deuxième contributeur au budget européen, cela représente 20 à 21 milliards d'euros.