Intervention de Olivier Audibert Troin

Séance en hémicycle du 3 juin 2015 à 21h30
Débat sur les négociations internationales sur le climat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Audibert Troin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la prochaine réunion sur le changement climatique, la COP 21, aura donc lieu à Paris, en décembre prochain. Elle doit préparer l’après-Kyoto, faisant suite aux réunions de Doha en 2012, de Varsovie en 2013 et de Lima en 2014 qui n’ont pas, reconnaissons-le, été couronnées d’un franc succès. Quelles sont les difficultés ? Quel est l’état des négociations ? Quelle doit être l’action de la France ? Voilà les trois questions que je vais aborder dans les cinq minutes qui me sont imparties.

Quelles sont les difficultés ? Il faut un outil juridiquement contraignant, différencié et universel. Mais iI n’y a pas de consensus à l’heure actuelle ni sur la nature – s’agirait-il d’un protocole ou d’un traité ? – ni sur le champ d’application de l’accord – objectifs chiffrés ou simples déclaration d’intention ? Il faut un outil universel, disais-je, un outil nouveau, différent de celui conçu à Kyoto, lequel n’a été appliqué que par 2 % des pays signataires. Il faut, cette fois-ci, inclure 196 pays dont les principaux émetteurs que sont la Chine, les États-Unis et l’Inde. Il ne peut s’agir que d’un outil différencié car si la responsabilité doit être commune, elle est aussi différenciée : il faut distinguer entre les pays en voie de développement et les pays développés, même si chaque pays doit tenir ses engagements à la lumière des circonstances nationales.

L’Union européenne est toujours à la pointe du combat. Elle l’a confirmé récemment avec l’adoption du quatrième paquet énergie-climat, en octobre dernier, qui prévoit une réduction de 40 % des émissions des gaz à effet de serre en 2030… Mais regardons les choses en face : elle ne représente que 11 % des émissions mondiales et rien ne peut se faire sans les États-Unis et la Chine, qui n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto. L’accord sur le climat signé entre la Chine et les États-Unis du 12 novembre dernier est encore insuffisant : les États-Unis se sont engagés à réduire de 26 % leurs émissions de gaz à effet de serre par an en 2030, mais par rapport au niveau de 2005 et pas de 1990, ce qui, en réalité, ne représenterait que 10 % par rapport à cette date initiale. La Chine s’est seulement engagée à stabiliser ses émissions après 2030, sans prendre aucun engagement pour la période précédant cette date. Le fossé entre les pays en voie de développement et les pays développés n’a cessé de se creuser, notamment à cause des promesses non tenues des pays développées sur le Fonds vert qui doit servir à financer les programmes d’adaptation aux changements climatiques des pays en voie de développement : Il devrait être de 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2030… Seulement 10 milliards ont été récoltés.

Deuxièmement, quel est l’état des négociations ? Tout le monde s’accorde à dire que celles-ci patinent : la Chine est encore très ambiguë sur sa volonté d’établir un accord durable ; il n’y a pas d’accord sur les sujets tels que le financement des efforts d’adaptation aux changements climatiques des pays en voie de développement, ni sur le transfert des technologies Nord-Sud, ni sur les moyens d’évaluation et de contrôle. S’agissant des contributions nationales, seulement trente-sept pays, représentant 31 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, dont les vingt-huit de l’Union européenne, ont soumis leur contribution, quatre pays du G20, dont l’Australie, la Chine et le Brésil, ne se sont toujours pas manifesté malgré leurs promesses de les remettre fin juin ! Plus de soixante-dix pays, dont l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Indonésie et les autres pays du G20, représentant plus de 32 % des émissions mondiales, se sont engagés à présenter leur contribution à la fin de l’année 2015… Mais rien n’est moins sûr. Près d’une dizaine de pays en voie de développement ne seront vraisemblablement pas en mesure d’en présenter une. Le texte examiné à Bonn en ce moment fait quatre-vingts pages : il faudrait arriver, à l’unanimité, à un texte de vingt pages maximum. La négociatrice française, Laurence Tubiana, reconnaît elle-même qu’au rythme actuel, on n’y arrivera jamais.

Troisième point : le gouvernement français doit donner l’image d’un réel consensus et d’une vraie volonté d’agir. Or la conférence de Bonn qui se tient en ce moment démontre aux yeux de tous les rivalités entre Mme Royal et M. Fabius – un grand quotidien du soir s’en faisait d’ailleurs l’écho hier. Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie anticipe l’échec des négociations et de la conférence de Paris, et prône un changement de méthode radical car elle considère que les négociations de l’ONU sont totalement inadaptées à l’urgence climatique. Ses dissonances avec M. le ministre des affaires étrangères et du développement international, qui a refusé en son temps la co-présidence de la COP21, enlève tout son poids à la France pour peser sur l’avenir des négociations. Il est temps d’harmoniser le propos, d’unir les compétences et les moyens afin que la voix de la France porte et s’impose lors des négociations. Notre pays devrait se focaliser sur les sujets qui bloquent vraiment : la nature contraignante de l’accord ; la question des financements et des contrôles ; l’appel des industriels qui demandent une approche réaliste et pragmatique menant à une tarification claire du carbone. Le Président de la République, qui a engagé depuis quelques mois une tournée diplomatique d’importance, doit montrer quels sont la stratégie et le choix de la France. Il ne pourra se contenter, en décembre, d’une simple synthèse entre ses deux ministres. De même, le gouvernement français doit se résoudre à parler haut, fort et clair, et d’une seule voix. À défaut, peu de progrès concrets sont attendus de la conférence de Paris, tout au plus un accord arraché à la dernière minute.

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