Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 3 juin 2015 à 21h30
Débat sur les négociations internationales sur le climat

Annick Girardin, secrétaire d’état chargée du développement et de la francophonie :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je veux tout d’abord remercier, à mon tour, le groupe écologiste et la commission des affaires européennes de nous offrir l’occasion de débattre des négociations internationales sur le climat et de la conférence Paris Climat 2015, aussi appelée « COP 21 ».

Ce débat s’inscrit dans la continuité de la mobilisation de votre assemblée sur la question climatique. Les nombreux rapports que vous avez rédigés et les auditions que vous avez menées ont permis d’engager un dialogue régulier et approfondi avec les ministres et leurs équipes, aujourd’hui chargées de la négociation. La présence de parlementaires au comité de pilotage de la COP 21 est ainsi le signe de la volonté du Gouvernement d’associer le Parlement à ce travail. Je tiens à féliciter, à mon tour, les trois rapporteurs pour la qualité du rapport d’information qu’ils ont présenté, au nom la commission des affaires européennes, sur les négociations internationales relatives au changement climatique. Je voudrais, comme vous m’y avez invitée, profiter de ce débat pour vous rendre compte de l’état de la négociation, six mois avant le début de la conférence de Paris.

La volonté de la France est de construire ce que nous appelons « l’alliance de Paris pour le climat ». Cette alliance repose sur quatre piliers.

Le premier est le texte que nous négocions actuellement, et qui est aujourd’hui en discussion à Bonn. Vous l’avez dit : ce texte est bien trop long. Il convient de le simplifier, de le raccourcir et de trouver des compromis sur les grandes questions politiques qui demeurent en suspens. Je pense notamment à la forme juridique de l’accord – certains d’entre vous en ont parlé ; sur ce point, notre objectif est bien, comme vous l’avez appelé de vos voeux, monsieur Audibert Troin, d’aboutir à un accord universel et contraignant. D’aucuns estiment que c’est optimiste, mais nous ne pouvons pas nous permettre, aujourd’hui, de ne pas l’être.

Le deuxième pilier, ce sont les contributions nationales. Les premières ont été publiées en mars dernier ; ce fut notamment le cas de celles de l’Union européenne, des États-Unis et de la Russie, mais aussi de celle du Gabon. Une nouvelle série est attendue en juin et nous espérons le reste pour septembre au plus tard, l’objectif étant de faire un point aux alentours de la fin septembre. Ces contributions sont fondamentales, car elles contiennent les objectifs et les engagements des États pour lutter contre le dérèglement climatique.

On ne le dit pas assez : disposer de contributions de la part de tous les États est une grande première. On peut éprouver des craintes, estimer que le travail sera long et difficile, mais il convient de se réjouir à chaque fois que l’on franchit une nouvelle étape – et celle-ci est particulièrement importante. Ce sera en effet, je le répète, la première fois que tous les États apporteront une contribution à la négociation officielle : les pays émetteurs, bien entendu, y compris la Chine et les États-Unis – il faut s’en féliciter car c’est un signal extrêmement positif –, mais aussi les pays africains ; cela signifie que les pays les plus fragiles sont aujourd’hui au rendez-vous de la responsabilité, et c’est un très beau symbole que de voir ces pays s’inscrire dans la logique de la lutte contre le réchauffement climatique alors même qu’ils ont très peu contribué au dérèglement climatique, dont ils sont souvent les premières victimes.

Vous avez raison, monsieur Audibert Troin : on peut s’interroger sur le fait de savoir si ces contributions permettront de respecter l’objectif d’une hausse des températures limitée à 2° C que nous nous sommes fixé et dont le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a souligné l’importance. Il est encore trop tôt pour le savoir, car, à ce jour, trop peu de contributions ont été déposées ; il manque notamment celle de la Chine, actuellement le plus gros émetteur de gaz à effet de serre.

Une chose est certaine : nous avons besoin de cette « alliance de Paris », qui nous fixera un cadre pour revenir progressivement dans la bonne trajectoire. Tel doit être notre objectif : que la conférence de Paris nous remette sur la trajectoire idoine pour atteindre l’objectif des 2° C.

Le troisième pilier, c’est bien sûr celui du financement – et l’on pourra aussi, monsieur Pancher, juger les négociations à cette aune. Le Président de la République l’a rappelé il y a quelques jours en Allemagne : sans avancée sur les financements, il n’y aura pas d’accord à Paris. Nous avons, vous l’avez rappelé, fait une promesse à Copenhague : mobiliser 100 milliards de dollars de fonds publics et privés à partir de 2020 pour les pays en développement. C’est un engageant que nous devons tenir. Nous le devons aux plus vulnérables, nous le devons à ceux qui ont lancé avec nous l’appel de Manille ou encore l’appel de Fort-de-France, il y a quelques semaines – le Président de la République s’y était rendu. Les financements seront vraiment l’élément important de cette négociation, et pas seulement de celle-ci. Je suis d’accord avec la présidente de la commission des affaires européennes : le financement, c’est aussi la question de la conférence d’Addis-Abeba, qui se tiendra au mois de juillet. Ce fut souvent discuté mais je suis aujourd’hui heureuse de savoir qu’il est presque partout admis que la conférence d’Addis Abeba est une étape déterminante sur la voie de l’accord de Paris – d’ailleurs, cette voie passera aussi par New York.

Sur cette question des financements, nous avons, de notre côté, fait des progrès. Ainsi, l’Agence française de développement a consacré plus de 2,5 milliards d’euros au climat et, vous le savez, elle contribue à hauteur de 1 milliard de dollars sur quatre ans au financement du Fonds vert pour le climat. Le compte n’y est pas encore, c’est évident, et loin de moi l’idée de dire que nous avons fait la plus grande part du chemin, au contraire ! Sur cette question, notre diplomatie est active et engagée. Elle travaille à mobiliser les banques de développement et les pays industrialisés, mais aussi le secteur privé. Et, bien entendu, nous travaillons sur la question des financements innovants.

Le quatrième pilier, c’est l’agenda des solutions. C’est aussi quelque chose de totalement nouveau, la mobilisation de tous les acteurs, les entreprises, les ONG, bien sûr, et les collectivités territoriales, est importante – il faut le répéter. Le défi, c’est de réussir aussi, à Paris, une mobilisation générale sur le climat pour que nous puissions atteindre nos objectifs, car il est évident que les États ne pourront y parvenir seuls. Plusieurs réunions ont eu lieu ou auront lieu, à Paris, à Lyon et à Marseille, mais aussi à l’étranger, qui concrétisent cette mobilisation et montrent que la dynamique est là. C’est la première fois que nous assistons à une mobilisation d’une telle ampleur, je souhaite le rappeler aux plus pessimistes d’entre vous, car c’est le signe que la société est prête à agir, prête à s’engager, et elle nous le dit.

Le sommet des entreprises de la mi-mai a permis des avancées. Je pense par exemple à Axa, qui a fait des annonces et qui va stopper ses investissements dans le charbon, ce qui représente 500 millions d’euros. Je pense également à des entreprises comme Unilever ou Carrefour qui s’engagent à réduire la déforestation ou à ne plus utiliser dans leur chaîne de production des produits qui en sont issus, par exemple, dans l’agroalimentaire. Voilà aussi qui est totalement nouveau.

Il est clair que ce n’est qu’un début. Laurent Fabius, Ségolène Royal et moi-même avons appelé les entreprises, les grands secteurs économiques, à prendre leurs responsabilités en prenant des engagements, rendus publics avant la conférence de Paris. Il est important que l’on trouve également, sur cette trajectoire des 2° C, des collectivités et des entreprises aux côtés des États. Dans le même esprit, la réunion de Marseille – la MEDCOP21 – et celle de Lyon au mois de juillet permettront, je l’évoquais, de mobiliser les collectivités territoriales. Celles-ci seront au rendez-vous, elles l’ont déjà annoncé. Cet agenda des solutions, c’est le moyen pour tous de s’inscrire dans la perspective de l’après-carbone.

Je veux aussi, en tant que secrétaire d’État au développement, insister sur un point. Le changement climatique est un fardeau pour les plus pauvres, un poison pour le développement. Dans le cadre de l’organisation de la COP21 et de sa préparation par le Gouvernement, je suis chargée du dialogue avec les pays les plus vulnérables, les petites îles, et, bien sûr, l’Afrique, qui font face à des défis colossaux en termes d’éducation, de santé, d’accès à l’énergie et de sécurité alimentaire. Je suis allée sur le terrain à la rencontre de ces pays pauvres, isolés, qui n’ont ni la force ni la voix des grandes puissances. Ils n’ont pas pollué, ou presque, mais ce sont les premières victimes du changement climatique. Certains sont menacés dans leur existence même. Je pense aux Samoa, dans le Pacifique, où je me suis rendue, et où des villageois m’ont expliqué qu’ils avaient déjà déplacé leur village trois fois en cinquante ans ! Ils nous demandent aujourd’hui notre soutien. Je les entends. Il faut les entendre, et c’est d’abord à ces pays que doivent bénéficier les financements climat.

La France s’est ainsi mobilisée, il faut le signaler, pour que 50 % des ressources du Fonds vert puissent servir à l’adaptation, dans ces pays qui en ont besoin parce que les conséquences du dérèglement climatique y sont gravissimes. Au Sahel, le dérèglement climatique tue déjà, silencieusement, des milliers de personnes étant victimes, tour à tour, des sécheresses et des inondations. Les plus exposés sont notamment, vous avez raison, monsieur Claireaux, les agriculteurs, et ils demandent eux aussi que nous puissions leur proposer des solutions durables et les accompagner.

Si nous n’atteignons pas notre objectif, le réchauffement climatique, plusieurs orateurs l’ont déjà dit, entraînera demain d’autres inondations, d’autres sécheresses, de grandes migrations. La question des migrations est aujourd’hui centrale, mais nous savons pertinemment qu’elle est loin d’être réglée si le dérèglement climatique se poursuit. Il y aura aussi des déplacés, ce qui pose la question de savoir ce qu’est un déplacé, un réfugié climatique et la manière dont il convient de le considérer. Ce seront aussi là autant de menaces pour la paix. Que le réchauffement ne dépasse pas ces deux petits degrés conditionne donc l’équilibre géopolitique de notre planète.

En 2015, nous devons, il est nécessaire de le rappeler, nous fixer l’objectif de construire un monde à zéro carbone et zéro pauvreté. C’est l’objectif de tous ces grands rendez-vous de 2015, notamment la conférence sur le financement du développement qui aura lieu à Addis Abeba au mois de juillet. Si les pays les plus démunis, les plus vulnérables sont au rendez-vous de la responsabilité, nous devons être au rendez-vous de la solidarité et nous montrer à la hauteur de ce qu’elle exige. Ce sera aussi l’enjeu du sommet spécial sur le développement durable qui se tiendra à New York en septembre 2015 et sera l’occasion de définir des objectifs de développement durable, l’agenda post-2015. Ce sera enfin, bien sûr, l’enjeu de la conférence de Paris, au mois de décembre.

Mesdames et messieurs les députés, ces négociations sont longues, vous l’avez dit, elles sont compliquées, parfois incompréhensibles aux yeux du grand public. Elles n’en sont pas moins essentielles. Pour les petits pays, pour les sans voix du climat, l’ONU, malgré toutes les critiques que j’ai pu entendre, reste la seule tribune, aujourd’hui, où se faire entendre. Nous voulons un accord écrit par tous et pour tous. C’est un exercice diplomatique difficile et exigeant, mais c’est la condition nécessaire pour ne pas répéter Copenhague, où l’on avait tenté de conclure en une nuit des discussions qui duraient depuis plus de deux ans. La France ne souhaite pas que cela se reproduise.

Nous, les différents ministres qui travaillons sur le climat, Laurent Fabius, Ségolène Royal et moi-même, parcourons le monde, échangeons avec les différents gouvernements, rencontrons sur le terrain les victimes du dérèglement climatique, mais trouvons aussi des solutions. Nous avons une responsabilité énorme, mais nous avons aussi une chance inouïe. Le Gouvernement, le Président de la République sont mobilisés, la volonté politique est là, je puis ici vous l’affirmer. Les citoyens sont aussi mobilisés, certains l’ont dit, et ils seront nombreux, j’en suis persuadée, à participer au débat citoyen planétaire sur le climat qui aura lieu le 6 juin prochain. Nous avons donc la capacité, j’en suis convaincue, de réussir la plus grande conférence internationale que la France ait jamais accueillie.

Je veux évoquer, même si M. Leroy n’est plus parmi nous, le rôle des parlementaires. La diplomatie parlementaire existe déjà. En votant des lois sur le climat, cette diplomatie inscrit la question à l’agenda de nombreux pays. Le forum parlementaire Globe International en est l’outil. Plus encore, la participation des parlementaires permet de faire avancer les échanges entre parlements et entraîne déjà des évolutions, comme on le voit en Inde ou au Brésil. Ces échanges, je les reconnais et je souhaite que nous puissions les approfondir. Il faut travailler ensemble, c’est évident. C’est d’ailleurs pour cela que les parlementaires sont aussi associés aux réunions du comité de pilotage de la COP21. Les échanges que nous avons ce soir, et qui vont se poursuivre avec vos questions, sont aussi extrêmement importants, et je serai toujours au rendez-vous si vous voulez approfondir ces questions.

Il nous reste 200 jours qu’il nous faut tous mettre à profit pour la réussite de la conférence de Paris, pour faire que la mobilisation soit encore plus large que celle que nous connaissons actuellement. Nous voulons travailler en toute transparence avec le Parlement, sous le regard des peuples et sous le jugement de leurs représentants. En effet, c’est vous, députés, qui aurez au bout du compte votre mot à dire, puisqu’en France, c’est bien le Parlement qui autorise la ratification des accords et traités internationaux. Je me félicite déjà de notre échange de ce soir, qui va se poursuivre avec vos questions, mais, pour ma part, je vous l’ai dit, je resterai à votre disposition pour poursuivre le dialogue.

Je reste optimiste. Je me dois de l’être, c’est ma mission. Vous savez, quand on voit sur le terrain, en Afrique, tant de solutions qui n’attendent que d’être développées à une autre échelle, on ne peut qu’être empli d’espoir quant à ce que nous pourrons faire à Paris ! (Applaudissements sur l’ensemble des bancs.)

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