Non seulement les engagements de la loi de programmation militaire seront tenus, mais ses crédits seront augmentés, ce qui constitue une première depuis bien longtemps. Monsieur le ministre, nous devons vous rendre hommage pour cela. Votre engagement et votre détermination ont été entendus par le Président de la République. Les arbitrages rendus étaient difficiles dans le contexte budgétaire que nous connaissons tous, mais n’en étaient pas moins indispensables.
Depuis la rédaction du Livre blanc de 2013, la situation internationale n’a cessé de se dégrader. Les ruptures stratégiques se sont succédé : janvier 2013, lancement de l’opération Serval ; printemps 2014, annexion de la Crimée par la Russie ; été 2014, montée en puissance de Daech, opération Barkhane, propagation rapide de l’épidémie d’Ebola, puis montée des tensions en mer de Chine ; novembre 2014, cyberattaque de la Corée du Nord contre Sony ; et enfin, en janvier 2015, les attentats à Paris. Dans ce contexte, les missions des armées ont explosé. Aux engagements extérieurs nombreux et durables se sont ajoutées les mesures de réassurance et, à présent, l’opération Sentinelle sur le territoire national. La marine est déployée en permanence dans cinq zones maritimes, alors que le Livre blanc n’en prévoyait que deux.
Dans ces conditions, les armées n’avaient plus les moyens de remplir toutes les missions qui leur étaient confiées par l’exécutif. Cette situation n’était pas tenable dans la durée. Il fallait opérer un choix. Le Président de la République l’a fait. Il repose sur deux décisions fortes : la sécurisation des ressources de la programmation initiale et l’affectation de 3,8 milliards supplémentaires au budget de la défense.
La sécurisation des ressources de la LPM est un acquis essentiel. Nous pouvons tous nous en réjouir, majorité comme opposition, et j’espère l’entendre tout à l’heure. La programmation initiale reposait sur trois hypothèses risquées : les recettes exceptionnelles – REX, la vente des Rafale et la maîtrise des opérations extérieures – OPEX. L’actualisation remplace les REX par des crédits budgétaires, ce qui est une très bonne chose. Les contrats signés avec l’Égypte, le Qatar et bientôt l’Inde pourront faire tourner les chaînes de production et les bureaux d’étude de Dassault sans que le budget de la défense n’ait à porter ces activités. Deux de ces hypothèses risquées sont donc évacuées. Reste la maîtrise des OPEX, qui seront toujours confrontées au même aléa, quels que soient la LPM et le gouvernement.
S’agissant des 3,8 milliards d’euros de crédits supplémentaires, je me contenterai de deux observations. Premièrement, une grande partie, soit 2,8 milliards, sera absorbée par la préservation de 18 750 postes, dont la vocation principale est de permettre à l’armée de terre de recruter afin de pérenniser l’opération Sentinelle. Il faudra être très vigilant, et je sais que vous l’êtes, monsieur le ministre, pour que cette nouvelle mission ne conduise pas à désavantager l’armée de l’air et la marine. Elles sont très engagées dans des missions aussi essentielles que la protection du territoire national ou la liberté de navigation. Ce sont des armées très techniques, caractérisées par la présence de spécialités nombreuses et difficiles à conserver. Enfin, elles jouent un rôle fondamental dans le soutien aux exportations, qui mobilise près de 200 pilotes et mécaniciens dans l’armée de l’air et un demi-équipage de FREMM pour l’Égypte. Il faudra donc impérativement que la répartition des postes préserve aussi la capacité de ces deux armées.
Ma deuxième observation concerne les mesures prévues pour les équipements. L’excellente nouvelle que constituent ces 2 milliards supplémentaires mérite d’être consolidée par la production d’un document en direction du Parlement fixant les calendriers précis d’acquisition et les enveloppes prévues par équipement. Cela renforcera indéniablement la confiance au sein des armées.
Voilà ce que je souhaitais vous dire sur les nouvelles mesures annoncées, qui me semblent, je le répète, salutaires et courageuses. Mais je ne crois pas que notre débat doive se limiter simplement aux questions budgétaires : elles appellent un questionnement plus profond sur les fondamentaux de la politique de défense. À cet égard, deux sujets préoccupent la commission que je représente.
Le premier sujet, qui touche, à vrai dire, au coeur de cette actualisation, est la pérennisation de l’opération Sentinelle. La France est l’une des seules démocraties occidentales à faire le choix de déployer son armée sur le territoire national. Si cette opération a véritablement vocation à devenir permanente, cela constituerait un changement doctrinal profond pour notre politique de défense. Le Parlement doit être pleinement associé à cette réflexion. Il en est de même pour le cadre juridique et le contrôle parlementaire de la mission. De fait, 7 000 soldats en permanence dans les rues de France, c’est un chiffre considérable, presque égal au nombre de militaires engagés en opération extérieure. Il est donc utile de sécuriser l’opération Sentinelle, pour les militaires eux-mêmes mais aussi pour nos concitoyens, qui pourraient s’interroger sur son sens.
Deuxième sujet de préoccupation : les exportations d’armement. Comme tout le monde, je me réjouis des succès à l’exportation du Rafale, mais nous devons nous interroger sur les conséquences stratégiques de ces ventes d’armements. En effet, nous ne vendons pas seulement des matériels mais aussi des alliances, des accords. Or, qui sont nos clients ? L’Égypte, le Qatar, l’Arabie Saoudite, le Liban et peut-être, bientôt, les Émirats arabes unis. Cela n’est pas neutre, et pourrait être compris comme le choix d’un camp, celui des sunnites, contre un autre. Il est donc nécessaire d’indiquer clairement que notre position diplomatique n’a pas changé. Elle reste la recherche de l’équilibre. La paix dans cette région passe par une normalisation des relations avec l’Iran.
La commission des affaires étrangères estime que cette actualisation est une excellente chose. Elle autorise les armées à répondre aux défis qui leur sont posés et permet à la France de conserver son statut de grande nation. Tel est l’apport, majeur, de cette réactualisation.