Intervention de Hugues Fourage

Séance en hémicycle du 4 juin 2015 à 9h30
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHugues Fourage, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Notre commission des lois s’est saisie pour avis du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Elle a concentré son attention sur deux séries de dispositions : les articles 5 à 7 d’une part, qui permettent de créer des associations professionnelles nationales de militaires, et d’autre part les articles 9 à 16, relatifs aux ressources humaines, qui portent sur la gestion des personnels de la défense, sur les différentes positions statutaires et sur les voies d’accès des militaires à la fonction publique.

Les mesures relatives aux ressources humaines ne posent aucune difficulté particulière : elles améliorent les conditions d’emploi et de départ des militaires. Elles renforcent en outre le recours à la réserve, ce qui est une bonne chose. Je centrerai donc mon propos sur l’origine et les conséquences de la création des associations professionnelles nationales de militaires – APNM.

Traditionnellement, le droit français interdit aux militaires de créer des groupements à caractère syndical et d’y adhérer, quelle que soit la forme de ces derniers, au motif que « L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité ».

Cette interdiction vient d’être remise en cause par les arrêts Matelly contre France et ADEFDROMIL contre France de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2014. Celle-ci a condamné la France sur le fondement de l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre la liberté d’association. Il est reproché à notre pays d’avoir inscrit dans sa législation une interdiction absolue pour les militaires d’adhérer à un groupement professionnel constitué pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux et une interdiction pour ce type de groupements d’ester en justice.

En conséquence, il est proposé au travers du présent projet de loi d’instituer un droit d’association professionnelle adapté à l’état militaire, à l’exclusion, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, du droit syndical et du droit de grève. Les militaires auront désormais la possibilité de créer des associations professionnelles nationales de militaires et d’y adhérer. Il s’agit d’associations au sens de la loi de 1901, mais qui seront soumises à certaines restrictions afin d’être compatibles avec d’autres exigences constitutionnelles, comme la préservation des intérêts fondamentaux de la nation, les impératifs de la défense nationale, la sauvegarde de l’ordre public ou la nécessaire libre disposition des forces armées.

Ainsi, ces associations seront, par définition, de dimension nationale, ce qui exclut toute association au niveau d’un régiment ou d’une base de défense. Elles auront pour seul objet de préserver et promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire, notion désormais légalement définie. Cela interdit de s’immiscer dans la définition de la politique de défense ou des choix opérationnels et de contester l’opportunité des décisions d’organisation des forces armées ou encore celle des décisions individuelles intéressant la carrière des militaires.

Aux termes du projet de loi, ces associations représentent, sans distinction de grade ni de sexe, les militaires d’active ou réservistes « appartenant à l’ensemble des forces armées et des formations rattachées ou à l’une d’entre elles ». Sont donc exclues la constitution d’associations à but catégoriel, ainsi que la participation des retraités non-réservistes.

Ces associations disposent du droit d’ester en justice, mais sous certaines réserves. Sur proposition de notre commission des lois et de la commission de la défense, nous avons élargi la possibilité pour les associations de se porter partie civile à tous les faits « dépourvus de lien avec des opérations mobilisant des capacités militaires », et non pas seulement pour les faits « dont elles sont personnellement et directement victimes », comme cela était proposé initialement.

Ces associations sont par ailleurs soumises à des obligations strictes. Elles doivent avoir leur siège en France. Elles doivent procéder à un double dépôt de leurs statuts et de la liste de leurs administrateurs en préfecture et auprès du ministre de la défense pour obtenir la capacité juridique. Cette obligation pourrait introduire un contrôle a priori du ministre de la défense sur la constitution de ces associations qui serait, aux yeux de la commission des lois, de nature à porter atteinte à la liberté d’association des militaires qui vient d’être affirmée par la Cour européenne des droits de l’homme. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement visant à découpler l’obligation de double dépôt des statuts de l’obtention de la capacité juridique.

Les APNM sont soumises à une obligation d’indépendance par rapport au commandement, aux syndicats, aux partis politiques, aux entreprises et à l’État. Elles ont également l’obligation de ne pas porter atteinte, par leurs statuts ou leur activité, aux valeurs républicaines et aux principes fondamentaux de l’état militaire. Si ces associations ne respectent pas l’ensemble de ces obligations, l’autorité administrative compétente peut demander, après une injonction demeurée infructueuse, leur dissolution devant le juge judiciaire.

Par ailleurs, le projet de loi veille à ne pas remettre en cause le cadre institutionnel de concertation et de représentation instauré depuis 2005 autour du Conseil supérieur de la fonction militaire – CSFM, des sept conseils de la fonction militaire – CFM – et des représentants des personnels militaires aux niveaux local et national. Tout au plus prévoyait-il la participation des APNM dites « représentatives » au dialogue devant les chefs d’états-majors et devant le CSFM, à l’exclusion des CFM. Sur proposition de la commission des lois et de la commission de la défense, le texte soumis à notre discussion prévoit désormais la participation progressive de ces associations au sein des CFM de la force armée qu’elles représentent d’ici à cinq ans afin d’éviter l’émergence d’un double langage auprès des chefs d’états-majors.

Le projet de loi fixe en outre cinq critères de représentativité pour ces associations : respect de leurs obligations mentionnées, transparence, diversité, influence de l’association, mesurée en fonction des effectifs.

La commission des lois a présenté un certain nombre de propositions qui ont été reprises par la commission de la défense, et j’en remercie sa présidente, notamment un amendement garantissant la liberté des membres des APNM, un amendement garantissant les facilités matérielles qui leur sont accordées, un amendement prévoyant l’actualisation annuelle de la liste sur le premier triennal et un amendement au rapport annexé prévoyant la possibilité pour les APNM d’être représentées dans d’autres instances.

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