Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du 4 juin 2015 à 15h00
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, comment éviter les pièges de cette actualisation de la loi de programmation militaire, le principal étant le choix du vote ? Voter pour, c’est prendre le risque de laisser croire que les problèmes de notre défense sont résolus ou en passe de l’être. Or c’est loin d’être le cas. Voter contre, c’est se laisser conduire par un esprit partisan en refusant de voir des inflexions pourtant significatives.

Dans cette situation, l’abstention ne doit être prise ni pour de l’indécision ni pour une complaisance à l’égard du Gouvernement. En fait, elle permet de dire les choses sans flatterie ni agressivité.

La politique de l’autruche comme les polémiques stériles sont en effet à bannir sur ces sujets d’intérêt national. Ce qui compte, ce n’est pas le vote, la posture que l’on prend, c’est la qualité du débat que nous sommes capables d’avoir sur l’état de notre défense.

Au-delà des chiffres, ce texte reconnaît, enfin, une réalité exprimée avec force par l’opposition et, plus discrètement, par certains collègues de la majorité : pour pouvoir continuer à accomplir ses missions, notre défense doit impérativement bénéficier de crédits supplémentaires. Il ne s’agit nullement d’un cadeau à nos armées, il s’agit simplement d’ouvrir les yeux sur une situation de plus en plus intenable. Même si elle reste à ce jour très virtuelle, cette inflexion majeure dans le discours du Gouvernement doit être saluée et rend à elle seule malaisée toute opposition frontale.

Il faut également prendre acte de la décision de mettre fin à une mauvaise pratique qui, certes, n’a pas été initiée par cette majorité mais que celle-ci a amplifiée. Je veux parler d’un recours excessif aux recettes exceptionnelles, qui aboutit paradoxalement à fragiliser une LPM dont la finalité est normalement de sécuriser la trajectoire budgétaire.

Je ne vous cacherai pas non plus ma satisfaction de voir disparaître ces montages, un peu trop créatifs à mon goût, que constituaient ces fameuses sociétés de projet.

Enfin, les renforcements des personnels, notamment de l’armée de terre, sont les bienvenus dans le contexte actuel, tout comme, en matière d’équipements, l’effort sur les drones et les besoins immédiats des forces.

S’il est difficile de nier toutes ses avancées, celles-ci sont cependant ternies par d’autres aspects qui fragilisent l’effort annoncé ou qui n’ont rien à voir avec la LPM.

Aucun financement supplémentaire ne sera en effet mis en oeuvre en 2015, alors que le budget était calculé au plus juste, sans tenir compte de la moindre déflation des effectifs, de l’intensification des OPEX et d’un engagement nouveau sur le territoire national.

On nous assure quelques crédits pour demain, beaucoup pour après-demain mais rien du tout dans l’immédiat. Aussi, encore davantage que par le passé, la fin d’année sera décisive, et l’on pressent des affrontements avec Bercy plus violents que jamais.

Alors qu’une des principales finalités d’une LPM est de planifier et de sécuriser le renouvellement des équipements, il est d’ores et déjà à craindre que ceux-ci ne soient sérieusement malmenés par la montée en puissance des engagements sur le terrain, bien sûr, mais peut-être encore plus par l’absence de maîtrise du titre II. Alors que celui-ci est déjà lourdement déficitaire, tous les hauts responsables auditionnés se montrent, de façon assez préoccupante, extrêmement prudents sur la capacité à exécuter la manoeuvre RH qui soutient cette LPM actualisée. S’agit-il d’ailleurs d’un véritable dérapage en la matière ou, plus simplement, de l’incapacité à réaliser des objectifs trop ambitieux ? Quoi qu’il en soit, la dérive semble acquise avec ses inévitables conséquences.

À cela s’ajoute la vision, certainement beaucoup trop optimiste et non documentée, d’un milliard d’économies sur les coûts des facteurs à redéployer sur les équipements. On le voit, loin d’être sécurisé, le titre V navigue dans une zone dangereuse.

Ces lourdes problématiques justifiaient pleinement un texte qui aurait dû être exclusivement consacré aux questions financières. Or le Gouvernement a fait le choix d’ajouter deux autres sujets : le service militaire volontaire – réponse improvisée à l’actualité sans objectifs clairement déterminés – et les associations professionnelles nationales de militaires – enjeu qui aurait mérité un débat beaucoup plus approfondi. Dans la précipitation, il est en effet absolument impossible de mesurer sérieusement les conséquences des dispositions qui seront prises.

Au total, la plus grande fragilité de ce texte, qui aurait dû et pu être un texte majeur, c’est de laisser croire que les armées ont obtenu satisfaction. En fait, il n’en est rien. Dans ce contexte, l’abstention permet de prendre acte des bonnes intentions du Gouvernement, mais en soulignant qu’il ne faut pas se cacher que le plus dur reste à faire. De ce point de vue, la fin de gestion 2015 sera un premier moment de vérité.

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