Intervention de général Jean-Pierre Bosser

Réunion du 26 mai 2015 à 21h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Je parle très peu de la féminisation, car, chaque fois que je visite un régiment, les filles demandent à ne pas être stigmatisées et déclarent être des soldats comme les autres. Je rappellerai d'ailleurs que les deux derniers soldats de l'armée de terre morts en opération sont un garçon et une fille de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). J'ai signé la liste des lauréats au concours de l'école de guerre pour une promotion de capitaines un peu anciens et de jeunes commandants que j'ai eus comme élèves quand j'étais directeur des formations à Saint-Cyr, et je n'ai pas retrouvé la présence féminine à laquelle je m'attendais. J'ai également constaté que la dernière promotion de Saint-Cyr comportait quatre élèves officiers féminins, ce qui correspond, bon an mal an, à la situation qui prévalait avant qu'Alain Richard ne supprime les quotas. Il y a une dizaine d'année, alors que j'étais à St-Cyr, il y avait 5 à 10 fois plus de filles dans les promotions. Pourquoi ce chiffre a-t-il tendance à diminuer depuis ? À trop parler de féminisation, peut-être effraie-t-on un certain nombre de jeunes femmes qui hésitent à venir chez nous.

En matière de recrutement, nous nous sommes mis en ordre de bataille pour recruter 5 000 hommes avant la fin de l'année. Nous disposons également de deux leviers supplémentaires. Le premier consiste à essayer de garder au sein de l'institution tous ceux dont nous nous serions séparés si les conditions physico-financières s'étaient révélées plus sévères. Le second vise à aller chercher ceux qui ont quitté l'institution il y a deux ans dans le contexte de déflation d'effectifs d'alors et à leur proposer, en fonction de leur situation, de revenir pour des contrats courts. L'idée est donc de fidéliser et de récupérer un certain nombre de jeunes, tout en recrutant par le biais d'une nouvelle campagne de communication.

En 1996, quand il s'est agi de créer l'armée de terre professionnelle, nous avions imaginé une manoeuvre novatrice, consistant à solliciter les régiments pour les autoriser à recruter localement. Dans cette perspective, j'ai signé, en quelque sorte, un chèque en blanc aux chefs de corps, les autorisant à recruter entre trente et quarante-cinq postes. Ces 11 000 garçons et filles sont destinés à alimenter la force opérationnelle terrestre, les régiments, et non les fonctions concourantes. Les soucis que nous avions à les former sont dissipés, les centres de formation initiale des militaires du rang (CFIM) nous ayant permis de répartir la charge. Aussi la qualité de la formation initiale et celle du recrutement ne baisseront-elles pas.

J'en viens aux conditions d'entraînement. Vous avez pu constater, madame la présidente, au cours de votre visite au centre d'entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) de Sissonne, que les centres d'entraînement ont vu leur activité très réduite. Nous avons dû « encaisser » ce que nous appelons des renoncements. Dans l'inconscient collectif, le soldat, c'est un homme et une arme. Dans la réalité, c'est bien plus : c'est un soldat, un trinôme, un groupe, une compagnie, laquelle évolue avec d'autres armes – sapeurs, artilleurs… –, le régiment évolue, lui, avec l'interarmées, parfois l'interallié. C'est cet ensemble de maillons qui nous permet, par exemple, d'engager des actions comme celle récemment menée dans la bande sahélo-saharienne. L'entraînement au sein des centres d'entraînement collectifs fait aujourd'hui les frais de l'opération Sentinelle, le temps que nous remontions en puissance. J'ai l'oeil sur deux courbes : celle de la mission Sentinelle qui nous tire vers le bas en matière de préparation opérationnelle et celle des recrutements qui va progressivement monter. Les deux devraient se rejoindre en janvier ou février 2016. Nous devrions atteindre l'équilibre à la fin de 2016, ou au début de 2017, sans compter les six mois d'instruction nécessaires avant qu'un soldat puisse être engagé sur le territoire national.

Quand j'ai conçu le nouveau modèle de l'armée de terre au cours du dernier trimestre 2014, je n'avais pas prévu de fermeture de sites. Je souhaitais en effet garder un certain maillage territorial, quitte à diminuer le volume des régiments. Le ministre de la défense avait d'ailleurs validé ce schéma. Le modèle prévoyait le retour de l'armée sur le territoire national, incluant les réserves et une forme de service militaire adaptée, et je n'avais donc pas imaginé de fermer des sites ni de supprimer des régiments – la suppression d'un régiment entraîne une perte irréversible de savoir-faire ; ainsi, si l'on devait fermer le 1er régiment du train parachutiste à Toulouse, le savoir-faire qui nous permet de ravitailler les forces spéciales dans le nord du Mali, de larguer des vivres pour aider des populations dans des situations critiques, nous ne le retrouverions jamais.

Toutefois, cela ne signifie pas que nous allons conserver tous les sites. La manoeuvre de la maintenance, par exemple, se termine. Quand il n'y aura plus que vingt ou trente personnes sur un site, nous aurons atteint un seuil critique et il faudra bien le fermer. Toutefois, quand je rends visite aux régiments, je rappelle aux élus qui me font l'honneur d'un entretien qu'il n'y a pas de crainte à avoir avec ce modèle sur la pérennité des emprises. Je sens, en province, un véritable attachement des Français à la défense – ainsi du régiment de Clermont-Ferrand, avec ses cent quarante-six ans d'histoire, de celui de Brive… Certains me demandent pourquoi ne sont plus organisées de manoeuvres en terrain libre, pourquoi nos visites se font rares…

Le nouveau modèle que j'ai évoqué ne résout pas pour autant la question du rôle qui sera demain celui de l'armée de terre sur le territoire national. En effet, nous n'avons pas mené de réflexion à ce sujet depuis la chute du mur de Berlin, et nous nous en sommes tenus à la défense opérationnelle terrestre telle qu'elle avait été imaginée dans les années 1990. Nous avons certes mené un certain nombre d'opérations depuis : aide à la population après les tempêtes Klaus puis Xynthia, après les inondations de Draguignan, opérations délicates en Nouvelle-Calédonie... Ces actions n'ont toutefois pas été formalisées et il est vrai qu'on nous demande si nous ne sommes pas des supplétifs des forces de sécurité, si c'est bien le rôle d'un soldat professionnel de monter la garde dans une gare. Le Premier ministre a commandé une étude sur la question.

J'insiste sur le fait que le soldat que vous allez croiser demain à la gare de l'Est sera le même que celui qui se trouvera après-demain en Guyane avant qu'il n'aille en Guinée créer un centre d'aide aux services de santé locaux. Ce n'est pas une construction intellectuelle, mais bel et bien une réalité. J'étais jeudi dernier au 2e régiment de dragons, le régiment de l'armée de terre organisé pour faire face aux menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). C'est un escadron de ce régiment que j'ai rencontré à Noël en Guyane dans le cadre de l'opération Harpie ; c'est ce même régiment qui a encadré le premier centre que nous avons créé en Guinée dans le cadre de la lutte contre le virus Ebola et c'est toujours ce régiment qui, la semaine dernière, participait à l'opération Sentinelle. L'horizon du soldat ne se réduit par conséquent pas aux seules opérations sur le territoire national ; il faut y ajouter les opérations classiques et les opérations spéciales ou spécialisées. En soi, donc, un soldat français recèle de multiples capacités.

En ce qui concerne les réserves, j'observe qu'existe un problème relationnel entre l'employeur et l'employé, puisque de nombreux réservistes m'informent qu'ils sont souvent surnommés, dans leur entreprise, « les chômeurs en puissance ». Pour venir six semaines participer à la mission Sentinelle, à part des autoentrepreneurs, nous avons du mal à trouver des jeunes. Nous devons donc procéder à des améliorations. Pour ce qui est du volume, nous avions, il n'y a pas si longtemps, 22 000 réservistes de plus qu'aujourd'hui. En effet, à cause de la baisse du budget et par manque de visibilité horizontale, de nombreux réservistes ont délaissé l'armée de terre ; nous avons ainsi perdu une ressource de qualité qui, j'espère, fera bientôt son retour, notamment grâce à la vingtaine de millions d'euros supplémentaires prévue qui devrait nous permettre d'atteindre la cible qui nous est fixée.

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