Je vous remercie de votre invitation, madame la présidente. Je suis très honoré de m'exprimer devant votre commission, que je connais bien pour y avoir accompagné plusieurs fois des ministres, dans le cadre de fonctions antérieures. Je sais donc tout l'intérêt et toute l'importance des travaux que vous conduisez.
Comme vous l'avez indiqué, le Conseil européen reviendra sur le sujet de la PSDC lors de sa session des 25 et 26 juin prochain, conformément à la clause de rendez-vous adoptée en décembre 2013. Il s'agit d'une échéance importante. Les chefs d'État et de gouvernement feront notamment le point sur la mise en oeuvre des orientations et des engagements pris par le conseil des ministres en novembre 2013 et par le Conseil européen lui-même, le mois suivant. À ces occasions, plus d'une soixante de mandats avaient été fixés et confiés à la haute représentante, à la Commission européenne, à l'Agence européenne de défense (AED) et aux États membres. Ces mandats, assortis de calendriers de mise en oeuvre, visaient trois objectifs principaux : intervenir de façon plus efficace et plus visible dans la gestion des crises, répondre aux lacunes capacitaires constatées dans le cadre des opérations et développer l'industrie de défense.
La préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin est relativement bien engagée. Au début du mois de mai, Mme Mogherini, en sa qualité de haute représentante et de chef de l'AED, et Mme Bieńkowska, commissaire au marché intérieur et à l'industrie, ont adressé au président du Conseil européen leurs rapports sur la mise en oeuvre des orientations fixées en décembre 2013. Le 18 mai, le conseil des affaires étrangères a adopté des conclusions très longues et substantielles, qui serviront probablement de base à celles des chefs d'État et de gouvernement.
Le bilan des travaux conduits depuis décembre 2013 est inégal.
Un certain nombre d'éléments positifs peuvent être relevés.
D'abord, nous avons continué de lancer des opérations et des missions : quatre depuis décembre 2013.
Ensuite, plusieurs textes ont été adoptés : la stratégie de sûreté maritime, complétée par un plan d'action en décembre 2014, dans le cadre de laquelle la France, l'Espagne, le Portugal et le Danemark ont présenté une initiative visant à coordonner leurs opérations de surveillance dans le golfe de Guinée ; un document-cadre sur la cyberdéfense ; un plan d'action révisé déclinant la stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel, document important compte tenu de notre engagement dans la zone.
Mentionnons aussi les progrès inégaux mais réels dans la mise en oeuvre des quatre projets capacitaires prioritaires identifiés en décembre 2013 : le ravitaillement en vol, les drones, la communication gouvernementale et la cyberdéfense.
Citons en outre les travaux réalisés sur les conditions d'application de l'article 44 du traité sur l'Union européenne, en vertu duquel le conseil des ministres peut autoriser un nombre limité d'États membres à conduire une opération au nom de l'Union européenne. Les principes fondamentaux et les modalités ont été à peu près agréés. Il convient désormais de lancer une expérience pilote.
Évoquons également le développement des partenariats avec les grandes organisations internationales – Organisation des Nations unies (ONU), Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et Union africaine –, ainsi qu'avec une quinzaine d'États tiers, qui peuvent participer aux opérations de la PSDC en vertu d'accords conclus avec l'Union européenne. C'est sur cette base que la Géorgie a contribué à l'opération EUFOR RCA ou que la Serbie prend part actuellement à l'opération Atalante.
Enfin, l' » approche globale » permet une articulation et une coordination croissante entre les opérations et missions de la PSDC et les autres instruments de l'action extérieure de l'Union européenne, en particulier ceux qui relèvent de l'assistance communautaire ; il s'agit d'une évolution sans doute moins visible mais importante.
Un certain nombre d'aspects négatifs peuvent néanmoins être relevés ; j'en citerai trois.
D'abord, l'absence de progrès dans la mobilisation des moyens de réaction rapide, que vous avez mentionnée, madame la présidente, est regrettable. Jusqu'à présent, le manque de volonté politique des États membres a empêché le recours aux GTUE, « dont nous parlons toujours mais que nous n'utilisons jamais », pour reprendre la formule du ministre de la défense. Dans ce contexte, la France et l'Allemagne ont formulé plusieurs propositions pratiques, aux termes desquelles le recours aux GTUE serait considéré comme l'option prioritaire pour « entrer en premier » en cas de réponse à une situation de crise.
Ensuite, vous l'avez également relevé, les travaux sur le financement de la PSDC ont peu progressé. La révision du mécanisme Athena décidée au printemps dernier n'a amélioré les conditions de financement commun des opérations militaires que de façon très marginale. La France souhaitait que la prise en charge du transport des GTUE soit acquise de droit, mais cette proposition n'a pas été retenue. Ce point continue donc à faire l'objet d'une déclaration annexée valable pour une durée limitée à deux ans. Dans ces conditions, les coûts communs représentent en moyenne 10 à 15 % seulement des coûts entraînés par les opérations militaires. De même, la capacité à financer des opérations civiles reste limitée, essentiellement en raison de la faiblesse relative des crédits de paiement au sein du budget de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), sur lequel elles sont imputées. En 2015, ces crédits s'élevaient à 267 millions d'euros sur un budget de 320 millions.
Enfin, nous avons observé des difficultés récurrentes dans le processus de génération de force, qui ont notamment retardé le lancement des deux opérations en République centrafricaine – EUFOR RCA, puis EUMAM RCA –, ainsi que la détermination de leur capacité opérationnelle initiale. Et nous avons constaté des difficultés analogues pour le lancement de plusieurs missions civiles.
Je reviens à la préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin. Comme vous l'avez relevé, madame la présidente, ce sommet interviendra dans un contexte très différent de celui de décembre 2013 : la situation sécuritaire s'est dégradée à l'est, avec la crise russo-ukrainienne, et au sud, avec la multiplication des foyers de tension – en Syrie, en Irak, en Libye – et le développement de Daesh. Ce contexte influe sur l'état d'esprit dans lequel les États membres et leurs délégations à Bruxelles abordent l'échéance. La crise russo-ukrainienne, en particulier, a conduit un certain nombre d'entre eux à s'intéresser davantage aux travaux menés au sein de l'OTAN, en particulier aux mesures d'assurance ou de réassurance, ainsi qu'à la mise en oeuvre du « plan d'action réactivité » adopté lors du sommet du Pays de Galles. Elle a aussi suscité l'introduction de nouvelles thématiques, que plusieurs partenaires considèrent désormais comme prioritaires : la réponse aux menaces hybrides ou encore les défis de la communication stratégique afin de répondre à la propagande développée par certains États tiers.
En outre, l'évolution de l'environnement sécuritaire a amené plusieurs États membres à donner la priorité à la révision de la stratégie européenne de sécurité de 2003. En décembre 2013, le Conseil européen avait demandé à la haute représentante – alors Mme Ashton – d'établir un rapport sur l'évolution de l'environnement stratégique. Mme Mogherini le présentera probablement au début du mois de juin. C'est sur la base de cette contribution que le Conseil européen devrait lui confier le mandat d'élaborer une nouvelle stratégie européenne de politique étrangère et de sécurité. À l'instar d'autres États membres, la France y est favorable, mais nous devons veiller à ce que cet exercice n'épuise pas les travaux de la réunion des 25 et 26 juin sur la PSDC.
J'en viens aux objectifs de la France. Comme en 2013, nous sommes fortement mobilisés pour que le rendez-vous de juin soit l'occasion non seulement de dresser un état des lieux, mais aussi de fixer des orientations nouvelles. Tel est le sens de la lettre conjointe que les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du triangle de Weimar – France, Allemagne et Pologne – ont adressé à Mme Mogherini à la fin du mois de mars.
Quelles sont nos principales attentes ?
D'abord, nous souhaitons que l'engagement collectif en faveur de l'Europe de la défense soit réaffirmé. À cette fin, le Conseil européen devrait appeler à engager ou à poursuivre le redressement des moyens de défense européens, que nous considérons indispensable pour consolider l'autonomie stratégique de l'Europe, mais aussi pour faire en sorte que la charge ne repose pas uniquement sur quelques États membres. C'est cependant une question difficile pour certains de nos partenaires, dans le contexte de consolidation des finances publiques. Il n'est donc pas évident que nous parvenions à réitérer, au sein de l'Union européenne, l'engagement pris par les membres de l'OTAN de consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires.
Ensuite, l'élaboration de la stratégie européenne de politique étrangère et de sécurité doit permettre d'identifier non seulement les intérêts et les priorités de l'Union européenne, mais aussi les moyens nécessaires à cet égard, un rôle central devant être donné aux instruments de la PSDC.
D'autre part, l'Union européenne doit contribuer au renforcement des capacités des États tiers, en particulier en Afrique, afin qu'ils puissent assurer leur propre sécurité. La haute représentante et la Commission européenne ont présenté, fin avril, une communication conjointe sur l'initiative « former et équiper » – train and equip –, rebaptisée autrement depuis lors. Compte tenu du lien entre sécurité et développement, il est notamment envisagé de financer par des moyens européens les équipements non létaux des partenaires concernés. Il s'agirait d'une innovation importante, un tel financement étant impossible dans le cadre des instruments de coopération existants. Nous souhaitons que les principes énoncés dans la communication conjointe soient rapidement mis en oeuvre à travers des projets pilotes, au Mali, dans la Corne de l'Afrique ou en soutien à l'architecture africaine de sécurité.
Il est également important de renforcer les capacités militaires des Européens eux-mêmes. En décembre 2013, le Conseil européen avait invité l'AED et la Commission européenne à concevoir des mécanismes d'incitation à la coopération dans le domaine capacitaire. Il faut cependant reconnaître que les travaux ont peu avancé en la matière. Actuellement, l'AED bénéficie d'une exonération de TVA de la part des seules autorités belges pour les projets de coopération menés en commun. Encore cette exonération doit-elle être pérennisée à la faveur de la révision de la décision du conseil des ministres établissant l'AED. Ce travail est en cours. Au-delà, nous continuons à plaider en faveur de l'adoption de mesures incitatives dans le cadre de la réglementation existante, notamment de la directive TVA, afin de rendre plus attractifs les projets capacitaires menés entre Européens.
Enfin, la base industrielle et technologique de défense, y compris l'accès des PME aux marchés de défense et l'utilisation des financements européens pour la recherche et développement, doit être renforcée. Conformément à une suggestion de la Commission européenne de 2013, des travaux ont été engagés au printemps, sous l'égide de Mme Bieńkowska, en liaison avec l'AED, concernant une action préparatoire sur la recherche liée à la PSDC. Il s'agit d'une initiative très importante, qui pourrait aboutir à la création d'un instrument pérenne de soutien à la recherche dans le domaine de la défense – et non plus seulement dans celui des technologies à double usage, comme aujourd'hui –, dans le cadre des prochaines perspectives financières, c'est-à-dire après 2020. Nous souhaitons que le Conseil européen confirme l'engagement des États membre en faveur de cette initiative et, si possible, fixe les principaux paramètres de l'action préparatoire.
Je ne sais pas si les structures de la PSDC sont complexes, madame la présidente ; en tout cas, elles sont nombreuses. Le service européen d'action extérieure (SEAE), placé sous l'autorité de la haute représentante, comprend une direction chargée de la planification des opérations militaires, une direction chargée de conduire les missions civiles et un état-major. On trouve en outre un comité militaire composé de représentants des chefs d'état-major des États membres. Quant au Comité politique et de sécurité (COPS), il assure, par délégation du conseil des ministres, le contrôle politique et la direction stratégique des opérations.
Mme Mogherini s'est engagée dans un travail de réexamen des structures du SEAE, en particulier de celles compétentes en matière de gestion de crise. Nous devrions connaître ses orientations au début du mois de juin. À cet égard, notre principale préoccupation est de préserver la capacité de l'Union européenne à s'engager militairement.
Depuis l'origine de la PSDC, l'Union européenne a lancé et conduit une trentaine d'opérations et de missions. Dix-sept sont en cours, principalement dans les Balkans et sur le continent africain. Elles mobilisent environ 7 000 personnes. Onze sont des missions civiles, essentiellement de formation et de conseil. Six sont des opérations de nature militaire : l'opération Althéa, en Bosnie-Herzégovine ; la mission de formation des forces armées maliennes EUTM Mali ; la mission de formation des forces armées somaliennes EUTM Somalie ; la mission navale Atalante, destinée à lutter contre la piraterie au large de la Corne de l'Afrique ; la mission de conseil aux forces armées centrafricaines EUMAM RCA, qui a pris la suite d'EUFOR RCA le 15 mars dernier et dont la capacité opérationnelle initiale a été déclarée à la fin du mois d'avril ; la mission de formation des forces de sécurité en République démocratique du Congo EUSEC RDC, dont nous avons réduit le format et qui devrait être reprise d'ici un an sous la forme d'une coopération financée par un instrument communautaire.
Plusieurs de ces missions et opérations ont été lancées au cours de la période récente : EUTM Mali en 2013, EUCAP Sahel Mali et EUMAM Ukraine en 2014, EUMAM RCA en 2015. Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, des travaux ont été engagés en vue de lancer une opération navale en Méditerranée pour lutter contre les trafiquants de migrants. Le conseil des ministres a approuvé le concept de gestion de crise, la décision d'établissement et les principes de l'opération le 18 mai dernier. La planification opérationnelle est en cours, l'objectif des institutions européennes étant que le lancement soit décidé lors du prochain conseil des affaires étrangères, le 22 juin. Il s'agit d'une opération complexe, qui devrait comprendre quatre séquences : une coordination du renseignement afin d'obtenir une meilleure connaissance du trafic et des réseaux ; des opérations en mer, y compris dans les eaux territoriales libyennes, voire à proximité des côtes, à condition que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution sur la base du chapitre VII ; une neutralisation des embarcations avant qu'elles ne soient utilisées ou réutilisées ; à terme, un retrait. De nombreux éléments doivent encore être clarifiés : le cadre juridique, les règles d'engagement, le traitement des migrants éventuellement sauvés en mer, le traitement des trafiquants éventuellement arrêtés sur les embarcations. Ces sujets sont examinés actuellement par les instances compétentes du Conseil.