Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, votre invitation fait suite à la réunion du conseil des Affaires étrangères du 18 mai, où j'ai représenté le ministre des affaires étrangères. Elle nous permettra de revenir sur les décisions qui ont été prises en relation avec la situation en Méditerranée, décisions qui ont fait également l'objet d'un échange, le lendemain, au cours de la réunion du conseil des Affaires générales. Je tiens enfin à saisir cette occasion pour évoquer devant vous l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen du mois de juin, qui a été élaboré lors du conseil des Affaires générales.
L'ampleur de la pression migratoire en Méditerranée appelle une réponse européenne. Les drames qui s'y déroulent sont en effet sans précédent : 3 000 morts l'année dernière, près de 1 600 depuis le début de l'année – ces chiffres ne sont que des estimations. Les raisons qui poussent les migrants sur les routes d'Afrique et du Moyen Orient en direction des côtes méditerranéennes sont connues : elles sont liées aux guerres, notamment de Syrie et d'Irak, ainsi qu'à des situations de dictature, comme en Érythrée, et de façon plus générale aux problèmes de sous-développement et de pauvreté, ainsi qu'à la situation de faillite de certains États : c'est le cas de la Libye, où le contrôle du territoire n'est plus assuré par aucune autorité.
La pression migratoire qui s'exerce sur l'Europe ne cesse de croître : 170 000 arrivées irrégulières dans l'Union européenne en 2014, 76 000 entre janvier et la mi-avril 2015, augmentation de 80 % des demandes d'asile entre mars 2014 et mars 2015.
Une réponse européenne était donc indispensable. C'est pourquoi, à la demande la France et de l'Italie, un Conseil européen extraordinaire s'est tenu le 23 avril : il a permis de définir quatre axes concrets d'actions urgentes, sur la base desquels le travail s'est depuis lors engagé avec, en particulier, la publication par la Commission européenne le 13 mai d'un Agenda européen pour les migrations. Celui-ci, qui était déjà planifié, a tenu compte de la situation d'urgence.
L'Agenda vise tout d'abord à renforcer la présence de l'Union européenne en mer pour répondre à l'urgence humanitaire et mieux surveiller les frontières.
C'est tout l'enjeu du triplement des capacités opérationnelles – nombre d'experts, de bateaux ou d'avions – et des moyens financiers disponibles en 2015 et 2016, pour les opérations Triton et Poséidon conduites dans le cadre de Frontex. La Commission a donc proposé un budget rectificatif permettant de porter à 89 millions d'euros le financement de ces opérations.
La France y prend toute sa part. Nous avons doublé le nombre de nos experts et mis à disposition un navire patrouilleur, un navire remorqueur de haute mer et deux avions de surveillance.
Il convient toutefois d'aller encore plus loin en créant un véritable système européen de gardes-frontières. Aujourd'hui, les moyens sont mutualisés entre notamment les marines italienne, maltaise, britannique, allemande et française. La surveillance des frontières extérieures communes à l'Union européenne se posera de manière durable. Nous avions fait cette demande dès le mois de juin 2014 dans le cadre de la feuille de route que le Conseil européen avait fixée à la Commission : celle-ci a indiqué qu'elle ferait des propositions dans ce domaine.
Il convient ensuite de lutter contre les filières criminelles de passeurs.
L'objectif est d'autoriser des actions dans les eaux non seulement internationales mais également libyennes pour intercepter et neutraliser des embarcations après, voire avant leur utilisation par les trafiquants. Tel est le sens de l'opération EunavforMed menée dans le cadre de a politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et pour laquelle un concept de gestion de crise a été adopté le 18 mai par le conseil des Affaires étrangères, en vue de définir le dispositif opérationnel de mise en oeuvre de cette opération militaire navale d'identification, d'interception et de mise hors d'état de nuire des bateaux.
Cette opération, pour être réalisée dans le cadre du droit international, nécessite une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sous le chapitre VII de la charte, intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ». Les négociations ont actuellement lieu à New York où Mme Mogherini, haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s'est rendue en personne pour exposer les motifs de l'Union européenne devant les membres du Conseil de sécurité. La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil, ainsi que d'autres États européens, membres actuels du Conseil, entreprennent les démarches pour obtenir un mandat des Nations unies. Des démarches sont également entreprises auprès des autorités libyennes : si elles n'assurent pas à l'heure actuelle leur autorité sur l'ensemble du territoire de la Libye, ce pays n'en a pas moins un gouvernement reconnu par la communauté internationale. Un représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Bernardino Leon, est chargé, en tant que chef de la Mission d'appui des Nations unies en Libye, d'aider les Libyens à recouvrer leur unité, à l'heure où deux gouvernements et deux parlements revendiquent actuellement l'autorité politique.
Il convient également de prévenir les flux irréguliers par le renforcement de la coopération avec les pays tiers d'origine et de transit.
Le Conseil européen a décidé de déployer des officiers de liaison immigration dans les pays tiers clés, de renforcer les capacités des partenaires en matière de recherche et de sauvetage et de lancer des programmes régionaux de développement et de protection en Afrique du Nord et dans la Corne de l'Afrique, avec un financement de 30 millions d'euros pour la période 2015-2016.
Nous voulons par ailleurs mettre en place au Niger, qui est d'accord – M. Cazeneuve, ministre de l'intérieur, s'y est rendu récemment – un centre de prévention des flux et d'aide au retour des migrants irréguliers, en lien avec l'Organisation internationale des migrations et avec le soutien de l'Union européenne. L'objectif est de combiner des actions d'information des migrants, d'identification de ceux qui ont besoin d'une protection internationale, de réinstallation de ceux qui ont effectivement droit à cette protection et de retour pour les autres.
Il faut enfin que l'Europe prenne un double engagement de responsabilité et de solidarité. La responsabilité consiste pour les pays de première arrivée à faire face à leurs obligations en identifiant, parmi les migrants, ceux qui ont vocation à être accueillis au titre de la Convention de Genève et ceux qui doivent être renvoyés, comme migrants illégaux, dans leur pays d'origine ou de transit, au terme d'un accord de réadmission ou suivant les procédures légales de chacun des États membres de l'Union européenne. Les demandes des personnes qui ont vocation à obtenir l'asile doivent être, conformément au règlement de Dublin, instruites sur place, y compris par l'enregistrement de ces personnes. Nous entendons développer une approche commune de la gestion de zone d'attentes situées aux frontières terrestres ou maritimes des États membres de l'Union européenne de première ligne afin de favoriser l'enregistrement et l'identification rapides des migrants et l'examen aussi rapide que possible des demandes d'asile. Nous avons demandé l'aide du Bureau européen d'appui en matière d'asile, qui a la compétence et vise à harmoniser les procédures d'asile dans les différents États membres, pour aider à distinguer ceux qui doivent être accueillis au titre de l'asile de ceux qui n'en relèvent pas. La Commission européenne devrait mobiliser 60 millions d'euros de fonds d'urgence à cet effet.
Le pendant de la responsabilité est la solidarité. On ne saurait laisser les pays de la façade méditerranéenne – Italie, Grèce, Malte – répondre seuls à l'urgence. La solidarité consiste donc à mettre en place un mécanisme de répartition solidaire de l'accueil des réfugiés. L'Europe doit avoir une politique d'asile ; la France, quant à elle, a entrepris de réformer la sienne, comme le font de nombreux autres États membres, pour la rendre plus efficace, notamment en raccourcissant les délais de traitement des demandes. Je rappelle que l'asile est un droit attribué à une personne selon des critères internationaux, contenus dans la Convention de Genève, appliqués par tous les États membres de l'Union européenne à raison des risques que cette personne encourt dans le pays qu'elle a fui. C'est la raison pour laquelle le nombre de ses bénéficiaires ne saurait faire l'objet de quotas. Pour la France, la répartition des réfugiés entre les États membres doit se faire de façon plus équitable et solidaire. Cinq États membres – la France, l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède – accueillant à eux seuls aujourd'hui 75 % des réfugiés en Europe, il est nécessaire que les autres consentent de nouveaux efforts. Tous les États membres, en effet, doivent assumer leur part de l'accueil des réfugiés. Toutefois, je tiens à le répéter, cette dimension, qui a été beaucoup commentée dans la presse, n'a de sens que dans une politique d'ensemble associant à la lutte contre les filières, la coopération avec les États d'origine et les États de transit et la responsabilité des pays de première arrivée dans l'enregistrement des migrants.
La Commission proposera donc demain, sur la base de l'article 78, paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), un mécanisme temporaire de répartition dans l'Union des personnes en besoin de protection, avant l'examen complet de leur demande d'asile, sur la base d'une clé de répartition incluant des critères de produit intérieur brut (PIB), de taille de la population, de taux de chômage et du nombre de demandeurs d'asile et réfugiés déjà installés dans le pays. Or ces deux derniers critères sont, aux yeux de la France, sous-pondérés dans la proposition que la Commission a présentée le 13 mai, puisqu'ils ne comptent chacun que pour 10 %. C'est pourquoi la France, qui accueille déjà, avec quatre autres États, l'essentiel des réfugiés, entend discuter avec précision les modalités de mise en oeuvre de ce mécanisme.
Je tiens à rappeler qu'on ne saurait trouver dans le règlement de Dublin une base juridique à la répartition des demandeurs d'asile. Ils doivent être accueillis après examen de leur situation dans le pays où ils présentent leur première demande. C'est pourquoi, face à l'afflux exceptionnel que connaît l'Europe, la Commission propose d'utiliser l'article 78-3, que j'ai déjà évoqué, permettant la mise en oeuvre d'un mécanisme d'urgence pour faire face à une situation d'urgence. Ce mécanisme de répartition, à nos yeux exceptionnel et temporaire, ne peut donner lieu qu'à des mesures limitées et dérogatoires au règlement de Dublin, auquel nous sommes attachés, car il engage la responsabilité de l'État qui examine les dossiers de demande d'asile. Si, à titre exceptionnel, le transfert de demandeurs d'asile en besoin manifeste de protection peut être envisagé, il ne devrait toutefois concerner que des personnes identifiées comme ayant un besoin manifeste de protection, c'est-à-dire ayant vocation, selon toute probabilité, à obtenir protection à l'issue de l'examen au fond de leur dossier dans l'État de destination.
Je tiens en effet à préciser que ce mécanisme aura pour conséquence d'accueillir dans les autres États de l'Union européenne, avant que l'examen de leur demande d'asile n'ait pu être achevé, des réfugiés arrivés tout d'abord dans les États du sud de l'Europe. Toutefois, un premier examen doit permettre d'identifier si ces personnes sont ou non manifestement en besoin de protection : il s'agit de s'assurer qu'elles proviennent bien du pays qu'elles ont déclaré et qu'elles y encourent effectivement un risque qui justifie le statut de réfugié politique. L'asile ne saurait en effet concerner tous les migrants, notamment ceux qui ne viennent pas de pays dont la situation – guerre ou dictature – représente une menace pour leur sécurité. De plus, les États membres qui accueillent ces demandeurs d'asiles devront garder la maîtrise de la décision finale. Comme je l'ai déjà indiqué, c'est dans ce cadre que nous demanderons au Bureau européen d'appui en matière d'asile de procéder à un pré-examen conjoint des demandes dans les pays de première arrivée. Notre souci, je le répète, est de refuser toute mise en cause du principe de responsabilité, même s'il est nécessaire de faire preuve de solidarité, notamment avec l'Italie.
Parallèlement, la Commission devrait présenter une recommandation pour réinstaller des personnes réfugiées en quête de protection, qui se trouvent actuellement hors d'Europe, sous protection du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, notamment en Jordanie et au Liban.
Toutes ces propositions devront être étudiées très précisément, dans la perspective du conseil Justice et Affaires intérieures du 16 juin et du Conseil européen des 25 et 26 juin.
Il est clair qu'il n'y aura pas de règlement durable de la question sans, en amont, une action préventive des flux migratoires illégaux en lien avec les pays d'origine et de transit : il convient de mettre l'accent notamment sur la lutte contre les réseaux, et, à plus long terme, d'assurer le développement de sources de revenus alternatives aux trafics. Nous devons en particulier concentrer nos efforts sur le Niger, pays par lequel transite un très grand nombre de migrants. Selon les témoignages recueillis, au risque de la traversée sur les bateaux de la mort il faut ajouter, en amont, les risques de la traversée de la zone sahélo-saharienne. La Tunisie doit également faire l'objet d'une très grande attention car elle est menacée par la situation libyenne. La réunion cet automne à Malte d'un sommet UE-Afrique sera à cet égard particulièrement importante : il convient en effet de renforcer non seulement la cohésion entre les États membres de l'Union européenne mais également la coopération internationale, qu'il faut élargir aux pays d'Afrique.
Vous avez mentionné, madame la présidente, les autres sujets de l'agenda du Conseil européen de juin.
Il sera tout d'abord amené, à la suite du Conseil européen de décembre 2013, à adopter des conclusions opérationnelles, avec des mandats et des échéances précis, sur les trois volets de la PSDC, qu'il s'agisse du financement des opérations conjointes, des capacités ou des industries de défense.
Les chefs d'État ou de gouvernement feront également un premier bilan de l'action commune engagée le 12 février dernier en matière de lutte contre le terrorisme après les attentats de Paris et de Copenhague. Il importe à cet égard d'intensifier nos efforts, en particulier pour tenir notre objectif d'adopter rapidement la directive sur les données des dossiers passagers (ou PNR pour Passenger Name Record).
Il convient enfin de ne pas oublier trois enjeux essentiels en matière économique. Le premier est le débat sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, avec le rapport des quatre présidents. Nous soutenons, aux côtés de nos partenaires allemands, des réformes de court terme qui puissent être mises en oeuvre à traités constants, tout en participant à des objectifs de moyen terme. C'est le sens de la contribution commune que le Président de la République et la Chancelière ont envoyée aux quatre présidents et qui vise un renforcement de la coordination des politiques économiques, une convergence économique, fiscale et sociale, un soutien à la stabilité financière et aux investissements et une gouvernance plus légitime et efficace.
Le deuxième enjeu est la stratégie pour le marché unique du numérique : la France portera toute son attention notamment sur la défense du droit d'auteur et la fiscalité du livre numérique.
Le troisième est l'agenda fiscal sur lequel le Conseil européen devra donner des orientations claires, notamment en matière de lutte contre l'optimisation fiscale au sein de l'Union européenne.
Enfin, le Conseil européen devra évaluer la mise en oeuvre des accords de Minsk et prendre une décision sur le renouvellement, total ou partiel, ou la modification éventuelle des sanctions sectorielles.
Le Conseil européen pourrait également évoquer la situation de la Grèce. De même, nous avons tous à l'esprit le fait qu'il s'agira du premier Conseil européen auquel participera le Premier ministre britannique depuis sa réélection.
Voilà, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, l'agenda très chargé du prochain Conseil européen.
Je souhaite que, derrière ce foisonnement, un message fort émerge : celui d'une Europe qui, prenant les problèmes à bras-le-corps – ils sont nombreux – se donne les moyens d'y faire face d'une manière collective, solidaire et responsable.