Intervention de Harlem Désir

Réunion du 26 mai 2015 à 17h15
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'état aux affaires européennes :

Mme Karamanli l'a souligné : nous devons relever des défis sans précédent. Le continent européen est entouré de zones de conflits : à l'est en Ukraine, au sud en Syrie et en Irak, plus au sud encore en Libye. Or c'est cette instabilité qui provoque la majeure partie des mouvements de population vers l'Europe, qui est un territoire de sécurité, de paix et de protection de la dignité humaine. Cette instabilité ne fait, de plus, qu'aggraver des problèmes antérieurs, tels que le sous-développement, la pauvreté ou l'exode rural, surtout en Afrique, vers les grandes métropoles, lesquelles ne répondent pas toujours, notamment en termes d'emploi ou de logement, aux espérances des populations qui ont quitté des zones arriérées au plan économique.

Si nous devons faire face à cette situation en y apportant des réponses de fond – il ne saurait y avoir vingt-huit politiques séparées de stabilité ou de lutte contre le sous-développement –, il convient en même temps de répondre à l'urgence : je pense notamment à celle qui est née de la situation qui prévaut désormais en Libye, où des réseaux criminels gagnent de l'argent sur la misère des migrants en les poussant à mourir en mer sur des embarcations de fortune. Notre action doit porter sur l'ensemble des facteurs : il y va à la fois de vies à sauver et de la crédibilité de l'Union européenne en termes de valeurs, de protection de ses frontières et de lutte contre les réseaux criminels. Oui, il faut une conférence internationale associant les pays du sud de l'Europe : tel sera l'objet de la rencontre à Malte entre Union européenne et l'Afrique. Peut-être conviendrait-il d'y associer d'autres partenaires pour développer la mobilisation internationale : le mandat que nous demandons aux Nations unies pour organiser l'opération EunavforMed indique que nous avons besoin du soutien de la communauté internationale.

La destruction des bateaux n'est pas une fin en soi : il faut d'ailleurs un mandat international pour intercepter et confisquer un bateau qui arbore un pavillon, et ce en vue de casser le système mis en place par les passeurs et de traduire devant la justice ceux qui auront été arrêtés. À cette fin, nous devons agir non seulement en haute mer mais dès le départ des bateaux, au plus près des côtes libyennes. Nous avons engagé un dialogue avec les autorités libyennes afin d'obtenir leur coopération. J'ignore si l'extension des compétences du Parquet européen permettrait de mieux lutter contre les passeurs. Sa vocation est aujourd'hui de protéger les intérêts financiers de l'Union européenne : c'est sur cette base qu'il est actuellement en voie d'adoption au Parlement européen, dont il faudrait l'accord, ainsi que celui du Conseil européen, pour élargir les compétences du Parquet.

Frontex disposera désormais de moyens plus importants, au moins équivalents à ceux de Mare Nostrum. Le défi n'est plus tant d'augmenter le budget de Frontex que de passer à une intégration opérationnelle permanente grâce à la création de gardes-frontières européens. L'Union doit disposer non seulement d'une agence coordonnant la surveillance maritime et organisant les secours ainsi que d'un bureau européen pour l'asile, mais également de moyens permanents permettant de contrôler les frontières, de pratiquer le sauvetage en mer et de procéder à des opérations de retour.

La politique de migration commune doit permettre, non seulement, comme le souhaite le président Juncker à travers la carte bleue, d'organiser une part de la migration légale – migration de travail, accueil des étudiants étrangers –, mais également de procéder à des opérations de retour. Si la politique commune doit conduire à gérer des zones d'attente pour les réfugiés ayant un besoin manifeste de protection, elle doit également être capable d'assurer le retour de ceux qui ne proviennent pas de pays justifiant une demande d'asile politique et qui sont des migrants illégaux. Il appartient à Frontex de prendre ces retours en charge.

Comme tous les membres, notamment permanents, du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie et le Chine demandent à l'Union européenne des précisions sur le mandat qu'elle souhaite obtenir : ces deux pays, qui attendent un accord des autorités libyennes, n'ont pas encore exprimé de position définitive. Obtenir un tel accord est également une priorité à laquelle nous travaillons avec Mme Mogherini et les autres membres européens du Conseil de sécurité.

Je n'ai perçu aucune contradiction entre les propos du Président de la République et du Premier ministre et ceux des autres membres du Gouvernement. Nous ne sommes pas favorables à un système de quotas, c'est-à-dire à un système automatique de répartition de demandeurs d'asile. Le statut de réfugié politique est un droit pour une personne effectivement menacée dans son pays. C'est donc en fonction de ses engagements internationaux – je pense notamment à la Convention de Genève – que la France accorde l'asile à des personnes dont la sécurité, voire la vie, serait menacée si elles étaient renvoyées chez elles. Quel sens y aurait-il par ailleurs à établir des quotas d'immigrés illégaux ? Je rappelle que la Commission européenne n'a pas utilisé les mots « quotas de migrants » dans sa communication écrite – M. de La Verpillière a eu raison de le rappeler. Ces mots ont été utilisés par ses porte-parole dans la communication orale, ce qui a entraîné une double confusion : une confusion, que Christophe Caresche a soulignée, entre les demandeurs d'asile et les migrants, dont la venue préexistait aux crises que connaissent actuellement la Syrie ou l'Irak ; une seconde entre la notion de « solidarité » – mieux assumer collectivement la répartition de l'accueil et de l'effort – et celle de « quota », dont, sinon le mot, du moins l'idée était contenue dans la communication de la Commission européenne. Cette idée consisterait à attribuer un nombre de personnes en besoin de protection aux différents pays de l'Union européenne, où ils se verraient automatiquement décerner le statut de réfugiés, dans le cadre d'un mécanisme mathématique dont les critères nous semblent fort discutables. Il convient à nos yeux de revenir sur ces critères et de prendre en considération le fait que la France a déjà accueilli 20 000 personnes, qui se sont vu accorder l'asile l'an dernier. Il est vrai que la Suède accueille le plus grand nombre de réfugiés politiques à raison de sa population et que l'Allemagne en accueille également plus que nous. Il n'en est pas moins vrai que la France accueille un grand nombre de réfugiés et est, de manière générale, un pays d'immigration. C'est pourquoi il appartient aux vingt-huit États membres de faire l'effort d'accueillir des personnes en besoin manifeste de protection. C'est vrai, cette notion ne figure pas dans le règlement de Dublin : elle vise non pas une sous-catégorie, mais les réfugiés dont les demandes n'ont pas encore été instruites : la Commission propose que leur instruction soit répartie entre les différents États membres et non laissée à la seule charge de l'Italie, où les opérations de secours de l'agence Frontex amènent les migrants.

Le PNR, monsieur Lequiller, est en examen au Parlement européen sur la base du rapport de Timothy Kirkhope, qui a intégré des demandes des membres de la commission des libertés. Nous espérons que la directive pourra être adoptée le plus rapidement possible et qu'elle aura conservé les principes d'harmonisation de la transmission des dossiers des passagers qui permettent de garantir l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et de la surveillance du transport aérien à l'entrée de l'Europe et au sein de l'Union européenne.

Le Premier ministre David Cameron sera en France jeudi : il y effectuera sa première rencontre avec un chef d'État ou de gouvernement depuis les élections britanniques. Nous prendrons connaissance à cette occasion des demandes du Royaume-Uni relatives à sa place au sein de l'Union européenne, où nous souhaitons qu'il demeure : c'est son intérêt tout autant que celui de l'Union européenne. L'Europe est à un moment de son histoire où elle a besoin non pas d'un amoindrissement mais d'un renforcement de sa cohésion. Les réponses à apporter aux attentes des Britanniques ne doivent pas avoir pour conséquence de modifier les traités : il n'est pas question en effet de remettre en cause les valeurs fondamentales de l'Union, en particulier ce principe qu'est la liberté de circulation des citoyens européens. S'il est possible, voire souhaitable, de répondre aux demandes d'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne et de ses politiques communes, il est, en revanche, hors de question, je le répète, de remettre en cause les principes fondateurs de l'Union européenne à la demande d'un État membre. De plus, toute modification des traités impliquerait de s'engager dans un processus de négociation très long et incertain, puisqu'une telle modification requerrait l'accord des vingt-huit gouvernements sur les points à modifier. Aboutir à un consensus serait très difficile, d'autant que d'autres demandes risqueraient de surgir. Le processus de ratification ne serait pas moins long et incertain, puisqu'il impliquerait, à son tour, l'accord des vingt-huit parlements nationaux, voire la tenue de référendums, sans compter l'accord du Parlement européen. L'heure est à une amélioration rapide du fonctionnement de l'Union européenne, pour permettre à l'Europe d'être plus efficace notamment en matière de création d'emplois et de croissance et de mieux répondre aux grands enjeux internationaux – sécurité, immigration, mondialisation : une procédure longue ne saurait donc répondre à l'attente des citoyens. Je rappelle que la précédente modification des traités a demandé huit ans entre l'engagement de la procédure et l'entrée en vigueur des nouveaux textes.

Monsieur Pueyo, Triton et EunavforMed sont deux opérations distinctes. Il n'y aurait eu aucun sens à forger un concept de gestion de crise pour l'opération navale de type militaire qu'est EunavforMed, si celle-ci était identique à l'opération Triton menée dans le cadre de Frontex et qui vise à surveiller les frontières et à secourir les bateaux en perdition pour sauver la vie des migrants. L'opération EunavforMed a, quant à elle, pour objectif de mettre un coup d'arrêt à l'utilisation de bateaux dans l'organisation de trafics d'être humains. C'est pourquoi elle doit pouvoir intervenir non seulement en haute mer mais également au plus près des côtes libyennes et saisir les bateaux.

Vous avez rappelé la condamnation ferme et sans ambiguïté par la France de la prise de Palmyre. Les témoignages qui nous arrivent font état à la fois d'un risque réel pour ce patrimoine de l'humanité qu'est la cité antique et de massacres de populations civiles : plusieurs centaines de personnes auraient déjà été exécutées. Mme Mogherini s'est jointe à ces condamnations, qui ne font que renforcer notre détermination à soutenir la lutte très ferme de la communauté internationale à la fois contre Daech et contre le régime qui, de toute évidence, est à l'origine de la guerre civile et du massacre d'une grande partie de sa population tout en se montrant incapable de garantir la sécurité du pays.

Le Conseil européen aura à son ordre du jour des questions de défense, notamment le financement des efforts de défense – sujet que plusieurs ministres de la défense ont évoqué lors de la réunion du conseil des Affaires étrangères, conjointe en partie à la réunion des ministres de la défense, le 18 mai, à Bruxelles. Si l'Europe veut assumer ses responsabilités en matière de sécurité et si chaque État membre doit contribuer à l'effort de défense, alors les règles budgétaires ne doivent pas décourager ces mêmes États à investir dans le maintien d'un outil de défense suffisant et dans sa modernisation. Plusieurs pays ont décidé de porter leur effort en la matière à 2 % du PIB – un niveau comparable à celui de la France : c'est du reste l'objectif que se sont fixé les États membres de l'OTAN. Il ne faut pas non plus oublier les problèmes de financement des opérations extérieures. La question se trouve donc posée de savoir si le pacte de stabilité et de croissance doit prendre en compte les efforts des États en matière de défense. Il ne faudrait pas en effet que certains y renoncent par peur de la sanction des mécanismes de surveillance budgétaire de l'Union. Le cercle des ministres européens de la défense réfléchit à la question, qui devra, un jour, être soulevée au sein de l'Eurogroupe. Il ne faudrait pas, toutefois, en faire un prétexte pour ne pas respecter les règles budgétaires auxquelles nous sommes collectivement astreints pour assurer la stabilité de la zone euro.

Le Parlement européen doit accepter la constitution en son sein d'une commission ou sous-commission spécifiquement dédiée à la zone euro. Il doit également comprendre le souhait des parlementaires nationaux d'être étroitement associés à une gestion plus intégrée de la zone euro, qui doit concerner non seulement la surveillance budgétaire, mais également les stratégies d'investissement et d'harmonisation fiscale et les politiques économiques. Tel est l'esprit dans lequel nous travaillons.

Madame Chabanne, notre politique en matière d'immigration n'a de sens que si l'Europe peut mener une action très ferme contre les réseaux de passeurs. Or cette action implique notamment d'aider les pays de transit à lutter eux-mêmes contre ces réseaux, à les démanteler et à dissuader les migrants, en les informant qu'ils ne pourront pas obtenir de droit de séjour dans l'Union européenne. On ne saurait laisser des milliers de migrants prendre le risque de traverser le désert puis la Méditerranée et de s'exposer aux drames, alors que nous voulons précisément l'éviter. Tel est le sens des décisions du Conseil européen du 23 avril. Madame la présidente, il ne s'agit pas de construire une nouvelle ligne Maginot. La France ne refuse pas d'assumer ses responsabilités en matière d'accueil des réfugiés : elle en reçoit beaucoup, y compris d'Irak et de Syrie, ainsi que d'Érythrée ou de nombreuses autres régions du monde. Toutefois, notre action doit être coordonnée et déterminée. Si l'Europe veut continuer d'accueillir des réfugiés politiques ainsi que des migrants légaux, au titre du travail, du regroupement familial ou des études, elle doit également se montrer capable d'assurer le contrôle de ses frontières et le respect de sa législation en matière d'immigration. Il y a encore quelques années, chaque État membre pensait qu'il pouvait gérer au seul plan national les conditions de l'accueil des réfugiés et des migrants. Tel n'est plus le cas aujourd'hui : une action collective est nécessaire pour répondre à la situation à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés en Méditerranée. Nous devons dès lors faire preuve de responsabilité et de solidarité en nous entendant sur les règles présidant au traitement des demandes d'asile. C'est une politique d'immigration commune que nous mettons actuellement en place, laquelle implique une politique commune à la fois de contrôle des frontières et de coopération avec les pays d'origine et de transit.

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