Intervention de Philip Cordery

Réunion du 26 mai 2015 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, rapporteur :

La proposition de résolution européenne appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac devrait, nous semble-t-il, réaliser le plus large des consensus, car la nocivité du tabac relève d'une évidence reconnue au niveau mondial.

Je tiens au préalable à saluer le travail effectué en commission des Affaires sociales par Michèle Delaunay qui, ainsi que Jean Louis Touraine et Rémy Pauvros, avec qui nous avons rédigé cette proposition de résolution qui est présentée parmi nous.

La Convention-cadre de l'Organisation Mondiale de la Santé pour la lutte antitabac, entrée en vigueur le 27 février 2005, ratifiée par 172 pays, prévoit la présence de mises en garde sanitaires sur le conditionnement des produits du tabac, l'interdiction de publicité, de la promotion du tabac et les activités de parrainage, la lutte contre la contrebande, etc.

Combattre sa consommation est une ardente obligation pour tous les échelons d'administration, que ce soient les collectivités locales où les États, responsables en premier ressort de la santé publique, ou l'Union européenne à travers la réglementation relative aux ventes de tabac, la fiscalité ou la communication.

En effet, la consommation de tabac constitue la première cause de décès prématurés, concernant près de 650 000 Européens, soit plus que la population de Malte ou du Luxembourg. Elle représente également le principal risque sanitaire évitable au sein de l'Union européenne : près de la moitié des fumeurs décèdent prématurément, en moyenne 14 ans plus tôt que les non-fumeurs, car, si de nombreux types de cancers sont liés au tabac, il en est de même pour les maladies cardiovasculaires et respiratoires.

Au final le tabac génère plus de problèmes sanitaires en Europe que l'alcool, la drogue, l'hypertension, le surpoids ou le cholestérol. En outre, les fumeurs mettent en danger les personnes exposées aux méfaits du tabagisme passif, au domicile comme au lieu de travail, il coûte chaque année la vie à 19 000 Européens.

En France, les mesures de prévention, associées à une hausse du prix du tabac et à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, ont contribué à une stabilisation du tabagisme, mais non à la baisse que nous aurions souhaitée.

En effet, malgré des progrès considérables, et une action publique importante de l'Union européenne, comme des États membres, ces dernières années, le nombre de fumeurs reste élevé dans l'UE où ils représentent 28 % de la population totale, et 29 % des 15-24 ans.

De ce fait le, le tabac a engendré des pertes économiques de plus de 100 milliards d'euros.

Malgré ce bilan il existe des signes encourageants qui laissent entrevoir une amélioration : le tabagisme est de moins en moins accepté socialement, de plus en plus de pays européens adoptent des législations anti-tabac afin de protéger leurs citoyens de la fumée dans les lieux publics, dans les transports en commun et sur le lieu de travail.

Plusieurs éléments inquiétants font toutefois leur apparition. Les jeunes commencent à fumer de plus en plus tôt et la commercialisation en ligne de produits du tabac est en hausse. Des nouvelles tendances apparaissent également, telles que l'utilisation de pipes à eau et de produits du tabac non combustibles (« cigarettes électroniques »), dont beaucoup de consommateurs ignorent les effets nocifs ou les prennent trop à la légère.

C'est pourquoi nous vous proposerons, au terme de l'analyse qui suit, d'adopter la proposition de résolution européenne (n° 2716), appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac.

L'Union européenne ne dispose que de prérogatives limitées dans le domaine de la lutte contre le tabac dans la mesure où la politique de santé publique relève d'abord de l'échelon national et local, en particulier pour les actions de prévention destinées aux jeunes en milieu scolaire, de même elle ne dispose pas de la compétence fiscale pour fixer le taux des taxes additionnelles sur le prix des tabacs.

Il existe une ambiguïté, pour ne pas dire une contradiction, dans les traités européens vis-à-vis du tabac, il s'agit d'une marchandise licite, bénéficiant à ce titre de la libre circulation et en même temps d'un fléau de santé publique combattu par l'Union européenne.

Pour remédier à cette situation, l'Union européenne est venue en appui des États membres, responsables in fine de la santé publique, en prenant une série de mesures aidant à la lutte antitabac, sous la forme d'actes législatifs, de recommandations et de campagnes d'information, qui visent à protéger les citoyens des effets nocifs du tabagisme, notamment passif, et d'autres formes de consommation du tabac. Avant tout, elles sont destinées à prévenir la consommation de tabac et à aider les fumeurs à arrêter, en particulier chez les jeunes ; car le tabac est un produit addictif, et 94 % des fumeurs commencent avant l'âge de 25 ans.

Depuis les années 80, plusieurs initiatives législatives ont été́ développées au sein de l'Union européenne afin de réduire le tabagisme pour règlementer les produits du tabac, afin de garantir des normes harmonisées et une information appropriée des consommateurs et, d'autre part, d'imposer certaines restrictions à la commercialisation des produits du tabac pour des raisons de santé publique.

Aujourd'hui, la législation antitabac repose pour l'essentiel sur deux actes législatifs : la directive sur les produits du tabac et la directive sur la publicité́ en faveur des produits du tabac.

Ce dispositif comprend :

- la réglementation des produits du tabac sur le marché de l'Union européenne (emballage, étiquetage, ingrédients, etc.);

- la création d'espaces non-fumeurs,

- des mesures fiscales et des actions contre le commerce illicite,

- des campagnes antitabac.

Une réglementation au niveau de l'Union est nécessaire car le commerce des produits du tabac est largement transfrontalier et les législations nationales sont divergentes. Les règles européennes garantissent aux consommateurs la même protection dans toute l'Union européenne. La nouvelle directive sur les produits du tabac, qui régit la fabrication, la présentation et la vente du tabac et des produits du tabac, a été approuvée par le Parlement européen le 3 avril 2014. Elle couvre notamment les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac pour pipe, les cigares, les cigarillos, les produits du tabac sans combustion, les cigarettes électroniques et les produits à fumer à base de plantes.

Ses principales dispositions sont les suivantes :

- elle interdit les cigarettes et le tabac à rouler contenant des arômes caractérisants ;

- elle impose aux entreprises de déclarer précisément aux États membres les ingrédients utilisés dans les produits du tabac, et plus particulièrement dans les cigarettes et le tabac à rouler ;

- elle exige l'apposition d'avertissements relatifs à la santé sur l'emballage des produits du tabac, qui doivent couvrir au total (image et texte) 65 % de la face avant et arrière des paquets de cigarettes et de tabac à rouler ;

- elle fixe des dimensions minimales pour la taille des avertissements et élimine les petits conditionnements pour certains produits ;

- elle interdit tout élément publicitaire ou trompeur sur les produits du tabac ;

- elle introduit un système d'identification et de suivi dans toute l'UE pour combattre le commerce illégal de produits du tabac ;

- elle autorise les États membres à interdire la vente en ligne de produits du tabac ;

- elle établit des exigences de sécurité et de qualité pour les cigarettes électroniques ;

- elle oblige les fabricants à déclarer tout nouveau type de produit du tabac avant sa mise sur le marché européen.

La Commission européenne élabore actuellement des règles plus détaillées dans certains domaines afin d'aider les États membres à mettre en oeuvre la directive 201440UE, en particulier pour ce qui concerne la restriction des ventes en ligne.

De nombreux citoyens européens continuent à être régulièrement exposés au tabagisme passif, que ce soit à la maison ou sur leur lieu de travail. Il est prouvé́ que l'exposition à la fumée du tabac provoque des décès, des pathologies et des infirmités et qu'elle est particulièrement nocive pour les nourrissons et les enfants. Près d'un tiers des pays européens ont adopté́ une législation globale en faveur d'environnements sans tabac et les effets immédiats sur la santé sont impressionnants. Par exemple, l'incidence des crises cardiaques était en recul dans les proportions allant de 11 à 19 %. Le 30 juin 2009, la Commission a présenté́ une proposition de recommandation du Conseil invitant les États membres à prendre des mesures afin de protéger leurs citoyens contre l'exposition à la fumée du tabac d'ici 2012.

La politique en matière de santé n'est pas la seule à intégrer des mesures destinées à freiner le tabagisme; le tabac est une problématique transversale qui concerne de nombreux domaines d'action. Il est prouvé́ que des taxes élevées sur les cigarettes et les autres produits du tabac comptent parmi les instruments les plus efficaces pour réduire la consommation de tabac, en particulier chez les jeunes. C'est pourquoi la législation communautaire relative à la taxation du tabac est de plus en plus perçue comme un instrument non seulement fiscal, mais aussi de santé publique. La Commission a proposé́ de relever le niveau minimal des taxes sur le tabac. Cette proposition est en cours de discussion, il convient d'encourager cette voie car, comme l'illustre la carte qui suit il existe en Europe de très grandes divergences dans les prix du tabac.

Nous pouvons néanmoins reprocher à la Commission européenne de soutenir, avec l'appui de la Cour de justice de l'Union européenne, une conception du marché unique qui n'a pas intégré la spécificité de la lutte contre les addictions. Nous prendrons comme exemple l'arrêt de la CJUE du 14 mars 2013.

La Cour était appelée à se prononcer sur une plainte, à notre sens inopportune, de la Commission européenne, qui reprochait à la France de limiter à cinq cartouches (soit un kilo de tabac), voire dix dans certains cas restreints, les achats de tabac à l'étranger.

« La France a manqué à ses obligations […] en utilisant un critère purement quantitatif pour apprécier le caractère commercial de la détention par des particuliers de tabac manufacturé en provenance d'un autre État membre, en appliquant ce critère par véhicule individuel [et non par personne] et en l'appliquant de manière globale pour l'ensemble des produits du tabac », a affirmé la Cour dans son arrêt.

La limitation en cause avait été adoptée en 2006, au moment où avaient explosé les achats de tabac à l'étranger, notamment en Belgique ou en Espagne, où le paquet de cigarettes, moins taxé, est moins cher. Les achats légaux à l'étranger et les achats illégaux par Internet ou sous le manteau représentent 20 % de la consommation de tabac en France, selon les douanes. Ce mode d'achat représente un manque à gagner fiscal d'environ 2,5 milliards d'euros par an.

Prenant acte du jugement européen, le gouvernement français a donné instruction à ses services douaniers de contrôler les importations de tabac supérieures à dix cartouches en provenance d'un autre État membre européen, avec menace de saisie ou d'amende si elles ne sont pas destinées à un usage personnel. La mesure figure dans une instruction aux services douaniers.

Cet arrêt a obligé la France à « alléger » les limitations physiques mises à l'importation de tabac et va à l'encontre de la lutte contre la contrebande en Europe qui constitue un fléau.

En effet, les produits du tabac sont fortement taxés. Ils se prêtent en outre facilement au trafic illicite, qui génère des profits élevés. Les disparités considérables en termes de prix payés par le consommateur, tant au sein de l'UE, que par comparaison avec des pays tiers constituent une incitation au commerce illicite. Par ailleurs, les peines encourues par les trafiquants sont relativement faibles par rapport à celles du trafic de drogue, par exemple. Elles varient considérablement d'un État membre à l'autre. Enfin, d'autres facteurs parmi lesquels la situation géographique, l'efficacité́ des autorités de répression et la corruption dans les instances de contrôle jouent également un rôle important dans l'ampleur du commerce illicite.

Au-delà de ces actions réelles et importantes il me semble que la lutte contre la contrebande serait facilitée si le tabac était exclu du champ d'application des législations interdisant les restrictions aux échanges communautaires car il ne constitue pas une marchandise comme les autres, à l'instar de ce qui a été fait pour les aides au tabac qui représentaient un aspect important, de la politique agricole mais, qui dans l'intérêt de la santé publique, ont fait l'objet d'une suppression progressive.

Les avertissements relatifs à la santé sont considérés comme un élément important et efficace d'une politique globale de lutte antitabac. En 2005, la Commission a conçu toute une série d'avertissements illustres qui montrent l'effet néfaste du tabac au moyen d'images fortes. Pour l'instant, les avertissements illustrés ne sont pas obligatoires au sein de l'Union européenne, mais la Commission encourage leur utilisation.

La lutte contre la consommation excessive de tabac, en particulier chez les jeunes a suscité toute l'attention de l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi « santé ». En participant à nos débats, j'ai eu le sentiment que l'action forte que nous pouvions conduire au niveau national ne serait efficace que si elle était également relayée au niveau de l'Union européenne qui doit « oublier » les règles du marché unique, lorsque nous sommes en présence de produits nuisibles à la santé comme le tabac.

Les propositions que nous vous proposons d'adopter au texte initial sont mineures et souvent formelles.

Il convient de promouvoir le développement du paquet neutre en Europe sur la base d'éléments objectifs. C'est pourquoi il est demandé à la Commission européenne d'évaluer les effets, au niveau de l'Union européenne, de l'adoption du paquet neutre par plusieurs États membres et que nous appelons le gouvernement à promouvoir auprès de ses partenaires européens l'introduction du paquet neutre à l'instar de la France, l'Irlande et le Royaume Uni, sur le fondement de l'article 24 paragraphe 2 de la directive 201440UE ;

Pour lutter contre la contrebande et la tabagisme des jeunes nous appelons les États membres à une harmonisation fiscale par le haut du prix du tabac afin de renforcer les effets positifs de la hausse du prix du tabac sur la consommation et afin que les zones frontalières ne soient plus soumises à des disparités de prix neutralisant les effets d'une politique fiscale ambitieuse de lutte contre le tabac.

Cette politique doit être complétée par un renforcement de la lutte contre les achats transfrontaliers illicites de tabac, par une application rapide de l'article 18 de la directive 201440UE « relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 200137CE, », et demande dans cette perspective à la Commission européenne de préciser les modalités pratiques de mise en oeuvre par les États de « l'interdiction de la vente à distance transfrontalière de produits du tabac ».

Enfin, malgré les contraintes budgétaires, il nous semble que la Commission européenne devrait accroître sa participation financière aux campagnes nationales de lutte contre le tabac.

En conclusion, l'approche adoptée par l'Union européenne à l'égard de la lutte antitabac – législation, campagnes et accords internationaux – est parvenue à limiter le tabagisme en Europe. Depuis quelques années, les fumeurs sont moins nombreux et les citoyens en savent davantage sur les effets néfastes du tabac.

Il nous faut néanmoins aller plus loin, d'où notre proposition d'adoption de la proposition de résolution européenne (n° 2716), appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac.

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