Merci pour vos commentaires et contributions sur un rapport qui n'est qu'une étape et qui ne prétend pas avoir la vérité révélée. Il est clair que la dimension politique est absolument centrale dans la résolution des crises. Cela nous ramène au discours prononcé en 1967 par le Général de Gaulle à Phnom Penh, où il dit que le conflit n'aura pas de solution militaire. Un conflit n'a jamais de solution strictement militaire, l'action militaire doit être subordonnée à la politique décidée par le pouvoir civil.
Nous sommes allés voir les Britanniques, nous nous sommes penchés sur le cas allemand, nous nous rendons compte que les mécanismes institutionnels régissant l'engagement des forces armées à l'étranger sont très variés en Europe. En Allemagne et en Espagne, le Gouvernement a les mains complètement liées par le Parlement. D'ailleurs, tous les militaires français qui se sont battus en Afghanistan nous racontent que les militaires allemands ne pouvaient strictement rien faire, invoquant en permanence le caveat. C'est la position maximaliste. En France, avant la révision constitutionnelle de 2008, nous étions dans un flou artistique. Depuis, il nous semble que nous sommes parvenus à un bon point d'équilibre. La décision d'engager les armées revient au Président de la République, en sa qualité de chef des armées. Quand nous sommes intervenus au Mali en janvier 2013, il fallait réagir vite. Il n'était pas concevable de prendre le temps de mener des consultations – y compris avec les éminents parlementaires que nous sommes – alors que les colonnes de djihadistes déboulaient vers Bamako. Le cas britannique est très intéressant. Comme vous le savez, le Royaume-Uni n'a pas de Constitution écrite. Tous nos interlocuteurs n'ont ont expliqué que, dans ce contexte, la « frappe préemptive » de la Chambre des communes pour refuser ab initio toute intervention en Syrie équivalait à une révision constitutionnelle de fait. Désormais, il ne serait plus possible au Gouvernement britannique de décider d'une intervention extérieure sans l'accord préalable de la majorité du Parlement.
Nous manquons de recul historique, mais il y a lieu de penser que les engagements en Afghanistan et en Libye ont été un tournant dans beaucoup de démocraties sur la question des opérations extérieures. Les Britanniques ont perdu plus de 500 hommes en Afghanistan ; ce n'est pas très loin de ce que la France a perdu en cinquante ans d'opérations extérieures. Cela a provoqué un fort traumatisme en Grande-Bretagne, illustré par les grandes cérémonies organisées au retour des cercueils des soldats morts en Afghanistan. Je pense que ce serait une bonne chose que le Parlement soit davantage consulté avant les quatre mois réglementaires. On pourrait imaginer remettre en place un système de comités secrets, comme lors de la Première Guerre mondiale – pour un conflit d'une toute autre ampleur – qui permettrait à certains parlementaires d'entendre le Gouvernement sur les différents aspects des opérations extérieures que nous avons évoqués. Nous pourrions utilement construire ce modus vivendi.
Les sanctions sont la marche qui précède l'intervention militaire, cela n'entrait pas vraiment dans le cadre de notre étude, mais c'est en effet un sujet important. Elles suscitent généralement un très grand scepticisme. En réalité, il faut être nuancé, car l'histoire nous a montré que les sanctions adoptées contre l'Afrique du Sud et la Rhodésie, devenue ensuite Zimbabwe, ont été efficaces. Et les sanctions économiques et financières contre la Russie porteraient plus qu'on ne le dit, même si c'est un sujet controversé. Cette question pourrait faire l'objet d'une étude à part, c'est un sujet à creuser.
Je partage le scepticisme de beaucoup de nos collègues s'agissant de l'Europe, et je ne partage donc pas l'irénisme de Noël Mamère au sujet d'une défense européenne intégrée. Mars est d'abord de la responsabilité d'un pouvoir politique légitime, basé sur l'indépendance nationale. Si l'Union européenne ne peut pas être utilisée en tant que telle dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, nous pouvons faire de bonnes choses avec certaines nations européennes, en raison de leurs appétences et des compétences qui sont les leurs. Beaucoup de nos interlocuteurs militaires nous disent que certains pays auxquels on ne pense pas remplissent très bien les contrats lorsqu'ils s'engagent, à l'image du Danemark et de la Suède. Pour ces deux pays, il ne faut surtout pas parler de politique européenne. Il faut mener en amont en travail de coopération entre les états-majors, ainsi qu'un travail politique visant à faire partager nos préoccupations et nos analyses des situations. Si nous acceptons de nous départir des grands principes et d'« avancer en crabe », nous pouvons faire un certain nombre de choses avec les Européens.