Intervention de Hervé Féron

Réunion du 3 juin 2015 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron :

Le directeur général de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) a déclaré que le rapport Reda donnerait le la de la réforme du marché numérique unique. Ce rapport, confié à une eurodéputée membre du Parti Pirate allemand, inquiète beaucoup, notamment en France : les défenseurs du droit d'auteur y voient une menace de nivellement par le bas. Le refus de la territorialité des droits ou la demande d'une harmonisation des règles en matière de rémunération pour copie privée apparaissent comme non pertinentes, et même dangereuses : chaque pays a trouvé des équilibres, mais ceux-ci sont fragiles et risqueraient fort de s'effondrer.

Mme Reda se dit favorable à un raccourcissement de la durée de protection des droits d'auteur de soixante-dix à cinquante ans, alors que nous venons de voter une loi qui va dans le sens contraire en allongeant de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits des artistes-interprètes et des producteurs de disques. Ce rapport va donc à l'encontre de notre action de protection des artistes – or, sans protection des artistes, il ne saurait y avoir de diversité culturelle.

En découvrant ce rapport, le lecteur a l'impression que le seul point de vue adopté est celui du consommateur du marché unique ; la priorité, affichée de façon décomplexée, est de lui donner un accès au réseau le plus performant possible et le plus sûr, et de lui offrir des services nouveaux, et tout cela au meilleur prix. Mais, nous le savons, la culture n'est pas un bien de consommation comme un autre : comme le disait si bien M.Juncker lui-même en 2005, « la culture ne se prête pas à l'harmonisation, ne se prête pas à la standardisation, ne se prête pas à la réglementation stupide ». Que vaut le confort de certains qui pourront avoir accès à leurs chaînes nationales de n'importe quel endroit en Europe, ou qui pourront transporter avec eux leur tablette pour visionner un match de foot, si ce confort a pour contrepartie un appauvrissement de notre diversité culturelle, louée dans le monde entier ?

Vous l'aurez compris, comme député français attaché à la défense du droit d'auteur et de l'exception culturelle, je n'envisage ce rapport et son idéologie qu'avec beaucoup de circonspection. Mesdames, vous qui connaissez si bien les institutions européennes, pouvez-vous nous dire si ce rapport guidera vraiment la réforme du droit d'auteur voulue par le président Juncker ? Estimez-vous pertinentes ses préconisations ?

Lors d'un récent conseil des ministres franco-allemand, nos deux gouvernements ont exprimé la volonté de trouver en Europe un « cadre de régulation approprié pour les plateformes sur Internet » – il s'agit notamment des GAFA, Google, Apple, Facebook, Amazon. Tout récemment, le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) s'est déclaré favorable à une harmonisation des règles fiscales dans l'Union, afin que ces mastodontes n'aillent pas s'installer dans les paradis fiscaux irlandais ou néerlandais pour mieux inonder le marché européen de leurs offres ultra-concurrentielles. Pouvez-vous nous informer de l'avancée de ce front commun ?

Il y a tant d'intérêts divergents dans l'Union européenne qu'il se produit une véritable cacophonie, au sein de laquelle même des puissances économiques comme la France ou l'Allemagne ont du mal à se faire entendre. Je prends l'exemple de la lutte contre le blocage géographique des contenus, dans laquelle la Commission européenne semble particulièrement impliquée, bien que peu d'Européens soient concernés. Alors même que la suppression du géoblocage pourrait remettre en cause l'intégralité du système des droits d'auteur, elle a été inscrite à l'agenda prioritaire des réformes par le commissaire au marché numérique, l'Estonien Andrus Ansip. Au moment où les GAFA nous écrasent, où le piratage commercial bat son plein, où nous sommes toujours désespérément à la recherche d'une politique industrielle culturelle en Europe, n'est-ce pas se tromper de priorité ? De quels moyens la France dispose-t-elle aujourd'hui pour peser sur la conduite et les orientations de ces réformes ?

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