Lorsque l'on pense aux revenus des artistes, les droits d'auteur viennent immédiatement à l'esprit. Pourtant, il s'agit d'un système de perception de droits et de rémunération très inégalitaire : différentes études ont montré que la distribution des droits d'auteur, loin de corriger les inégalités, les renforce. En 2013, la Cour des comptes avait démontré que 130 à 150 membres de la SACEM seulement, soit 1 % de ceux qui touchent des droits audiovisuels, recevaient la moitié des redevances ; en 2012, 62 sociétaires touchaient un revenu moyen de près de 800 000 euros, alors que 1 235 sociétaires percevaient moins du SMIC, et que près de 6 000 sociétaires touchaient moins de 100 euros par mois.
Notre préoccupation, chers collègues français et allemands, est bien que les créateurs, au sens large de ce terme, vivent de leur travail. L'entrée au Panthéon de Jean Zay la semaine dernière a été l'occasion de nous replonger dans l'un de ses projets, qui n'a pu être mené à bien en raison de l'entrée en guerre de la France en 1939. Jean Zay souhaitait protéger les auteurs de leur vivant ; mais il refusait l'idée d'une prolongation excessive après la mort des créateurs. Ce sont alors des héritiers ou des ayants droit qui perçoivent les droits : ces sommes ne servent pas à soutenir la création.
Je ne peux pas être d'accord avec ce qui a été dit sur le rapport de Julia Reda. Je pense d'ailleurs que le choix de Mme Reda a été très calculé : elle appartient effectivement au Parti Pirate, et aux yeux de beaucoup, tout ce qu'elle pourra dire n'aura aucune crédibilité. C'est d'ailleurs la seule personne dont vous ayez cité, avec beaucoup de persévérance, l'appartenance partisane. Elle sert visiblement d'épouvantail.
Je voudrais donc établir un parallèle entre le rapport de Mme Reda et celui rédigé, en France, par Pierre Lescure. Vous pourrez constater que les différences ne sont pas si grandes.
Le rapport Reda préconise de réduire les barrières à la réutilisation des informations issues du secteur public, en écartant les oeuvres produites par le secteur public de toute protection au titre du droit d'auteur. Un fonctionnaire rémunéré pour produire une oeuvre doit-il en plus être rémunéré par le droit d'auteur ? Je ne le pense pas.
Ce rapport prône également l'interdiction des limitations à l'exploitation du domaine public, que ce soit par l'utilisation de mesures techniques ou de mesures contractuelles ; il demande que les auteurs puissent renoncer à leurs droits en faveur du domaine public.
Ces mesures figurent toutes dans le rapport Lescure.
Le rapport Reda préconise une harmonisation des droits dans toute l'Union européenne, sans excéder la durée de cinquante ans après la mort prévue par la Convention de Berne. Cette mesure ne figure pas dans le rapport Lescure, mais souvenez-vous, chers collègues, que nous avions tenté ensemble d'harmoniser ces durées, en abrogeant les prorogations pour temps de guerre et pour les auteurs morts pour la France. Je regrette profondément que nous n'ayons pas saisi cette occasion d'harmoniser enfin ces durées de protection des droits dans l'Union européenne.
Le rapport Reda estime qu'il faut rendre obligatoires toutes les exceptions au droit d'auteur prévues par la directive de 2001, qui laisse aujourd'hui une marge d'appréciation aux États. Cette proposition figurait pour l'essentiel dans le rapport Lescure.
Aux termes du rapport Reda, l'audiovisuel pourrait faire l'objet de courtes citations : cela figure dans le rapport Lescure. Voici encore d'autres propositions. Reconnaître l'exception pour caricature, parodie ou pastiche, quelle que soit la finalité du détournement : cela figure dans le rapport Lescure. Élargir l'exception pour l'éducation et la recherche à toutes les formes d'éducation, y compris non formelles, hors des établissements scolaires et universitaires : cela figure en partie dans le rapport Lescure. Affirmer un droit au prêt de livres numérisés par les bibliothèques, quel que soit le lieu d'accès : cela figure dans le rapport Lescure. Harmoniser les régimes et critères pour l'exception pour copie privée et la rémunération correspondante : notre commission travaille sur ce sujet, et je salue moi aussi le travail remarquable du rapporteur de notre mission, Marcel Rogemont. Rendre obligatoire la communication du code source ou des spécifications d'interopérabilité des DRM (mesures de digital rights management, c'est-à-dire gestion des droits numériques) : cela figure enfin dans le rapport Lescure.
Je m'arrêterai là : je voulais seulement, par quelques exemples, montrer que le rapport de Julia Reda n'est pas si éloigné de propositions qui peuvent être faites en France sur le sujet des droits d'auteur.
Que souhaitons-nous réellement ? Voulons-nous que tous les auteurs puissent vivre décemment de leur oeuvre, ou bien que quelques ayants droit, n'ayant parfois jamais connu l'auteur, imposent leurs règles et fassent pression sur les parlements pour allonger indéfiniment la durée du droit d'auteur ? Les ayants droit de Maurice Ravel, mort en 1937, perçoivent aujourd'hui plus de 1 million d'euros par an. On comprend l'intérêt pour certains d'allonger autant que possible la durée de protection des oeuvres.