Intervention de Catherine Trautmann

Réunion du 3 juin 2015 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Catherine Trautmann, co-présidente du Haut Conseil culturel franco-allemand :

Le sujet de l'économie culturelle, de la création et du statut des auteurs qui nous occupe aujourd'hui n'est pas uniquement technique : il est politique. Nous avons bien ressenti ce matin les effets de l'absence de véritable politique culturelle européenne : c'est ce qui nous empêche de faire mieux entendre notre voix tant dans les institutions européennes que dans les négociations internationales. Nous aurions besoin d'un cadre de référence commun, juridique et programmatique, qui nous permettrait de converger sur les questions juridiques, fiscales, commerciales… C'est une préoccupation et l'objectif du Haut Conseil culturel franco-allemand est d'oeuvrer à la définition d'une telle politique culturelle européenne, décidée et mise en oeuvre par les États membres. Nous ne parlerions plus de la même façon d'exceptions en faveur du cinéma, et plus largement de la culture…

Lors des premières négociations du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), l'audiovisuel et le cinéma avaient été écartés : c'est pour cela que l'on parle d'exception – les règles de la libéralisation du commerce ne peuvent pas s'appliquer à la culture comme aux autres marchandises. C'est dans cette même perspective que le Gouvernement de Lionel Jospin avait refusé de poursuivre les négociations de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), et que, récemment, le Parlement européen a voté une exception culturelle, plus large d'ailleurs, pour les négociations du traité transatlantique.

Aujourd'hui, nous en revenons à une négociation qui n'est pas sans rappeler celle de l'AMI, alors que le GATT concernait les seuls services. Or, sans cadre de référence, sans définition d'une vraie politique, il est toujours très difficile de discuter : c'est la raison pour laquelle le Parlement en a fait une condition. Il faut toutefois souligner que les États membres n'ont pas retenu cette position, affaiblissant ainsi le Parlement – ce qui arrangeait, reconnaissons-le, la Commission européenne. Le Haut Conseil culturel estime donc que cette question doit être prise à bras-le-corps par les politiques, notamment dans le contexte de la négociation du traité transatlantique.

Le rapport Reda est un rapport d'initiative ; il ne dit pas le droit. Il sera intéressant d'avoir débroussaillé le sujet, trouvé quelques compromis, et il reviendra aux co-législateurs européens d'agir.

Le droit d'auteur, la rémunération des artistes, est le fondement de l'économie de la culture. Sans reconnaissance, donc sans rémunération, pas de création, et pas d'économie. La question de la licence ou des licences a été abordée dans le cadre des travaux préparatoires sur la propriété intellectuelle. À plusieurs reprises, des défenseurs de la licence globale ont été entendus au Parlement européen ; considérée au départ comme un repoussoir, elle intéresse plus largement aujourd'hui, dans une optique pragmatique.

En matière d'édition et de publication scientifique, le Parlement a notamment voté l'obligation de faire connaître des résultats scientifiques dès lors que les recherches ont été financées par des fonds publics. De la même manière, il faudrait prévoir pour le secteur de l'éducation un accès aux contenus culturels et scientifiques : ce point est en discussion. Faut-il prévoir une sorte de licence, de contrat global ? En tout cas, c'est au niveau européen qu'il faut agir. La licence est une solution difficile à mettre en oeuvre, même si elle revient souvent dans les discussions comme le plus petit commun dénominateur. La solution parfaite n'existe pas, mais le principe de la juste rémunération des auteurs et des créateurs doit en tout cas être respecté.

Le Haut Conseil culturel se mobilise en faveur de l'harmonisation fiscale. Quant aux GAFA, c'est un sujet sur lequel nos deux pays sont entièrement d'accord. Les opérateurs de diffusion deviennent déterminants pour le choix des contenus et l'accès à ces contenus : en fait, nous voyons émerger une exclusivité culturelle… Cela contrevient à la notion de diversité culturelle, ainsi qu'au principe de l'accès de tous à la culture, du libre choix des contenus et de la diversité des canaux de diffusion.

La notion de diversité culturelle est utilisée par plusieurs pays, dont la France et le Canada, depuis les négociations avortées de l'AMI. Elle permet de ne pas se trouver dans une posture purement défensive, mais d'adopter une attitude conquérante. Elle est maintenant inscrite dans les textes fondamentaux européens.

Les sociétés de gestion collective doivent être bien gérées, bien coordonnées, et les droits d'auteur doivent être accessibles. Ces sociétés doivent contribuer financièrement à la création.

S'agissant de la copie privée, ce régime a permis au citoyen un meilleur accès aux oeuvres. Mais internet et la numérisation ont tout changé : le partage de fichiers se fait notamment à une tout autre échelle… Il y a donc une nouvelle donne. Juridiquement, il faut aller au-delà du point de vue du consommateur ; il faut intégrer la notion d'accès libre. Il est essentiel de trouver un équilibre.

S'agissant enfin des plateformes, j'ai défendu la neutralité du net, et il me semble que le statut des hébergeurs tel qu'il a été défini répondait à une nécessité. Mais, aujourd'hui, il faut revoir l'intégralité de la chaîne. La question du rôle et de la responsabilité des plateformes doit être réexaminée.

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