Intervention de Jean-Marc Todeschini

Séance en hémicycle du 8 juin 2015 à 17h00
Juste appréciation des efforts en matière de défense et d'investissements publics dans le calcul des déficits publics — Présentation

Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se réuniront les 25 et 26 juin prochains à Bruxelles, dans le cadre du Conseil européen. Votre initiative intervient donc à un moment utile et elle constitue une contribution importante à la préparation de cette échéance.

Le texte qui est soumis à votre approbation pose une question fondamentale : quelle forme doit prendre la solidarité européenne en matière de défense ? Pour tous ceux, comme le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et moi-même, qui sont de fervents partisans de l’Europe de la défense, je dirais même que c’est la question clé. Sans solidarité tangible entre États membres, l’Europe de la défense risque d’en rester au stade des slogans.

Au cours de ces trois dernières années, le Gouvernement français a été particulièrement actif pour remettre la défense au centre de l’agenda européen. Nous avons ainsi obtenu que les questions de défense soient à nouveau abordées au niveau des chefs d’État et de gouvernement – ce fut le cas lors du Conseil européen de décembre 2013, après une éclipse de cinq années. Outre un certain nombre d’avancées auxquelles je reviendrai, nous avons obtenu lors de ce conseil le principe d’une évocation régulière des questions de défense au plus haut niveau. Cette régularité des rendez-vous offre le gage du maintien d’une dynamique positive. C’est le sens de la clause que nous avions fixée pour juin 2015 et que, malgré un agenda de discussion très chargé, nous comptons bien respecter.

L’enjeu de ce Conseil européen est bel et bien de poursuivre ce réveil de l’Europe de la défense que nous avons amorcé. Sur le plan des opérations militaires, tout d’abord, nous observons en effet depuis deux ans une dynamique, encore timide mais néanmoins réelle, de réengagement de nos partenaires européens dans les opérations.

L’exemple le plus frappant est celui du Mali, où l’Europe est au rendez-vous – je pense à la mission de formation de l’armée malienne, EUTM Mali, aujourd’hui commandée par un général espagnol et qui, à partir du mois d’août, sera dirigée par un général allemand. Notre présence au sein de cette mission se limite à 10 % des effectifs, preuve que les Européens ont pris leurs responsabilités. Je pense également à l’opération des Nations unies au Mali, la MINUSMA, qui a été renforcée par les contributions remarquables des Pays-Bas et de la Suède. Tout cela, il y a seulement deux ans, était impensable, preuve que les lignes bougent dans le bon sens.

Je pourrais également citer le cas de la Centrafrique où, dans la foulée de notre intervention, nous sommes parvenus à mobiliser à la fois les Nations unies et nos partenaires européens. Depuis deux mois, c’est en effet une mission européenne, l’EUMAM RCA, qui a pris en charge le vaste chantier de la refonte de l’armée centrafricaine. Cette mission prend le relais de l’opération EUFOR RCA qui a contribué, avec un grand succès, à la sécurisation des zones les plus sensibles de Bangui. Nos troupes de Sangaris ont ainsi patrouillé, pendant neuf mois, aux côtés d’unités espagnoles, italiennes, lettones et estoniennes. Il ne faut pas sous-estimer la portée de cet engagement, dans un pays que la plupart de nos partenaires jugeaient jusqu’à présent très éloigné de leurs intérêts.

Sur le plan de la mutualisation des capacités, là aussi l’agenda européen a été redynamisé. L’une des principales lacunes, en termes de capacités, identifiées lors des récentes opérations, à savoir les capacités de ravitaillement en vol, est en passe d’être comblée. Les acquisitions d’appareils Multi Role Tanker Transport – ou MRTT –, annoncées par nos partenaires européens, notamment nos partenaires néerlandais, permettront à l’Europe d’être moins dépendante et de saisir des opportunités de synergie en termes de formation, de maintenance, voire d’emploi des appareils.

Une démarche vient également d’être engagée pour combler une autre lacune des armées européennes, celle qui affecte les capacités d’observation et de surveillance. Nous constatons tous les jours, dans le cadre de nos opérations au Sahel, le caractère clé des capacités ISR, c’est-à-dire en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. Le 18 mai dernier, le ministre de la défense a acté, avec ses homologues allemande et italienne, la première étape du développement à terme d’un drone de moyenne altitude et de longue endurance – dit MALE – européen. Cette première étape sera suivie de la signature, avant la fin de l’année, d’un premier contrat pour une étude de faisabilité. C’est un signal fort, pour l’autonomie stratégique de l’Union européenne mais aussi pour le renforcement de la base industrielle et de la défense européenne.

Nous ne devons toutefois pas en rester là. En dépit de ces avancées tangibles et concrètes, nous sommes encore loin de l’Europe de la défense que nous ambitionnons de bâtir. Comme le rappelle votre proposition de résolution, la solidarité européenne en matière de défense est encore embryonnaire.

Je pense au mécanisme Athena, qui a vocation à mutualiser une partie des coûts liés au déploiement d’opérations européennes. Aujourd’hui, ce mécanisme se limite à couvrir environ 10 % d’une opération, le reste revenant à la charge des États contributeurs. Dans ces conditions, il est difficile de parler de solidarité européenne. C’est d’ailleurs le constat que le Président de la République avait formulé lors du Conseil européen de décembre 2013, ce qui lui avait permis d’obtenir que le mécanisme soit revu de façon accélérée. Or, dix-huit mois plus tard, il faut bien nous rendre à l’évidence : les principales sources de blocage n’ont pas été levées. Si nous avons pu obtenir une meilleure réactivité concernant le déblocage des crédits européens, le périmètre des coûts pris en charge en commun n’a pas significativement varié.

Cette limitation de la solidarité européenne n’a pas seulement des conséquences financières : elle constitue également un obstacle majeur au principal outil de réaction rapide de l’Union européenne que sont les groupements tactiques européens – lesquels n’ont jamais été déployés.

Compte tenu de la constance des positions de certains de nos partenaires sur le sujet, il est peu probable d’envisager des percées majeures dans les prochains mois. Nous nous efforçons toutefois, avec l’appui de nombreux partenaires, de maintenir la discussion ouverte. Cela ne signifie pas pour autant que tout échange sur les questions de défense est voué au blocage. Au contraire, le travail que nous avons amorcé depuis plusieurs mois devrait nous permettre de franchir un nouveau cap dans des domaines moins visibles que le financement des opérations européennes mais tout aussi porteurs pour l’avenir de l’Europe de la défense.

Je pense en particulier à deux sujets sur lesquels le ministre de la défense s’est particulièrement engagé. Le premier est la possibilité de financer, sur fonds européens, des équipements militaires au bénéfice de pays tiers. Ainsi, au Mali, l’Union européenne ne se limiterait plus à former l’armée malienne : elle lui fournirait également l’équipement minimal pour que cette formation trouve sa pleine efficacité. Cette évolution, accueillie positivement par les ministres de la défense européens, doit être confirmée au niveau du Conseil européen. Si c’est le cas, il s’agira d’une percée majeure, dans la mesure où l’Union européenne sera dotée d’une capacité à agir, non plus seulement pour gérer les crises, mais aussi en vue du renforcement, dans la durée, des capacités des armées africaines.

Le second enjeu du Conseil européen est d’obtenir le feu vert pour le lancement d’un programme de recherche consacré aux questions de défense. Si nous y parvenons, ce sera la première fois que des crédits de recherche européens pourront financer des études directes dédiées au domaine de la défense. Là encore, il s’agirait d’un changement majeur dans l’approche par nos partenaires des questions de défense.

Au final, comme vous pouvez le constater, il existe bien chez nos partenaires européens une dynamique nouvelle en ce qui concerne les questions de défense. L’une des explications est notre capacité d’entraînement, qui se nourrit à la fois de nos engagements opérationnels mais aussi de la crédibilité et de la force de nos choix budgétaires.

À ce titre, le Conseil européen de juin s’annonce comme un moment important, une fenêtre d’opportunité qui devrait permettre de poser la question fondamentale du partage du fardeau de la sécurité européenne. Nous ne devons pas négliger les avancées déjà en cours mais, comme le souligne votre proposition de résolution, nous ne devons nous interdire aucune réflexion dans la perspective d’aller plus loin.

Je relève d’ailleurs qu’un nombre croissant de nos partenaires abordent la question de la spécificité du traitement des dépenses de défense. Nos collègues italiens ont d’ores et déjà soulevé cette question au niveau des ministres de la défense. Ce sujet mérite sans doute que nous en approfondissions les modalités et les implications, qui dépassent le cadre de la défense. Il est certain que le contexte international, qui confronte l’Europe à un nombre sans précédent de défis dans son voisinage, plaide pour que nous progressions sur ce sujet. À ce titre, je vous remercie pour votre contribution.

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