Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, le 13 janvier dernier, la Commission européenne publiait une communication expliquant la lecture qu’elle comptait faire du pacte de stabilité et de croissance, en particulier des flexibilités offertes par ce dernier.
Aussi, alors que nous disposons désormais d’un certain recul sur la mise en oeuvre de ce pacte et que la situation économique et sociale de la zone euro montre les limites de ce dispositif, il est apparu utile au groupe socialiste, républicain et citoyen d’affirmer la position de l’Assemblée nationale sur la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance.
Convaincus de la nécessité de faire évoluer le pacte de stabilité et de croissance ou tout au moins sa lecture, nous proposons à la représentation nationale de défendre une position forte, demandant l’exclusion du calcul des déficits publics des dépenses liées aux opérations extérieures sous mandat de l’ONU et des investissements cofinancés par l’Union européenne.
En ce qui concerne tout d’abord la prise en compte des dépenses de défense dans le calcul du solde public, je crois qu’il est utile de rappeler, avant le conseil européen des 25 et 26 juin prochain, qui sera, pour une bonne part, consacré à l’Europe de la défense, combien il est justifié d’accorder un traitement particulier aux dépenses militaires engagées par les États membres et contribuant à la sécurité de l’ensemble du territoire européen.
La situation peut en effet être résumée en trois constats. Premièrement, nous sommes confrontés à une menace croissante aux frontières et sur le territoire même de l’Union européenne, qui appelle une mobilisation accrue pour assurer la sécurité du territoire européen. Ainsi, la France, qui est engagée actuellement dans dix-neuf opérations extérieures, dont la plupart participent à la sécurité de l’Union, n’a jamais été aussi impliquée dans des OPEX. D’ailleurs, le surcoût des OPEX pour la France a été doublé entre 2007 et aujourd’hui. Chaque État européen est toutefois susceptible d’être concerné, comme l’ont montré les récentes attaques terroristes en France, en Belgique et au Danemark.
Deuxièmement, nous ne sommes pas encore parvenus à mettre en place une Europe de la défense, ce qui rejaillit directement sur les budgets des États membres. Certes, la politique de sécurité et de défense commune s’est concrétisée dans la mise en oeuvre de trente-deux missions depuis 2003, dont seize sont achevées, mais il s’agissait avant tout de missions civiles. Des missions essentielles pour la sécurité du territoire européen face à la menace terroriste, comme l’opération Serval menée par la France au Mali, sont demeurées des actions engagées en dehors du cadre européen.
Si l’Agence européenne de défense a joué un rôle déterminant dans la mise en place des projets de mutualisation approuvés par le conseil européen de décembre 2013, comme le ravitaillement en vol et la cyberdéfense, force est de constater que les outils de la politique de sécurité et de défense commune – la PSDC – les plus innovants n’ont pas été mobilisés. En particulier, ni la coopération structurée permanente ni la procédure de délégation de missions à un groupe d’États membres prévue par l’article 44 du traité sur l’Union européenne n’ont été mises en oeuvre.
Par ailleurs, la solidarité financière ne trouve pas ou très peu à s’appliquer en matière de défense. En effet, les missions civiles menées dans le cadre de la PSDC, qui sont, en théorie, intégralement prises en charge par le budget de l’Union européenne, souffrent d’un manque de financement, comme l’a souligné M. Philippe Setton, notre représentant permanent auprès du comité politique et de sécurité de l’Union européenne lors de son audition par la commission des affaires européennes.
En ce qui concerne les missions militaires menées au titre de la PSDC, il faut rappeler que l’article 41 du traité sur l’Union européenne interdit le financement d’opérations militaires à partir du budget de l’Union européenne. Un mécanisme intergouvernemental de financement des coûts communs aux États, dénommé Athena, a certes été créé en 2004, mais sa portée demeure limitée, puisqu’il ne prend en charge que 10 % à 15 % des coûts d’une mission. Les discussions de ces derniers mois pour améliorer ce dispositif n’ont pas permis de réelles avancées.
Par conséquent, la charge des opérations militaires pèse avant tout sur le budget des États membres, et les engagements sont bien entendu très différents selon les États. Ainsi, la France consacre 1,91 % de son produit intérieur brut à ses dépenses de défense alors que la moyenne s’établit, pour les vingt-sept États membres de l’Agence européenne de défense, à 1,45 % du PIB. La France assure ainsi 21,2 % du total des dépenses de défense des États membres de l’Union européenne hors Danemark.
Troisièmement, alors que les besoins en matière de défense sont croissants, les États membres réduisent leur budget de défense, notamment sous la pression des règles posées par le pacte de stabilité et de croissance. Ainsi, depuis sept ans, les budgets de défense des États membres diminuent de manière continue, et se sont établis, en euros courants, à 186 milliards en 2013 contre 201 milliards en 2006.
Considérant la conjonction de la montée des dangers et de la baisse des budgets de défense, le groupe socialiste plaide pour un desserrement de la contrainte financière pesant sur les dépenses nationales spécifiques qui contribuent directement à la défense de l’Union européenne.
Exclure l’ensemble des dépenses de défense du calcul du solde public nous paraît une position difficile à défendre auprès de nos partenaires européens. Cela pourrait en effet être perçu comme une volonté française de se soustraire à ses engagements dans le cadre du pacte et de faire financer l’ensemble de sa défense par l’Union. Il nous a paru plus crédible et plus justifié au regard des objectifs fixés à l’Union européenne de demander à ce que soient exclues du calcul du solde public les seules dépenses nationales entraînées par la participation aux opérations extérieures réalisées sous mandat de l’Organisation des Nations unies et qui présentent un lien avec la défense des États membres de l’Union européenne.
Permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres. Les dépenses concernées en matière d’OPEX se situent dans une fourchette allant de 1,1 milliard à 5,8 milliards d’euros si l’on adopte une conception plus large en incluant le coût complet des OPEX ainsi que celui des forces prépositionnées et des moyens du renseignement militaire.
S’agissant à présent des investissements, nous sommes tous convaincus de la nécessité de les soutenir au sein de l’Union, afin de relancer la croissance et l’emploi.
À cet égard, pour garantir l’efficacité du plan d’investissement lancé par la Commission européenne, le groupe socialiste souhaite à tout prix éviter qu’une lecture trop stricte du pacte de stabilité et de croissance entrave les investissements. Aussi est-il nécessaire que la Commission européenne aille plus loin dans la lecture du pacte qu’elle nous a présentée le 13 janvier dernier.
La Commission européenne a en effet précisé deux points importants s’agissant des investissements. Elle a tout d’abord indiqué que la contribution d’un État membre au Fonds européen pour les investissements stratégiques devrait être neutre s’agissant du pacte de stabilité et de croissance.
Elle a ensuite précisé la portée de ce qu’elle nomme la « clause d’investissement ». Cette clause prévoit que les seuls États membres soumis au volet préventif du pacte, c’est-à-dire ceux qui respectent les seuils de 3 % de déficit public et de 60 % d’endettement public, peuvent s’écarter temporairement de leur objectif de moyen terme ou de la trajectoire d’ajustement qui doit permettre d’y conduire, pour tenir compte des investissements. Cependant, plusieurs conditions sont posées qui concernent la croissance de leur PIB, le respect d’une marge de sécurité, le niveau d’investissement et la période de correction.
Les investissements éligibles sont les dépenses nationales consacrées à des projets cofinancés par l’Union européenne au titre de la politique structurelle et de cohésion, des réseaux transeuropéens et du mécanisme pour l’interconnexion en Europe, ou à des projets cofinancés par le Fonds européen pour les investissements stratégiques.
Bien que légèrement assouplie dans la communication du 13 janvier 2015, cette clause d’investissement apparaît encore trop restrictive, en particulier parce qu’elle exclut les États faisant l’objet d’une procédure pour déficit excessif.
Pour favoriser réellement l’investissement en Europe, le groupe socialiste propose d’étendre le champ de cette clause en y incluant l’ensemble des États, qu’ils relèvent du volet préventif ou correctif du pacte de stabilité et de croissance, et en visant la totalité des dépenses nationales consacrées à des projets cofinancés par l’Union européenne.
J’aimerais aborder un dernier point. La commission des affaires européennes avait décidé, à l’unanimité, de demander que les contributions nettes des États membres au budget européen soient exclues du calcul des déficits. J’avais donc déposé un amendement afin d’inscrire cette proposition dans la présente résolution.
Les commissaires aux finances ont cependant une opinion différente. Ma collègue Estelle Grelier a néanmoins souhaité déposer un amendement afin de rétablir une position que la commission des affaires européennes, que je représente ici aujourd’hui, défend depuis longtemps. Il me paraît important de rappeler cette demande, car l’objectif de la résolution est également d’enrayer la baisse continue de la part de la richesse des États consacrée aux politiques de l’Union.
Pour conclure, je souhaiterais rappeler l’engagement qui est le mien et que nombre de mes collègues de la commission des affaires européennes, et plus largement de cette assemblée partagent.
Depuis plusieurs années, il est de bon ton d’attaquer, de blâmer l’Union européenne, accusée tout à la fois de ne pas en faire assez et d’imposer ses volontés aux peuples et aux gouvernants. Oui, notre Union est perfectible, et nous essayons de le montrer au travers de la présente résolution. Oui, il est de notre devoir d’agir pour rendre le projet européen plus juste et plus démocratique, mais nous devons sans cesse rappeler que dans un monde qui n’est ni aussi simple ni aussi paisible que nous le souhaiterions, nous sommes plus fort ensemble.