Intervention de Thierry Mariani

Séance en hémicycle du 8 juin 2015 à 17h00
Juste appréciation des efforts en matière de défense et d'investissements publics dans le calcul des déficits publics — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la crise économique et financière a révélé les insuffisances de la gouvernance économique et de la surveillance budgétaire au sein de l’Union européenne.

Dans ce contexte, la France, comme la grande majorité des pays de la zone euro, a ratifié le pacte de stabilité et de croissance mis en place lors du traité d’Amsterdam en 1997. Celui-ci impose aux États membres de ne pas avoir un déficit budgétaire supérieur à 3 %. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, entré en vigueur le 1er janvier 2013, a confirmé cette règle en instaurant davantage de discipline budgétaire dans la zone euro.

Disposer d’un temps de parole de dix minutes présente l’avantage de pouvoir faire état de certaines recherches. Un orateur qui s’est exprimé avant moi affirmait que la règle des 3 % n’avait aucun fondement. J’ai effectué une recherche sur internet, car je faisais jusqu’à présent partie de ces députés naïfs qui croient que ce seuil a été choisi pour des raisons d’équilibre budgétaire. Je ne résiste pas, puisque le temps me le permet, au plaisir de vous lire les propos de M. Guy Abeille, alors chargé de mission au ministère des finances, qui nous explique comment ce seuil a été choisi, ce qui fait tout de même un peu peur, et je le dis cela sans viser personne en particulier.

En 1981, il fallait trouver un ratio ; ce sera celui du déficit rapporté au PIB. M. Guy Abeille écrit dans La Tribune : « Ce sera ce ratio. Reste à le flanquer d’un taux. C’est affaire d’une seconde. Nous regardons quelle est la plus récente prévision du PIB projetée par l’INSEE pour 1982. Nous faisons entrer dans notre calculette le spectre des 100 milliards de déficit qui bouge sur notre bureau pour le budget en préparation. » Je rappelle que l’on est alors en 1981 ; en matière de déficit, on a fait mieux que les 100 milliards évoqués ici !

Je poursuis la lecture : « Le rapport des deux n’est pas loin de donner 3 %. C’est bien, 3 % ; ça n’a pas d’autre fondement que celui des circonstances, mais c’est bien. 1 % serait maigre, et de toute façon insoutenable : on sait qu’on est déjà largement au-delà et qu’en éclats a volé magistralement ce seuil. 2 % serait, en ces heures ardentes, inacceptablement contraignant, et donc vain ; et puis, comment dire, on sent que ce chiffre, 2 % du PIB, aurait quelque chose de plat, et presque fabriqué. Tandis que trois est un chiffre solide ; il a derrière lui d’illustres précédents (dont certains qu’on vénère). Surtout, sur la route des 100 milliards de francs de déficit, il marque la dernière frontière que nous sommes capables de concevoir (autre qu’en temps de guerre) à l’aune des déficits d’où nous venons et qui ont forgé notre horizon. »

Compte tenu de l’évolution de nos économies, vous conviendrez que ce texte est assez savoureux, monsieur le secrétaire d’État, et on peut partager ce point de vue que l’on soit de gauche ou de droite.

Parce qu’elle vise à contourner le TSCG, cette proposition de résolution est un appel à s’exonérer de notre responsabilité. Au travers de ce texte, la majorité considère que l’impact budgétaire des interventions militaires de la France, qui contribuent à la sécurité de l’Europe, doit être soustrait de l’assiette du calcul des 3 % de déficit.

Vous allez encore plus loin puisque la proposition de résolution suggère que certains investissements publics en soient également exclus.

Cette volonté de s’affranchir de nos engagements de maîtrise de notre trajectoire budgétaire doit être dénoncée, à un moment où notre pays reste la lanterne rouge en Europe pour ce qui est de la réduction de son déficit public. Avec un déficit à 4 % du PIB en 2014, la France reste nettement au-dessus de la moyenne de la zone euro – 2,4 % en 2014 contre 2,9 % en 2013 – et de l’Union européenne – 3,0 %.

Si notre déficit public demeure très élevé, le déficit budgétaire de l’État s’aggrave quant à lui de 10,7 milliards d’euros par rapport à 2013. Dans son rapport sur l’exécution du budget de l’État en 2014, la Cour des comptes rappelle que c’est la première fois depuis 2010 que la baisse de ce déficit est interrompue. Une telle progression résulte de l’inquiétante réduction des recettes nettes de 6 milliards d’euros en 2014 et de l’augmentation des dépenses nettes du budget général.

Pis, toujours selon la Cour des comptes, les dépenses exceptionnelles – en particulier le deuxième programme d’investissements d’avenir – ne suffisent pas à expliquer ces très mauvais résultats. Même sans ces dépenses, le déficit budgétaire de l’État s’aggrave de 5,5 milliards d’euros par rapport à 2013, pour atteindre 73 milliards en 2014.

Tenir une politique budgétaire rigoureuse doit également permettre à notre pays de réduire sa dette abyssale. Celle-ci a atteint 95,6 % du PIB en 2014, et non 95 % comme le Gouvernement en fait l’estimation dans le programme de stabilité, soit plus de 2 000 milliards d’euros. Nous sommes loin des 100 milliards de francs évoqués au moment de la fixation de la règle des 3 % ! En un an, notre dette a progressé de 3,3 points de PIB.

Monsieur secrétaire d’État, cette proposition de résolution est un très mauvais signal envoyé à nos partenaires européens. Une fois de plus, vous engagez la crédibilité de notre pays.

Rappelons que, depuis 2012, votre gouvernement ne cesse de négocier avec la Commission européenne des délais supplémentaires pour ramener notre déficit sous la barre des 3 % du PIB. Un nouveau délai de deux ans a ainsi été accordé par Bruxelles en février dernier, fixant l’échéance à 2017. En 2013, la Commission avait déjà accordé un délai supplémentaire. À l’époque, le Gouvernement promettait d’y parvenir dès 2015 !

Monsieur le secrétaire d’État, il est incontestable que la France assume une partie de l’effort militaire pour le compte de nos partenaires européens à travers ses opérations extérieures, notamment dans des zones d’Afrique subsaharienne. Cependant, cet engagement supporté par notre pays ne doit pas être l’occasion d’un relâchement de notre discipline budgétaire, d’autant que les opérations extérieures de la France ne sont en aucun cas un problème européen. Notre pays est souverain. Le chef de l’État est également celui des armées. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a par ailleurs institué une procédure d’information et de contrôle du Parlement sur les OPEX.

À ce titre, votre texte fait fausse route. Au lieu de chercher des excuses pour contourner les règles budgétaires, votre gouvernement devrait s’orienter vers une plus grande mutualisation des dépenses induites par les OPEX et soutenir l’émergence d’une industrie européenne. La mutualisation est plus que jamais l’une des pistes pouvant nous permettre de résoudre l’impossible équation entre la situation géostratégique et la situation budgétaire.

Cette perspective européenne suppose une dynamique, alors que la France, seule, est à l’arrêt, se demandant dans le même temps si elle a encore les moyens de son ambition militaire. L’Europe peut nous servir à nous projeter : profitons-en !

Aussi, au lieu de faire porter la responsabilité de vos échecs en matière de réduction du déficit public sur les règles qui ont été unanimement acceptées par les États membres de l’Union européenne, votre gouvernement devrait plutôt s’attacher à mettre en oeuvre de véritables réformes structurelles, courageuses, qui permettront de renouer avec la croissance, de réduire le chômage et de corriger durablement nos déséquilibres économiques et budgétaires.

Monsieur le secrétaire d’État, au regard de notre poids économique – la France est la deuxième économie de la zone euro – et politique, nous devons, plus que tout autre, faire preuve d’une grande responsabilité. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de résolution européenne.

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