Ma réflexion s'organisera autour de trois points, le premier en forme de question : « Où est le problème ? » Au rang des signes de la crise que traverse aujourd'hui la représentation est souvent mentionnée la baisse de la participation électorale. En vérité, les études démontrent que, si l'abstention s'est accrue, il s'agit d'une abstention intermittente, la participation étant fonction du caractère de chaque élection : les électeurs votent lorsqu'ils perçoivent qu'une élection a des enjeux importants et lorsque ses résultats s'annoncent serrés. Il n'est donc pas justifié de parler d'une désaffection à l'égard des élections en général, et certaines d'entre elles continuent de mobiliser les citoyens.
Dans ces conditions, où est le problème ? Il est lié au discrédit dans lequel se trouve le personnel politique, en France comme dans l'ensemble des démocraties établies. Les citoyens ne se reconnaissent plus dans leurs représentants, et le personnel politique est perçu comme une classe fermée sur elle-même, préoccupée avant tout de ses intérêts, de ses intérêts de carrière en particulier, et éloignée des préoccupations des citoyens. L'appartenance à cette classe commune apparaît comme plus importante que les différences politiques et programmatiques entre candidats, d'où cette antienne lancinante, commune à beaucoup de démocraties : « Tous les mêmes ! »
Les citoyens se reconnaissant de moins en moins dans leurs représentants, le problème est donc celui de la représentativité de ces derniers, qui fait l'objet de mon second point. La note préparatoire qui nous a été distribuée mettait l'accent sur la dissimilitude entre la composition des assemblées et celle de la population, pointant les distorsions en termes de sexe, de niveau d'éducation, de profession – notamment en ce qui concerne la surreprésentation du secteur public par rapport au secteur privé – ou d'origines migratoires, les populations issues de l'immigration étant beaucoup moins représentées qu'elles ne comptent dans la population. À mon sens cependant, il n'y a pas de preuve que la reconnaissance dont peuvent jouir les représentants soit fonction de leurs caractères ou de leurs attributs sociaux, et les distorsions sociales entre représentants et citoyens existaient tout autant à l'époque des grands partis de masse, dont nous avons parfois tendance à avoir la nostalgie. Notons par ailleurs que le discrédit dont souffrent ces représentants ne semble pas atteindre les nouveaux partis extrêmes – à droite ou à gauche.
Le sentiment de distance par rapport à la classe politique et la remise en cause de sa représentativité dépendent davantage de la trop grande similarité perçue entre ses membres. À cela s'ajoute la baisse de la déférence à l'égard des chefs et des porte-parole auxquels on s'en remet, phénomène inéluctable dans des mondes dont le niveau d'éducation a beaucoup progressé. Il faut enfin tenir compte de l'interdépendance croissante qui lie nos gouvernants et les contraint à suivre des politiques qui ne diffèrent pas beaucoup les unes des autres. C'est particulièrement vrai en Europe, où nombre de facteurs externes limitent leurs marges de manoeuvre.
Cela étant posé, je considère que la similarité sociale ne peut, ni d'un point de vue normatif ni d'un point de vue pratique, constituer le principe de base de la représentation. En premier lieu, parce qu'il existe une sorte d'arbitraire des catégories à représenter : selon quelle dimension reproduire au sein d'une assemblée la composition de la population ? La dimension professionnelle ? La dimension religieuse ? Sans parler de la difficulté à tomber d'accord sur la définition des catégories sociales à représenter : faut-il, par exemple, y inclure les personnes sans emploi et les chômeurs, groupe qui mériterait autant qu'un autre d'être représenté ?
En second lieu, chaque électeur appartient à plusieurs catégories à la fois et se définit par un ensemble d'attributs – sexe, profession, origines –, et faire reposer la représentation sur la similarité des caractères sociaux conduirait à réifier ces appartenances, à les politiser et à en faire des enjeux de compétition. Comment, de surcroît, effectuer un décompte raisonnable de cette pluralité d'attributs et comment comptabiliser, par exemple, une femme issue de l'immigration ?
Il existe cependant des cas qui justifient des exceptions et dans lesquels les distorsions entre la composition des assemblées et celle du corps électoral méritent d'être questionnées. Il s'agit des cas où l'on a affaire à des distorsions résistantes, durables, qui se manifestent dans d'autres domaines – par exemple le marché de l'emploi – et résultent de discriminations avérées. À titre d'illustration, la disparité de traitement entre les fonctionnaires et les salariés du secteur privé concernant les congés pour mandat a pu contribuer à expliquer la surreprésentation des fonctionnaires au sein des assemblées. Je ne sais si cette asymétrie a été corrigée, mais il s'agit en tout cas d'une discrimination à laquelle il est possible de remédier car on en connaît la cause. Dans le cas où celle-ci n'est pas connue, on peut imaginer des dispositifs incitatifs voire des quotas – ma préférence allant à la première solution –, mais ces différentes mesures doivent demeurer des exceptions. En tout état de cause, la charge de la preuve incombe à ceux qui réclament la correction de ces distorsions, et l'on est en droit d'exiger d'eux qu'ils démontrent qu'un dispositif incitatif – ou quantitatif – produira bien les effets désirés et qu'il n'existe pas d'autre solution.
Mon troisième axe de réflexion concerne le tirage au sort. Depuis une vingtaine d'années, le tirage au sort a fait l'objet d'une multitude d'expériences et de pratiques à travers le monde, qu'il s'agisse de jurys citoyens, de conférences de consensus ou d'assemblées de citoyens. Je pense en particulier à deux exemples : d'une part, l'assemblée des citoyens sur la réforme électorale qui s'est tenue en 2004 en Colombie-Britannique, l'un des États fédérés du Canada ; d'autre part, la Convention constitutionnelle irlandaise qui s'est réunie de 2012 à 2014 et a proposé un référendum sur le mariage entre personnes de même sexe.
Ces dispositifs s'organisent de la manière suivante : le tirage au sort est utilisé pour sélectionner des citoyens ordinaires, qui ne sont ni des experts ni des professionnels de la politique. Leur nombre peut varier, mais ces citoyens sélectionnés par le sort sont ensuite soumis à une formation assez pointue – de l'avis des spécialistes, les membres de l'assemblée de Colombie-Britannique étaient ainsi devenus de véritables experts en loi électorale… Les membres de ces assemblées discutent et délibèrent ensuite pour rendre un avis, qui n'est en général pas obligatoire mais consultatif. Dans le cas de la Convention constitutionnelle irlandaise, il était ainsi prévu que des propositions seraient soumises au Gouvernement, lequel n'aurait pour seule obligation que d'y répondre, sans nécessairement être obligé de les mettre en oeuvre.
En pratique, la technique du tirage au sort se heurte au fait que nombre d'individus désignés refusent de participer, ce qui induit des distorsions dans la représentation. Aussi procède-t-on à ce qu'il est convenu d'appeler un échantillonnage aléatoire stratifié, qui consiste à déterminer à l'avance les catégories que l'on souhaite voir représentées, puis à procéder au sein de chacune d'entre elles à un tirage au sort. Il est en tout cas vain d'espérer du tirage au sort qu'il reflète exactement la diversité de la population. Son mérite reste néanmoins qu'en faisant appel à des citoyens ordinaires il contribue à briser le sentiment que les décisions publiques ne prennent pas en compte les voix de la population.
Le 20/12/2016 à 09:59, Laïc1 a dit :
"ou d'origines migratoires, les populations issues de l'immigration étant beaucoup moins représentées qu'elles ne comptent dans la population."
Je ne comprends pas la note préparatoire mettant l'accent sur la dissimilitude entre la composition des assemblées et celle de la population. Où veut-elle en venir ? Attend-elle que le groupe de réflexion demande une révision constitutionnelle pour en finir avec cet intolérable "sans distinction d'origine, de race ou de religion", qui figure insolemment à l'article 1 de la constitution de 1958, afin de préparer un vote ethnique ou religieux, facilité par la mise en place officielle de la proportionnelle, ou bien fait-elle mention de cette dissimilitude pour rappeler que rien ne pourra la faire bouger, puisque le vote ne pourra jamais être ethnique ou religieux, conformément aux principes fondamentaux de la constitution et des valeurs de non discrimination, fondements de notre République ?
Le 20/12/2016 à 10:17, Laïc1 a dit :
" À cela s'ajoute la baisse de la déférence à l'égard des chefs et des porte-parole auxquels on s'en remet, phénomène inéluctable dans des mondes dont le niveau d'éducation a beaucoup progressé."
Plus les citoyens sont éduqués, moins la parole du chef a d'importance, car le citoyen se sent mûr pour prendre les décisions qui le concernent lui-même. Et avec internet, l'éducation scientifique du citoyen est telle que celui-ci sait très bien quand est-ce que le lobby intervient pour court-circuiter la pensée scientifique et le bien-être citoyen. D'ailleurs, sur nos députés, les interventions citoyennes sont essentiellement présentes dès lors qu'il s'agit de dénoncer l'action malfaisante, anti-démocratique et anti-citoyenne des lobbies (par exemple le lobby de la psychanalyse ou des éoliennes). Le mal est connu de toutes et tous.
Et plus les députés chercheront à protéger les lobbies, plus leur action sera contestée, légitimement contestée, car la légitimité sociale, ce n'est pas le nombre d'amis politiques qui l'apporte, c'est bel et bien la science au service du citoyen et de la santé publique.
Le 20/12/2016 à 09:50, Laïc1 a dit :
" d'où cette antienne lancinante, commune à beaucoup de démocraties : « Tous les mêmes ! »"
Tous les mêmes pour des sujets si différents : vivement les référendums !!
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