Vous affirmez qu'il n'est pas possible de structurer la composition d'une assemblée politique en la calquant sur la composition de la population qu'elle est censée représenter. Je répondrai, de façon quelque peu provocante peut-être : pourquoi pas ?
Je ne disconviens pas de l'ensemble des problèmes, voire des risques que comporterait le choix des critères : faut-il prendre en compte le sexe, la profession, l'origine migratoire, le fait d'être chômeur ou diplômé, celui d'avoir ou non une bonne vue ? J'admets également la difficulté de pondérer ces critères pour aboutir à une sorte de profilage de la population représentée et de ses représentants, et ce d'autant plus que nous avons affaire à des êtres multiples. Enfin, je m'oppose comme vous à la réification des identités, estimant qu'un homme noir et catholique peut fort bien penser comme une femme juive et homosexuelle.
Je me demande cependant si, en s'arrêtant à ces obstacles, on ne court pas le risque de s'en tenir à un arbitraire qui a pour seul avantage d'être bien établi. Je souhaiterais ici que vous soyez plus précis sur la charge de la preuve, dont vous dites qu'elle incombe à ceux qui veulent corriger les distorsions selon des moyens dont ils doivent démontrer qu'ils sont efficaces et qu'il n'en existe pas d'autres. J'entends que les solutions mises en oeuvre doivent être efficaces – comment, cependant, prouver ex ante cette efficacité ? –, mais pourquoi devraient-elles être les seules possibles, hors de toute alternative, dans leur principe ou leur mise en oeuvre ? Il me semble qu'imposer la charge de la preuve à ceux qui veulent corriger les distorsions de représentation fait peser le risque social, c'est-à-dire le poids du conservatisme, sur les catégories défavorisées, déjà réduites au silence – les femmes, certaines religions, certaines minorités visibles, certaines professions –, ce qui revient à leur infliger une double peine, tant du point de vue épistémique que pratique, pour ce qui relève de leur participation à la vie politique.