Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 29 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Quand bien même l'on irait au bout d'une représentativité réelle et perçue comme telle, notre débat restera vain si nous ne le relions pas à celui que nous avons eu la semaine dernière ainsi qu'à la question du rôle de l'Assemblée nationale par rapport au Gouvernement, à moins que l'on ne s'interroge sur la représentativité de ce dernier.

Je reconnais avoir évolué sur la question de la limitation du cumul des mandats dans le temps, notamment après avoir entendu le président Bartolone évoquer la semaine dernière le primat des techniciens. Il n'est pas vrai que l'on cherche des gens pour occuper des fonctions représentatives : la minorité de gens qui a du goût pour ces fonctions en a également pour les garder longtemps ! En conséquence, ce qui était une fonction devient, dans les faits, un statut, et pour nombre de responsables politiques la reconversion est très difficile et taboue, d'autant que, la plupart du temps, elle ne s'effectue pas au terme naturel d'un mandat mais à l'issue d'une défaite, avec ce que cela représente sur le plan personnel, dans un contexte d'impensé collectif total.

Je suis également en désaccord avec Mme Lazerges sur cette question du cumul dans le temps et quant à la définition du « métier », terme polysémique qui désigne notamment le savoir-faire et l'habileté à exercer une fonction. La responsabilité politique nécessite un savoir-faire très particulier pour lequel il n'existe aucune formation – ce qui est d'ailleurs assez heureux. Pourtant, je ne crois pas qu'un mandat d'élu puisse aujourd'hui donner lieu à validation des acquis de l'expérience. Quelqu'un qui a été maire-adjoint chargé des questions associatives pendant deux ou trois mandats dans une commune de 50 000 habitants y a notamment appris à gérer les questions relationnelles, à exercer, donc, des tâches techniquement et humainement complexes, mais qui ne sont valorisées nulle part. La reconversion des élus me paraît donc un enjeu majeur, de même que la nécessité de lever le tabou entourant ce moment douloureux qu'est une défaite électorale.

Quant à la durée de deux mandats, elle peut s'avérer très courte. Je le dis à dessein pour avoir été secrétaire nationale d'un parti très attaché au non-cumul des mandats dans le temps et qui a envisagé d'empêcher le cumul de plus de deux mandats de deux ans à sa direction. Il se trouve que je suis devenue secrétaire nationale après avoir effectué un premier mandat comme membre ordinaire, puis un second comme porte-parole du parti, mais j'ai été une bien meilleure secrétaire nationale au bout de ces deux fois deux ans qu'au tout début. Les acquis de l'expérience existent, y compris dans la pratique de la fonction représentative.

Le danger me semble dépasser la question de la responsabilité car, même lorsque des élus restent très longtemps en place, la responsabilité de nombre de leurs projets pèse en réalité sur les épaules de leurs lointains successeurs : aucun des parlementaires actuels n'aura à assumer ni à subir les conséquences des décisions prises aujourd'hui en matière de transition énergétique et écologique. Pourtant, ce sont les décisions les plus essentielles que nous ayons à prendre en ce début de XXIe siècle.

La bonne raison de s'opposer à la limitation du cumul des mandats dans le temps ne me semble donc pas tenir à l'importance de la responsabilité, mais plutôt à la capacité à ne pas se laisser dominer par les techniciens ni par un « pragmatisme bien compris », qui ferait que le choix politique ne serait plus possible du tout. En limitant le cumul des mandats dans le temps, on viderait de sa substance la fonction de responsable politique en la réduisant à un rôle de communication de décisions prises par des techniciens convaincus que, si la décision que le politique veut prendre est mauvaise, il leur suffit de faire traîner les choses jusqu'à ce qu'il s'en aille. Il est vrai que les élus peuvent connaître un moment d'épuisement au bout d'un certain temps mais ne nous leurrons pas : le maintien en fonction est aussi pour de nombreux élus la certitude d'avoir quelque chose à faire de leur vie et d'avoir une activité rémunératrice. On présente les choses de façon très négative en déplorant qu'ils s'accrochent à leurs avantages. Mais, avec la limitation du cumul et le plafonnement des indemnités, l'avantage financier que procure l'exercice de responsabilités politiques n'est plus du tout le même aujourd'hui que dans les années 1970 et 1980.

Il ne serait pas non plus inutile de faire bénéficier les parlementaires ayant accompli deux mandats de passerelles vers les corps d'inspection de l'administration, afin d'éviter que tous les inspecteurs aient le même profil que les hauts fonctionnaires qu'ils inspectent. Ce sont en effet les élus issus du secteur privé, et non les énarques, qui ont le plus besoin d'une reconversion. Il serait intéressant de mettre du politique dans le contrôle de la haute administration et de garantir la possibilité pour les élus de faire autre chose, au terme de l'exercice de leurs responsabilités. Ce serait aussi une forme de limitation du cumul aujourd'hui contraint pour ceux qui n'ont aucune idée de ce qu'ils pourraient faire à l'issue de de leur mandat. C'est à dessein que je pose cette question taboue, étant issue d'une famille politique très attentive au non cumul et ayant moi-même pratiqué le mandat unique.

Comme je l'ai déjà souligné, j'ai été très choquée qu'au moment de l'affaire Cahuzac, il ait été décidé de limiter à trois mois les indemnités auxquelles avait droit un ministre à l'issue de l'exercice de ses fonctions, comme l'a d'ailleurs subi Pascal Canfin lorsqu'il a quitté le Gouvernement. Encore heureux que la réforme constitutionnelle de 2008 ait permis aux parlementaires de retrouver leur siège après avoir occupé un poste ministériel : la décision de le leur interdire avait été prise par le général de Gaulle pour que ses ministres lui soient des obligés absolus. Bien que cette durée de trois mois soit nettement inférieure à celle des indemnités versées à l'issue d'une activité salariée, cette décision n'a choqué personne car, pour l'immense majorité des personnes concernées, les représentants de notre pays ne seront jamais confrontés ni au chômage – puisque, pour l'essentiel, ils exercent des professions libérales ou sont fonctionnaires – ni à l'aléatoire. On m'objectera à raison que la reconversion d'un ministre est plus facile que celle de la plupart des gens. Mais cela atteste de cet impensé que j'évoquais à l'égard de l'après-mandat et des conséquences d'une défaite électorale pour les individus concernés.

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