Intervention de Virginie Tournay

Réunion du 29 mai 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Virginie Tournay :

Merci, monsieur Manin, pour cette intervention tout à fait passionnante : vous montrez à quel point notre perception du rapport entre représentant et représenté mérite analyse. Le lien que nous établissons entre représentation et démocratie n'a rien d'évident ni de naturel. Je rejoins Denis Baranger qui oppose bien le statisme de la représentation à la dimension processuelle de la démocratie : ce lien est le produit de notre histoire. On ne peut donc pas fonder la représentation politique dans un rapport d'homologie avec la représentation sociale : il faut utiliser les quotas avec parcimonie ; ils doivent demeurer un régime d'exception.

Notre groupe de travail a reçu la mission de proposer des diagnostics sur la crise de nos institutions, mais aussi de faire des propositions.

Aujourd'hui, que serait pour vous une représentation politique de qualité ? Comment, par quels indicateurs les décideurs politiques pourraient-ils juger de la qualité de la représentation ? Je vous pose là une question qui appelle une réponse aussi analytique que normative, j'en ai bien conscience. Mais vous montrez que notre système de représentation, combinant éléments démocratiques et non démocratiques, est paradoxal, et que les valeurs démocratiques que nous attribuons spontanément au système de représentation varient au cours de l'histoire : comment penser la qualité de notre représentation si les valeurs que nous lui attribuons fluctuent au cours du temps ? En tout cas, il paraît impossible de se fonder sur l'arbitraire des catégories sociales. Je me reconnais pleinement dans cette analyse à première vue déconcertante, mais comment alors penser l'objectivité de notre travail et la scientificité de notre réflexion ?

Je voudrais également vous demander, de façon quelque peu provocatrice, s'il faut réellement partir d'une discussion des techniques de représentation pour répondre aux problèmes de la crise de la représentation politique. Je rejoins là les propos déjà tenus sur l'oeuf et la poule : pour améliorer la confiance que portent les citoyens à leurs institutions, ne faut-il pas plutôt essayer d'agir sur des mentalités et les pratiques sociales – à commencer par le partage des tâches domestiques ? La réponse à ce problème de philosophie normative ne sera pas donnée par les seuls outils du droit positif, par la seule ingénierie institutionnelle de la représentation.

Est-il possible d'envisager que la désaffection des citoyens vis-à-vis de leurs représentants soit liée au fait qu'ils n'adhèrent plus à l'idée de peuple souverain ? C'est une simple hypothèse, mais si elle devait se vérifier, alors nous aurions beau essayer de faire coïncider la sociologie de nos représentants avec la composition de la société, nous n'arriverions à rien. Si nous ne partageons plus le même imaginaire national, si aucune idée partagée ne fonde plus la communauté nationale, comment les gouvernés consentiraient-ils à accorder de la légitimité au pouvoir des gouvernants ? Un sondage du Centre de recherches politiques de Sciences Po réalisé juste après les attentats du mois de janvier montre bien que nous assistons à un fort repli identitaire, sans toutefois que les sondés ne considèrent comme mauvais notre régime démocratique. Les Français estiment, à l'instar de Churchill, que la démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres ; 91 % des Français plébiscitent ce régime, mais quatre sur dix seulement déclarent qu'il fonctionne bien. Mais cette critique ne vient pas du fait que la représentation des assemblées ne serait pas semblable à celle de la société ; elle naît du fait que les Français ne se reconnaissent pas dans l'action menée par leurs mandants, avec qui ils ne ressentent pas de proximité, ce qui est assez différent.

C'est d'abord aux petites et moyennes entreprises que les Français accordent leur confiance ; viennent ensuite les hôpitaux et la police. En revanche, les responsables politiques, sociaux et médiatiques sont plutôt désavoués, ce qui revient à dire que la défiance est plutôt le résultat d'un manque de proximité entre élus et représentés. Cela nous renvoie au problème de l'accountability : les citoyens souhaiteraient que les élus leur rendent des comptes, et s'assurent de la mise en oeuvre et de l'effectivité des politiques publiques – quelque chose de très différent d'une recherche d'homologie entre représentation politique et représentation sociale.

Comment l'action publique, qu'elle soit purement symbolique ou incarnée dans des pratiques concrètes, pourrait-elle travailler les représentations qu'ont les citoyens de leurs élus ? Je pense notamment au rôle des institutions de mémoire, aux musées, aux politiques culturelles : n'ont-ils pas un rôle à jouer pour faire reculer la défiance vis-à-vis des gouvernants ? Ainsi, faire entrer Olympe de Gouges au Panthéon permettrait de faire mieux reconnaître le combat des femmes. Si l'on trouvait du travail à nos cinq millions de chômeurs, peut-être éprouveraient-ils aussi une plus grande confiance envers notre système de représentation politique. Il ne me paraît pas possible de réfléchir à la question de la représentativité politique en mobilisant seulement l'ingénierie institutionnelle : pour résorber la distance entre gouvernants et gouvernés, il faut également prendre en compte l'action sociale et les politiques publiques.

J'ai cru comprendre qu'à votre sens, nous ne traversions pas une crise de la représentation. Si l'on distinguait néanmoins des éléments de crise, où se situerait le noeud du problème – dans nos institutions, dans l'exercice du métier politique, dans une perception différente par les citoyens des compétences de l'État ? D'après vous, la crise et la défiance accompagnent nécessairement le système représentatif, système paradoxal qui contient des éléments non démocratiques : est-ce que certains de ces éléments, qui ne seraient pas consubstantiels à ce système mais le résultat de notre histoire et du fonctionnement de nos institutions, pourraient néanmoins être éliminés ?

1 commentaire :

Le 23/12/2016 à 14:55, Laïc1 a dit :

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"Est-il possible d'envisager que la désaffection des citoyens vis-à-vis de leurs représentants soit liée au fait qu'ils n'adhèrent plus à l'idée de peuple souverain ?"

C'est sûr, si le peuple n'est jamais consulté par voie de référendum, il n'a plus aucune souveraineté, puisqu'il n'est pas libre de se déterminer sur des sujets qui le concernent directement.

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