Vous m'avez interrogé, madame la présidente, sur les perspectives d'une industrie européenne de défense. Comme d'autres, je juge dommage que le rapprochement envisagé entre EADS et British Aerospace n'ait pu se faire. L'inaboutissement de ce projet incite à s'interroger. Le cycle des commandes civiles et celui des commandes militaires n'étant pas corrélés, est-ce un élément de stabilité pour une entreprise d'être sur les deux marchés ? Tous ceux avec qui je m'en suis entretenu ont le même point de vue : c'est une force pour Boeing d'avoir à la fois le matelas des commandes du Pentagone et une part importante du marché de l'aviation civile. Pour les industries européennes de la défense, la capacité d'être présentes sur les deux marchés serait pareillement un élément de stabilité.
Cela amène à s'interroger sur l'organisation du secteur lui-même : doit-il être structuré autour d'équipementiers ou d'ensembliers ? Beaucoup pensent que combiner les deux domaines au sein d'une même entreprise complique les coopérations européennes. C'est sans doute une bonne chose de les conserver séparés ; le mélange des genres peut nuire en ce qu'il conduit assez vite à la création de champions nationaux, avec les problèmes que cela peut poser.
L'industrie de la sécurité est à la charnière de l'industrie de la défense, et le marché de la cybersécurité est en pleine expansion. L'enjeu est d'importance et, si l'on parvient à définir des normes de sécurité européennes, ce marché s'élargira beaucoup. Il y a là un moyen de promouvoir des développements industriels intéressants pour EADS, présent sur ce marché. Or cette question présente un intérêt politique immédiatement perceptible par tous nos partenaires, la sécurité nationale étant un élément assez fédérateur pour que tout le monde s'y retrouve, même les États que l'éventualité d'une intervention au Sahel convainc moins – à tort, selon moi.
S'agissant de la défense antimissile balistique, je partage l'opinion de M. Védrine : il faut distinguer défense d'un territoire limité et bouclier antimissile global. Le second serait difficilement compatible avec une logique de dissuasion, mais deux éléments font qu'il ne sera probablement pas envisagé. Il y a d'abord la raison technique : si des progrès ont été réalisés pour une défense locale, comme l'a illustré ce qui se passe depuis Gaza, rien de concluant n'a été mis au point à ce jour pour une défense plus ambitieuse face à des missiles intercontinentaux équipés de tête furtive, si bien que le débat demeure hypothétique. L'autre raison est financière : les ressources qu'il faudrait mobiliser pour obtenir des résultats autres que conjecturaux sont incompatibles avec les possibilités de nos différents pays, joindraient-ils tous leurs efforts à ceux des États-Unis. Il faut veiller à ce que la poursuite de chimères n'ait pas pour effet d'assécher des crédits qui devraient être consacrés à des programmes permettant des progrès plus tangibles. La défense antimissile balistique a du sens s'il s'agit de protéger une zone délimitée, et nous avons, avec MBDA, des capacités à cette fin en Europe, qu'il faut renforcer et encourager. Aller plus loin signifierait engager beaucoup d'argent pour des résultats plus qu'incertains et se priver ainsi de fonds qui devraient être destinés à des programmes absolument nécessaires dans d'autres domaines.
Le budget 2013 de la défense doit-il être considéré comme un budget d'attente ? La commission du Livre blanc doit prendre en compte des contraintes de court terme que l'on ne peut ignorer ; le redressement des comptes publics est une priorité nationale dont la défense doit prendre sa part. À titre personnel, je pense dangereux de fonder des hypothèses de formats d'armées en imaginant que, après un court mauvais moment, les crédits de la défense augmenteront à nouveau. Peut-être en sera-t-il ainsi, mais construire la réflexion sur cette base est périlleux. Ce que les militaires redoutent par dessus tout, c'est une armée de parade, capable de faire un magnifique défilé le 14 juillet parce qu'elle est dotée de tout un peu, mais manquant de capacités opérationnelles réelles. Mieux vaut donc accepter de supprimer certaines capacités plutôt que de prétendre les conserver toutes.
Dans ce contexte, quelles capacités supprimer ? Les discussions à ce sujet sont en cours au sein de notre commission, qui doit préciser la place de certains curseurs. « Entrer en premier » est un élément politique de première importance, car cela signifie pouvoir entraîner les autres. Si nous pouvons dire que nous sommes prêts à ouvrir la voie, le chef de l'État a dans sa manche une carte politique beaucoup plus forte. Mais tout dépend du pays où l'on veut « entrer le premier », et c'est cette place du curseur que nous devons définir. Dans certains cas, ouvrir la voie suppose une dépense considérable en matériel de haute technologie ; dans d'autres cas, cela ne pose pas de problèmes particuliers. Nous devons donc définir notre degré exact d'ambition.