Le concept de Smart Defence - ou défense intelligente - de l'OTAN est apparu après l'initiative européenne comparable dite Pooling and Sharing – mutualisation et partage des moyens. Qui voudrait une défense idiote ? On ne peut qu'être favorable à une défense « intelligente », mais encore faut-il savoir quels en sont les critères. Nous devons, au sein des organes de discussion compétents, parvenir à ce que ne soient pas adoptées des normes qui favoriseraient outrageusement l'industrie américaine. Cela dit, dans certains cas, les normes américaines dominent ; c'est aux industriels européens d'occuper le terrain, comme le fait British Aerospace aux États-Unis. Pour résumer, nous ne devons être ni frileux ni naïfs et nous ne devons pas capituler lors de la définition de normes qui pourraient nous faire perdre un avantage industriel. La cybersécurité est, dans ce cadre, un enjeu sensible.
Pour ce qui est de la doctrine d'emploi des forces nucléaires françaises, le Président de la République ne souhaite pas que nous nous aventurions à inventer des langages nouveaux ; nous serons donc assez prudents à ce sujet.
Le changement climatique a un impact considérable dans le monde entier et chaque crise doit être jugée à cette aune : il entraîne une modification des rapports de forces, change les dynamiques sociales et politiques dans certains pays et menace la survie de certaines nations. Nous ne pouvons l'ignorer.
Le Livre blanc de 2008 avait donné une priorité à la cyberdéfense et le consensus s'est fait au sein de notre commission pour la maintenir. Les cyberattaques ne se résument pas à l'espionnage et au sabotage de certains sites, elles peuvent porter atteinte à des infrastructures vitales. La cyberdéfense va devenir un élément croissant de la sécurité de nos pays, et si un bras ne doit pas être coupé, c'est bien celui-là ; l'effort, au contraire, doit être approfondi. Il nous faudra aussi renforcer nos efforts de connaissance et d'anticipation. Nous devons disposer d'informations dont nous sommes sûrs ; si nous devons nous reposer sur des informations dispensées par les autres, nous sommes sujets à des manipulations. Nous pouvons soit établir des interdépendances avec d'autres pays européens, si nous y parvenons, soit augmenter nos capacités nationales. Cette priorité aussi doit être maintenue.
Faut-il ou ne faut-il pas dégarnir nos positions africaines ? Nos réflexions nous conduisent à privilégier la modularité. On voit bien qu'en certains lieux une unité complète n'est parfois pas nécessaire, puisque l'on peut renforcer rapidement les matériels prépositionnés. Il faut de la flexibilité. Si les forces spéciales ont pris une importance croissante, c'est qu'elles peuvent intervenir en très petit nombre ; ce sont les seules qui sont organisées pour cela, et c'est pourquoi les États-Unis les utilisent beaucoup. On peut penser que ce mode d'organisation s'appliquera un jour à notre force.
Je suis persuadé de l'importance extrême de la coopération militaire, dont j'observe cependant qu'elle s'exerce dans deux cadres. Soit elle concerne un État qui fonctionne et elle vise à renforcer une armée ; soit, et c'est très différent, elle a lieu dans un État qui s'est effondré. Intervient alors une dimension politique complexe : quels sont les officiers qui seront formés ? Seront-ils ceux d'un clan ? On ne peut ignorer ces non-dit politiques, sinon à ses dépens ; or, trop souvent, en matière de coopération militaire, on applique le même modèle dans tous les cas. Par ailleurs, on ne peut construire un État autour de son armée - c'est ce qui s'est passé au Pakistan, et chacun voit à quel point le résultat est problématique. L'armée est un élément de l'identité nationale, mais ce n'est pas le seul ; une dimension civile est nécessaire pour construire les institutions.
J'en viens aux interventions civilo-militaires ou militaro-civiles. Dans certains cas, une action multidimensionnelle préventive coûterait beaucoup moins cher. Si, au départ des Soviétiques d'Afghanistan, au lieu de laisser se développer l'épouvantable guerre civile qui a permis aux talibans de devenir les maîtres du pays, un vaste effort de construction d'un État post-soviétique avait été fait, les événements du 11 septembre 2001 n'auraient pas eu lieu. De même, nous entretenons depuis des années avec le Mali une coopération militaire qui devrait nous conduire à une sorte de mea culpa : on voit bien que cela n'a pas suffi, que les relations entre Bamako, le Nord et les tribus Touaregs ont été éludées. C'est une nouvelle illustration de ce que l'on ne peut isoler l'intervention militaire de problèmes plus généraux.
La France a la deuxième zone économique exclusive la plus étendue du monde – elle est vaste de 11 millions de kilomètres carrés. La question est de savoir quels types d'équipements nous sont nécessaires pour affirmer notre souveraineté. Faut-il se fonder sur le principe du « qui peut le plus peut le moins » ? Pencher en faveur d'une seule chaîne de soutien logistique est en soi plus économique, mais si cela suppose des équipements très coûteux, la dépense est très élevée. Faut-il alors préférer deux chaînes de soutien, pour disposer d'équipements très coûteux pour le haut du spectre et d'outils plus rustiques pour d'autres fonctions ? Enfin, jusqu'où doit-on aller dans la surveillance de ces zones, qui finit par coûter très cher ? Ce choix reviendra au Gouvernement et au Parlement.