Intervention de Razzy Hammadi

Séance en hémicycle du 10 juin 2015 à 15h00
Action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRazzy Hammadi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je voudrais avant toute chose remercier le groupe socialiste, républicain et citoyen de l’occasion qui m’est donnée ici de défendre un texte important pour les membres les plus vulnérables de la collectivité. Je tiens également à remercier la commission des lois d’avoir approuvé cette proposition de loi à une très large majorité.

Ce texte vise à apporter une réponse au paradoxe de Mancur Olson selon lequel plus un groupe s’élargit, moins il défend efficacement ses intérêts. Chacun s’en remet à l’autre et personne n’agit.

Cette majorité s’est attaquée à ce problème. On parlait des class actions depuis des décennies, et l’on disait qu’il était impossible de les introduire dans notre système juridique. C’est fait pour les consommateurs, grâce à la loi sur la consommation, et ce sera fait prochainement pour les usagers des services de santé grâce à la loi sur la santé.

La construction juridique existe désormais. En 2014, le Conseil constitutionnel a intégralement validé la démarche de l’action de groupe. La procédure est sûre, constitutionnelle, efficace. Elle est reprise dans cette proposition de loi. Personne n’a d’ailleurs émis de critiques sur ce point en commission. Je considère donc que ce sujet est réglé.

Comment fonctionne l’action de groupe ? C’est une séquence juridictionnelle en deux phases – l’une déterminant la responsabilité de l’auteur et l’autre l’indemnisation des dommages – qui structure cette action de groupe. Elle peut être diligentée par une association reconnue dans la lutte contre les discriminations ou, dans le monde du travail, par une organisation syndicale. Les victimes sont représentées par cette entité requérante qui agit en leur nom au cours du procès, mais elles gardent le droit à tout moment de faire valoir leurs droits dans une procédure individuelle plus classique. Nul n’entre dans l’action de groupe contre son gré : c’est un point fondamental.

Après les consommateurs et, demain, les patients, il s’agit aujourd’hui de donner aux victimes de discriminations les moyens de se défendre. Il y a des gens bardés de diplômes qu’on n’invite même pas à des entretiens. Il y a des gens qui font le même travail que d’autres et que l’on n’envisage même pas de promouvoir. Il y a des gens qui ont toutes les garanties pour louer un logement et dont on ne retient pas le dossier. Il y a des gens qu’on refuse de servir dans certains établissements. Il y a des gens qu’on licencie prématurément. Il y a des enfants en situation de handicap qui n’intègrent pas l’école de la République. Pourquoi ? Parce que ces gens sont des femmes, parce que ce sont des jeunes, parce qu’il a pu se produire une grossesse, parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur, parce que le handicap fait peur, parce que l’adresse ne plaît pas, parce qu’une obédience religieuse, supposée ou réelle, suscite le rejet. Cela nous est insupportable.

Souvenons-nous de l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». L’utilité commune, c’est le mérite, seul discriminant acceptable dans la République que nous voulons.

Je ne veux pas seulement réprimer les pratiques discriminatoires. Ce texte n’a d’ailleurs aucun caractère pénal. C’est une affaire entre le fautif et ses victimes. Les parquets joueront leur rôle dans un droit inchangé, mais les actions de groupe leur donneront sûrement les preuves statistiques qui leur permettront d’engager des poursuites.

Non, il ne s’agit pas seulement de réprimer. Il faut surtout dissuader et prévenir. L’indemnisation générale qu’entraîne l’action de groupe le permettra, comme elle le permet déjà dans quinze autres pays de l’Union européenne. Cette procédure rendra concrète une sanction inappliquée, donc inexistante en pratique. C’est aussi pour cette raison que la proposition de loi prévoit un mécanisme de transaction – la médiation étant possible à n’importe quel moment de la procédure – pour discuter, négocier et corriger les erreurs involontaires.

La commission a procédé à des aménagements importants du dispositif. Tout d’abord, l’action de groupe a été ouverte contre les actions des personnes publiques. C’est un point essentiel pour une République capable de se regarder franchement en face dans le miroir du droit. Il suffit de parler à l’Association des paralysés de France, par exemple, pour en être convaincu : l’État et les collectivités sont loin d’être exemplaires dans leurs écoles, dans leurs gares ou, tout simplement, en matière d’accessibilité des rues. Dorénavant, les citoyens pourront, une fois le nouveau délai arrivé à son terme, les mettre en face de leurs responsabilités.

La procédure a été simplifiée au maximum en confiant au tribunal de grande instance une compétence totale sur tous les contentieux privés. Inclure les conseils de prud’hommes dans le mécanisme, comme il était prévu à l’origine, compliquait trop le dispositif. Nous avons fait quelque chose qui marche et, je le crois, qui marche vite et bien.

Une action de groupe simplifiée a été instituée pour les cas les plus évidents, fondés sur un fichier identifiant les victimes et dont les préjudices sont immédiatement indemnisables. Le juge pourra rendre une seule décision au lieu de deux. C’est une bonne administration de la justice, et nous aurons l’occasion au cours du débat de revenir sur la notion de réparation intégrale du préjudice, qui est au coeur de nos préoccupations.

Nous avons également ajouté des garanties procédurales, notamment sur la proposition de M. Coronado et du groupe écologiste, dont je salue le travail. Le juge pourra instruire, accorder des provisions et valider le concours de professions réglementées ; ce sont des avancées importantes.

Au cours des nombreuses auditions d’institutions, d’associations, de syndicats et de corporations que nous avons conduites et qui faisaient déjà suite à trois années de travail de coproduction, je n’ai jamais entendu de critique globale du dispositif. J’ai certes entendu les organisations patronales exprimer des craintes, mais je veux là encore les assurer que nous serons attentifs au contexte de l’entreprise, qui sera au coeur de nos préoccupations. Je veux aussi les rassurer : ce dispositif est universel, et rien ne justifie que les entreprises se sentent ciblées. L’action de groupe pourra tout aussi bien viser l’État qu’un particulier, une association ou une entreprise.

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