Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens avant toute chose à vous dire combien je suis heureux que les circonstances de la vie gouvernementale me donnent l’occasion de m’exprimer devant vous sur ce texte pour en partager très largement la philosophie et les principes. En effet, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, instaurant une action de groupe en matière de lutte contre les discriminations, s’inscrit dans la continuité d’un double engagement – de M. le rapporteur, notamment.
Le premier engagement est celui qui a conduit l’auteur et rapporteur de ce texte, M. Razzy Hammadi, à permettre l’introduction de l’action de groupe en France en tant que co-rapporteur de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Longuement mûrie, cette importante évolution s’est traduite par la mise en place d’un mécanisme « à la fois offensif et équilibré », selon les termes utilisés à l’époque par les co-rapporteurs Razzy Hammadi et Annick Le Loch. Un peu plus d’un an après son adoption, cette action offre ses premières illustrations sans avoir provoqué le séisme judiciaire et économique que certains annonçaient et redoutaient.
Le second engagement, qui est sans doute le plus important, est celui de la lutte contre les discriminations qui entachent de manière inacceptable notre pacte républicain. Ainsi que nous l’ont rappelé les tragiques événements de ce début d’année et le grand élan de solidarité nationale qui a suivi, l’application effective des règles qui fondent le « vivre ensemble » doit faire l’objet d’un combat de tous les instants dans tous les champs de la société, en utilisant tous les moyens juridiques les plus efficaces.
Cette proposition de loi réunit ces deux engagements. Elle constitue un véritable manifeste de l’action collective en justice, en vue de mieux garantir l’égale dignité des personnes. Le Gouvernement, dont je porte la parole aujourd’hui, ne peut qu’adhérer à un tel objectif de progrès social, qui concerne naturellement les discriminations au sens le plus large, qu’elles se fondent, comme l’a rappelé M. le rapporteur, sur le handicap, le genre, la race ou encore la religion. Le nombre de discriminations qui existent aujourd’hui dans notre société est tel et concerne tant de nos compatriotes qu’il nous fallait en avoir une vision globale et instaurer une nouvelle procédure pour mieux lutter contre elles.
En matière de lutte contre les discriminations, les recours collectifs peuvent constituer une voie de droit efficace. La conviction du Gouvernement est bien affirmée : dans un certain nombre de domaines, les relations entre parties à un litige ne sont pas symétriques. Dans de tels cas, les recours individuels existants ne sont pas suffisants. La complexité des questions posées, la durée et le coût d’un procès sont souvent des éléments qui dissuadent une personne isolée de saisir le juge. L’effectivité du droit se trouve alors mise à mal, et le sentiment d’injustice ne peut que prospérer.
L’action de groupe à la française vise à répondre à ce défi en permettant à une entité habilitée de faire venir devant la justice l’auteur d’un manquement lorsque celui-ci porte préjudice à plusieurs personnes physiques qui se trouvent dans une situation similaire.
Cette voie procédurale présente un intérêt particulier dans le domaine de la lutte contre les discriminations, où les dispositifs existants, hélas, ne sont pas assez efficaces. En cette matière, la preuve est souvent difficile à établir si l’on ne parvient pas à donner au litige sa dimension collective.
Les discriminations ne sont pas seulement ressenties. Elles peuvent et doivent être objectivées, comme elles l’ont par exemple été grâce aux travaux du Défenseur des droits. Dans son rapport pour l’année 2014, cette autorité indépendante fait état de 4 535 réclamations se rapportant à des discriminations, la plupart au travail. Cependant, tous les champs de la vie quotidienne sont concernés, qu’il s’agisse de l’accès aux biens et aux services, y compris publics, de l’accès à l’éducation ou encore de l’accès au logement.
Or, le principe d’égalité inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au fronton de la République ne doit pas rester théorique. Il doit être effectif et concret.
C’est pourquoi l’instauration d’une action de groupe pour lutter contre les discriminations constitue un engagement fort du Président de la République, que le Premier ministre a inscrit dans le plan d’action contre le racisme et l’antisémitisme présenté au mois d’avril.
Cet engagement, vous le savez, est aussi porté avec détermination par la ministre de la justice dans son projet de loi relatif à la justice du 21e siècle, qui vise notamment à instaurer une action de groupe en matière de lutte contre les discriminations.
Ce projet et cette proposition de loi poursuivent ainsi un objectif commun : lutter sans relâche contre les discriminations et introduire un dispositif d’action de groupe en ce domaine.
Le Gouvernement souhaite que les travaux et les échanges se poursuivent, afin de faire converger les solutions envisagées par l’exécutif et celles proposées par les parlementaires. Ce n’est qu’à cette condition que nous parviendrons à bâtir un dispositif à la fois efficace, cohérent et solide juridiquement.
Ce travail a d’ores et déjà commencé en commission, notamment grâce à l’ouverture du dispositif d’action de groupe au juge administratif. Cette évolution est essentielle, car l’État se doit d’être exemplaire en matière d’égalité des citoyens.
Des équilibres ont été trouvés et d’autres sont encore à rechercher, s’agissant notamment des discriminations au travail, dont les spécificités ont été fortement mises en lumière dans le rapport élaboré par le groupe de travail sur la lutte contre les discriminations dans l’emploi, remis aux ministres Christiane Taubira, François Rebsamen et Patrick Kanner le 19 mai dernier.
L’entreprise présente en effet de fortes spécificités qui doivent trouver une réponse adaptée dans la procédure d’action collective qui sera instituée. Je pense en particulier à la place des organisations syndicales dans cette procédure, qui doit être pleinement reconnue, et à l’utilité d’un dialogue social renforcé sur ce sujet au sein de l’entreprise pour faire cesser la discrimination avant de recourir au juge.
La fin des discriminations doit être l’objectif poursuivi : il ne s’agit pas de permettre à l’employeur d’« acheter » le droit de discriminer, mais bien de l’obliger à cesser les pratiques de discrimination que nous ne pouvons tolérer.
Le chemin parcouru est important, et je remercie une nouvelle fois le rapporteur et la commission pour les fructueux échanges qu’ils ont eus avec le Gouvernement, dont on ne peut que souhaiter qu’ils se prolongent dans les semaines et les mois à venir.
Mesdames et messieurs les députés, l’action de groupe qu’il nous revient de construire ensemble n’a qu’un seul objectif : faire respecter l’idéal d’égalité républicaine, idéal dont je ne doute pas un seul instant qu’il guidera nos travaux.
Il s’agit bien d’une approche de modernisation et de progrès social. Car il existe aujourd’hui de nouvelles formes d’inégalité. Les discriminations qui sont aujourd’hui décrites montrent que pour atteindre notre objectif d’égalité réelle, il faut des moyens nouveaux et adaptés.
De ce point de vue, vous avez souligné votre ouverture d’esprit, monsieur le rapporteur, s’agissant de la question des discriminations dans l’entreprise – qui représentent une part importante des craintes et des aspirations suscitées par ce débat, mais qui ne doivent pas entraîner de stigmatisations…
Au total, faire progresser l’idéal d’égalité et de reconnaître les droits d’un certain nombre de nos concitoyens qui ne se retrouvent pas dans le fonctionnement de différentes institutions de notre société constitue une démarche de progrès social et permet de libérer des énergies trop souvent contenues. Les exemples abondent, en effet, de personnalités de talent que notre société, en d’autres temps et encore aujourd’hui, n’a pas été capable d’intégrer dans ses potentialités, des personnalités qui doivent parfois partir à l’étranger pour se réaliser pleinement. C’est donc une démarche d’égalité et de progrès, mais aussi de liberté, qui nous permettra, ensemble, de créer davantage de richesses et de renforcer la cohésion sociale.