Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qu’elles sévissent dans le domaine du logement, des services ou de l’emploi, les discriminations sont persistantes dans nos entreprises, omniprésentes au sein de la société française.
Qu’elles soient fondées sur l’origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, sur le handicap, l’apparence physique, ou qu’elles se traduisent par l’inégalité salariale en défaveur des femmes, les discriminations sont nombreuses et mettent à mal notre pacte social.
À titre d’exemple, ainsi que le souligne le rapport de la commission, une étude de l’INSEE de janvier 2011 démontre que les Français ayant au moins un parent originaire du Maghreb connaissent un taux d’emploi inférieur de 18 points à ceux dont les deux parents sont français de naissance.
L’inégalité salariale entre les femmes et les hommes est également un problème lancinant. Voilà plus de quarante ans, avec la loi du 22 décembre 1972, que la France a commencé son long chemin vers l’égalité des rémunérations. Au fil des années, les initiatives en la matière ont été nombreuses. Si certaines ont permis des avancées nettes et concrètes, d’autres sont restées en deçà des enjeux. Mais aujourd’hui, après quarante ans d’actions, une femme gagne toujours en moyenne 25 % de moins qu’un homme à compétence égale.
Ces injustices sont pourtant réprimées par le droit. Les auteurs de discriminations encourent des peines pouvant atteindre trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Pourtant, ainsi que l’indique le rapport de la commission, une enquête commanditée par le Défenseur des droits révèle que près de la moitié des personnes ayant vécu une discrimination n’engagent aucune action.
L’incertitude des actions, les difficultés d’administration de la preuve, la longueur des procédures peuvent expliquer ce silence des victimes, qui conduit à laisser impunis les auteurs de discriminations.
La persistance de ces inégalités révèle la difficulté pour les pouvoirs publics de mettre un terme à ces injustices.
Bien évidemment, lutter contre ces inégalités et empêcher qu’une catégorie minoritaire soit systématiquement défavorisée constituent des priorités d’ordre public. En cela, l’objectif poursuivi par le texte est tout à fait louable et nous le partageons.
Pour autant, le mécanisme de l’action de groupe est-il la bonne solution ?
Nous craignons en effet que les actions de groupe, en simplifiant la procédure, ne multiplient les contentieux, imposent aux entreprises des contraintes supplémentaires et introduisent une judiciarisation excessive.
Le rapport d’information des sénateurs Esther Benbassa et Jean-René Lecerf, qui évoque l’éventualité d’introduire dans notre droit un recours collectif en matière de discriminations, en a aussi reconnu les limites.
Le rapport souligne ainsi une difficulté qui tient à la spécificité même du contentieux de la discrimination, par nature très subjectif. Je le cite : « Un recours collectif implique que soient définis les critères de rattachement au groupe qui permettront en un second temps d’examiner au cas par cas la recevabilité à se joindre à l’action de chaque cas d’espèce. Dans la mesure où un même fait discriminatoire peut avoir des conséquences différentes selon les victimes, la définition des critères de rattachement au groupe peut s’avérer très complexe ».
Il sera ainsi difficile de démontrer que les personnes sont placées « dans une situation similaire ou identique », selon les termes employés à l’article 1er de la proposition de loi.
Une seconde difficulté tient à son articulation avec le régime probatoire aménagé en faveur du demandeur. Le rapport note ainsi que « Dans la mesure où il appartient au défendeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il doit pouvoir connaître chacune des victimes pour procéder à cette démonstration au cas par cas. Ainsi, il faudrait procéder à l’examen de recevabilité de chacun des cas de personnes souhaitant se joindre à l’action de façon à mettre en capacité le défendeur de l’écarter s’il justifie d’éléments objectifs démontrant l’absence de discrimination ».
La mise en oeuvre de cette procédure présente donc d’importantes difficultés.
Nous considérons en outre qu’elle n’est pas l’unique solution envisageable.
En effet, les procédures de résolution des conflits internes à l’entreprise devraient être privilégiées, sous peine d’instaurer une judiciarisation excessive.
Par ailleurs, la lutte contre les discriminations devrait commencer par une amélioration de la traçabilité et de la transparence des procédures de recrutement et par un enrichissement du bilan social au moyen d’indicateurs de l’évolution des carrières et des rémunérations. En effet, le fait d’annoncer le plus précisément possible les critères déterminants pour le recrutement peut limiter le risque de discrimination et l’arbitraire ressenti par les candidats.
Enfin, de nombreuses préconisations ont été formulées afin de lutter contre les discriminations, et certaines initiatives méritent d’être encouragées, notamment les actions volontaires des entreprises visant à lutter contre les discriminations. De nombreuses entreprises ont signé des accords collectifs afin d’accroître la diversité en leur sein et d’améliorer l’intégration de tous les salariés quelles que soient leurs spécificités. En outre, le label diversité, créé en 2008, rend compte du respect par l’entreprise d’un certain nombre de dispositifs témoignant de ses bonnes pratiques en matière de diversité. La notion de territoire d’excellence favorise la signature de conventions pour l’égalité professionnelle avec les régions. Ne devrait-on pas avant tout faire en sorte que ces bonnes pratiques se développent ? Le rapport remis en décembre 2013 par Mme Laurence Pécaut-Rivolier, intitulé « Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », évoque ainsi la nécessité de rationaliser mieux encore les dispositifs existants, tout en évitant deux écueils majeurs : le risque de faire peser des contraintes supplémentaires sur les entreprises et celui de faire naître une sorte de marché de la lutte contre les discriminations.
D’autres pistes d’amélioration des mécanismes existants pourraient être envisagées, telles que l’ouverture de la saisine du Défenseur des droits aux syndicats, l’anonymisation des preuves sur ordre du juge pour en faciliter l’accès, ou encore l’amélioration de la transmission des informations entre les différents acteurs. Il me semble que nous devrions en priorité explorer ces différentes voies afin de lutter contre les discriminations. Enfin, l’objectif de la proposition de loi consistant à lutter contre les discriminations contredit la récente abrogation de la loi de 2006 généralisant le CV anonyme dans les entreprises de plus de cinquante salariés. Si la lutte contre les discriminations est un objectif que nous ne cesserons de poursuivre, nous estimons que la solution proposée ici n’est pas la bonne. Le groupe UDI votera donc contre la proposition de loi.
Le 11/06/2015 à 09:53, laïc a dit :
"nous craignons en effet que les actions de groupe, en simplifiant la procédure, ne multiplient les contentieux, imposent aux entreprises des contraintes supplémentaires et introduisent une judiciarisation excessive."
Cela ouvrirait aussi la voie du lobbying religieux ou racial, ce qui est dangereux dans une société où les groupes de pressions sur des bases religieuses ou raciales sont interdits. Pour qu'il y ait action de groupe viable légalement, il faudrait que les discriminés pour la même raison se rencontrent et se concertent sans passer par un intermédiaire indépendant et spécialisé, qui serait alors l'agent du lobbying dénoncé.
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