Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 10 juin 2015 à 15h00
Action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à instaurer une action de groupe en matière de discriminations et de lutte contre les inégalités. Comme vous l’avez rappelé lors de la séance de questions au Gouvernement, monsieur le rapporteur, il s’agit de s’attaquer à un fléau qui mine notre pacte social. La proposition de loi permettra à toute personne victime d’une discrimination liée à son genre, son orientation sexuelle, son handicap ou son origine ethnique de se regrouper avec d’autres en vue de mettre en cause une personne morale ou physique. Si une condamnation est prononcée, toute personne estimant avoir subi un préjudice similaire aura six mois pour se faire connaître et demander en conséquence des dommages et intérêts.

Le texte prévoit un filtre, un peu rigide à mon sens, en imposant aux victimes de passer par l’intermédiaire d’associations enregistrées depuis au moins cinq ans ou par des organisations syndicales pour lancer l’action afin d’éviter les recours abusifs ou dilatoires, selon l’argument avancé en commission. Je rappelle ici qu’une proposition similaire avait été déposée le 25 juillet 2013 au Sénat par ma collègue Esther Benbassa au nom du groupe écologiste. Elle avait pour objet d’instaurer une procédure de mise en cause des entreprises et administrations pratiquant la discrimination systémique. La proposition du groupe écologiste au Sénat, plus libérale, a été retirée sous l’amicale pression du Gouvernement, inquiet d’un dispositif nécessitant une loi organique en raison du rôle central conféré au Défenseur des droits.

Surtout – je crois que c’est un point important – elle permettait aux victimes de se constituer en association pour déposer un recours collectif.

Chers collègues, la création, dans notre pays, d’un mécanisme de recours collectif en matière de lutte contre les discriminations est nécessaire. En effet, les nombreuses discriminations appellent de la part du législateur et des pouvoirs publics une action volontaire, ferme et déterminée permettant de mettre fin à la pratique discriminatoire, de réparer les préjudices subis par les victimes, et de sanctionner, si nécessaire, cette pratique.

C’est dans cette optique que les ministères du travail, de la justice, et des droits des femmes avaient chargé Mme Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la Cour de cassation, d’examiner les moyens permettant de mieux lutter contre les discriminations au travail. Comme cela a été rappelé par deux orateurs précédents, ce rapport, remis le 17 janvier 2014, reconnaît l’importance des discriminations au travail, évoque notamment un possible renforcement des pouvoirs des prud’hommes et préconise des actions collectives menées par les syndicats – qui n’auraient toutefois pas vocation à permettre l’obtention d’une indemnisation.

Le 19 mai 2015, après sept mois de travail, un groupe de dialogue, également interpartenaires, composé de représentants patronaux, syndicaux et associatifs et présidé par Jean-Christophe Sciberras, ex-patron de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, a publié, pour sa part, un rapport énonçant dix-huit propositions pour lutter contre les discriminations en entreprise. Parmi les pistes étudiées, le rapport soutient la création d’actions de groupe contre les employeurs fautifs en faveur de toute partie ayant intérêt à agir, une fois qu’a été constatée l’absence d’un processus de dialogue social sur ce thème. Le cas échéant, le rapport préconise l’action des associations et des organisations syndicales en cas de discriminations lors du recrutement et l’action des organisations syndicales en cas de discriminations dans la carrière et l’emploi. Ce rapport préconise également de mieux former les cadres sur ces questions, tout en rejetant, malheureusement, la piste du CV anonyme obligatoire.

Rappelons qu’aujourd’hui les dispositions en vigueur, en particulier celles de la loi du 27 mai 2008, protègent tout salarié, tout candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise contre les discriminations au travail. Les salariés témoins ou ayant relaté des agissements discriminatoires ne peuvent pas non plus être sanctionnés, licenciés ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire.

En somme, chers collègues, au-delà des divergences d’approche, ces rapports montrent que les moyens juridiques mobilisés depuis quelques années déjà pour réprimer les discriminations et encourager l’évolution des comportements sont très loin d’avoir atteint leurs objectifs. Nul ne conteste la difficulté de construire un outil normatif efficace, mais comme je l’ai souligné en commission des lois, il faut avancer, et le recours collectif – ou ce que le droit américain nomme les « class actions » – ne doit pas conduire à utiliser la grosse ficelle, que je viens d’entendre, consistant à qualifier une proposition d’ « américaine » pour la décrédibiliser ou dénoncer une dérive communautariste. La possibilité du recours collectif, je le rappelle, existe aux États-Unis depuis 1938. Des personnes s’estimant victimes d’un préjudice commercial, environnemental, social ou encore sanitaire peuvent déposer plainte de façon collective depuis déjà des décennies. Il faut dire que ce dispositif nord-américain a permis de sanctionner judiciairement des faits dont l’ampleur financière n’aurait pas, à défaut d’existence de cette procédure, justifié un recours, et a surtout facilité l’accès au droit dans des matières techniques où chaque victime, considérée séparément, n’avait pas les capacités d’intenter un recours.

L’initiative dont nous discutons est le fruit d’un grand travail, en particulier de celui qui a été entrepris par Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France – le CRAN –, que je tiens à saluer ici. Plusieurs arguments plaident en faveur de ces recours collectifs : d’abord, l’accès au droit des victimes, dans un domaine contentieux déjà très technique ; les faits exigent la présentation d’éléments concrets et nécessitent d’établir la preuve d’une discrimination. Trouver une association qui ait la capacité technique d’engager ce type de contentieux, parfois face aux plus grands cabinets d’avocats en défense, demeure difficile. D’ailleurs, le Défenseur des droits a souligné, dans son avis publié le 2 juin 2015 – je l’avais rappelé en commission – que les capacités techniques des associations à entreprendre et à superviser les enjeux stratégiques de contentieux de cette ampleur sont très lacunaires. Il existe également un argument économique : se lancer dans une procédure judiciaire coûte souvent cher.

Cette procédure renforcera donc la démocratisation de la justice et permettra de gérer des contentieux de masse sans encombrer les juridictions. De plus, de par la publicité qui y sera attachée et le risque financier qu’elle sera susceptible de représenter pour les auteurs de discriminations, l’existence d’une action de groupe pourra, à elle seule, dissuader – du moins, je l’espère – la poursuite de pratiques discriminatoires et inciter à davantage d’égalité.

Le groupe écologiste a déposé quelques amendements sur ce texte, notamment un amendement permettant à un groupe d’individus d’introduire collectivement une action de groupe, ce qui éviterait de limiter cette procédure aux associations existant depuis plus de cinq ans ou aux syndicats représentatifs. En effet, contrairement aux questions de consommation, qui sont suivies par plusieurs grandes associations, les discriminations peuvent être de nature très diverse – cela a été rappelé – et ne sont pas toutes couvertes par une association existant depuis plus de cinq ans. Ce filtre constitue donc un frein à certaines actions de groupe. Par ailleurs, les jugements s’effectuant en plusieurs phases, il n’est pas nécessaire d’instaurer une restriction pour dissuader des actions fantaisistes. Cet amendement n’a pas été retenu en commission des lois. Pourtant, le Défenseur des droits préconisait également, dans son avis, l’ouverture de ces recours collectifs aux nouveaux acteurs et aux nouvelles formes de mobilisation se réunissant pour les besoins de l’action. Cela est d’autant plus justifié que pendant longtemps, les organisations syndicales n’ont pas fait de la lutte contre les discriminations un objectif prioritaire dans les entreprises. Nous espérons que le projet de loi Justice du 21e siècle, en préparation à la Chancellerie, précisera également le poids respectif des associations et des syndicats dans la procédure.

Un autre amendement du groupe écologiste a pour objet d’autoriser le juge à ordonner toute mesure d’instruction, au-delà de la simple communication d’une pièce par le défendeur. Le rapporteur avait relevé en commission des lois la pertinence que pouvait revêtir cette disposition devant les tribunaux administratifs.

Enfin, un amendement visant à inclure deux garanties prévues par la loi sur la consommation et par l’article 45 du projet de loi de modernisation de notre système de santé a reçu l’avis favorable du rapporteur : l’une permettrait au requérant de s’appuyer sur un membre d’une profession judiciaire réglementée pour recueillir les demandes, l’autre conférerait au juge la possibilité d’attribuer une provision à la charge du défendeur pour les frais qui ne seraient pas couverts par les dépens.

Monsieur le rapporteur, nous apporterons, vous le savez, notre soutien à ce texte, que nous jugeons utile et nécessaire, car la proposition de loi que vous présentez va dans le sens de l’amélioration de l’État de droit. Ce texte a le mérite d’accélérer la justice et de fédérer les moyens des justiciables, d’autant plus que, selon une enquête du Défenseur des droits et du Bureau international du travail publiée en 2013, près de la moitié des victimes de discriminations n’engagent pas de poursuites dans le système actuel.

Chers collègues, la lutte contre les discriminations a toujours reçu l’appui des écologistes. De fait, nous avons soutenu la mise en place du récépissé des contrôles au faciès, comme l’a rappelé tout à l’heure notre collègue Le Roux, ainsi que le CV anonyme. Des engagements passés, malheureusement, il ne reste plus que votre texte. Nous sommes donc heureux de pouvoir apporter notre soutien au seul engagement qui pourra être tenu.

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