Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les discriminations systémiques sont aujourd’hui une réalité dont chacun doit prendre la mesure.
Plusieurs rapports publiés ces dernières années par les instances internationales en font état, à l’instar de celui du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe de février dernier.
Ce constat est également dressé en France dans plusieurs études récentes. Toutes insistent sur le contraste entre la multiplication des règles visant à lutter contre les discriminations et la persistance, voire l’accroissement d’inégalités de toutes sortes et de pratiques discriminatoires à grande échelle. En résumé, de l’aveu même du défenseur des droits, l’échec est patent en matière de lutte contre les discriminations. L’arsenal répressif s’avère largement inopérant, une difficulté majeure résidant dans son caractère lourd, incertain, voire risqué.
Les personnes concernées ont en effet souvent du mal à considérer ce qui leur arrive comme de la discrimination et hésitent à s’engager dans des démarches lourdes, longues, coûteuses et incertaines. Comme le résume parfaitement le Défenseur des droits : « […] la recherche de l’efficacité juridique et l’exigence de défense des droits requièrent de franchir une étape pour dépasser l’isolement des victimes au bénéfice d’un dispositif de recours collectif débouchant sur des sanctions financières dissuasives. »
À vrai dire, l’opportunité d’introduire la notion d’action de groupe dans notre droit fait débat depuis plus de trente ans. Cette procédure a finalement été introduite dans les domaines de la consommation et de la concurrence par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation et sera bientôt étendue aux produits de santé. Suivant la même logique, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui à l’initiative du groupe socialiste l’étend à la lutte contre les discriminations.
Elle prévoit ainsi qu’un syndicat représentatif ou une association de lutte contre les discriminations pourra agir devant le tribunal de grande instance ou le tribunal administratif pour obtenir une indemnisation des préjudices individuels subis par des personnes placées dans une situation similaire.
Le texte vise non pas les prises de position individuelles, dont chacun répond déjà devant la justice, mais les discriminations systémiques, qu’elles aient lieu dans les relations de travail, dans les rapports locatifs ou encore dans la vie courante.
Concrètement, les locataires refoulés par le même bailleur pourront par exemple se joindre à une même action de groupe, qu’ils aient été abusivement écartés en raison de leur origine ou sur le fondement de leur orientation sexuelle. De même, toutes les femmes d’une entreprise qui ont vu leur carrière stagner au moment de leur maternité ou tous les salariés handicapés qui perçoivent des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues valides à poste égal pourront agir dans le cadre d’une action de groupe. L’action en justice pour discrimination intentée par 832 cheminots de nationalité ou d’origine marocaine qui affirment avoir été bloqués dans leur carrière par la SNCF aurait ainsi pu faire l’objet d’une action de groupe.
Que les pratiques discriminatoires émanent de personnes morales ou d’individus, de professionnels ou de particuliers, toutes les personnes physiques et morales coupables de discrimination sont susceptibles de faire l’objet d’actions de groupe afin que le préjudice subi par les victimes donne lieu à réparation.
À cet égard, nous nous félicitons de la modification intervenue en commission sur la détermination des juridictions compétentes, qui permet de viser également les personnes morales de droit public. De même, nous approuvons l’introduction de la procédure d’action de groupe simplifiée, ce qui ne peut qu’accélérer l’indemnisation des victimes.
En d’autres termes, cette proposition de loi réalise à nos yeux une avancée majeure, en ce qu’elle permet de passer d’une approche individuelle de la réparation à une approche collective en faveur de l’ensemble des victimes se trouvant dans une situation similaire. C’est une avancée majeure, car cette nouvelle voie contentieuse favorisera l’accès au droit et renforcera l’efficacité de la justice. Par son effet de masse et l’impact de la publicité d’une condamnation, elle aura aussi – nous le souhaitons – un effet dissuasif et préventif.
Bien entendu, l’action contre les discriminations ne peut se résumer à un volet répressif et juridique. Face à un phénomène qui touche au fondement même de notre pacte républicain, la volonté des pouvoirs publics doit être sans faille et s’accompagner de mesures concrètes et effectives, telles que l’amélioration de la formation des différents acteurs et l’information du public dès le plus jeune âge.
Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche voteront résolument pour cette proposition de loi, qui constitue un outil indispensable à la lutte contre les discriminations.