Intervention de éric Trappier

Réunion du 2 juin 2015 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

éric Trappier, président du comité défense du Conseil des industries de défense, CIDEF, président-directeur général de Dassault Aviation :

Je m'exprimerai, dans mon propos liminaire, comme président du comité défense du CIDEF.

Lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire de 2013, conduite en partenariat entre le ministère de la Défense et l'industrie, celle-ci avait consenti beaucoup d'efforts pour entrer dans le costume un peu étroit de ce qu'il était convenu d'appeler « le 31,4 » – le budget de la défense devant être « sanctuarisé » à hauteur de 31,4 milliards d'euros par an. Une clause de revoyure était prévue à la fin de l'année 2015 pour faire le point, notamment sur deux hypothèses importantes : les recettes exceptionnelles (REX) portées par des sociétés de projet et la réussite de contrats de vente à l'export, en particulier du Rafale.

L'industrie salue la remontée de l'effort budgétaire : le remplacement des sociétés de projet et des recettes exceptionnelles par des crédits budgétaires va supprimer l'incertitude quant à la soutenabilité de l'effort financier. Quant à l'augmentation de la dotation au maintien en condition opérationnelle et à l'annonce de commandes supplémentaires, elles devraient redonner un peu de souplesse aux armées, dont certains parcs de matériels sont très éprouvés par les engagements en opérations extérieures (OPEX).

Nous souhaitons, nous, industriels, que cet effort soit poursuivi. Ainsi que l'a recommandé l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) lors du sommet de Newport en 2014, un bon budget de la défense pour un pays comme la France doit représenter 2 % du produit intérieur brut (PIB), niveau indispensable pour assurer la pérennité de notre modèle. Or, avec 1,47 % du PIB, nous en sommes loin.

À l'issue de l'actuelle LPM, nous entrerons dans une période charnière qu'il conviendra de mettre à profit pour réfléchir aux grands enjeux : renouvellement de la force de dissuasion et de la composante télécom spatiale, lancement des programmes de drones de combat et de surveillance, lancement de programmes dans le secteur naval… Or toutes ces décisions qui doivent contribuer au maintien du potentiel des armées ne peuvent pas s'accommoder d'un budget de 31,4 milliards d'euros. Il importera de veiller à la sanctuarisation du budget annoncée par le chef de l'État.

Nous saluons, dans l'actualisation de la LPM, l'augmentation de 3,8 milliards d'euros pour financer, notamment, l'opération Sentinelle ; le milliard d'euros en faveur des équipements ; la moindre prise en charge des surcoûts des OPEX par le budget général ; la diminution des enveloppes en fonction de l'inflation des prix, qui reste très inférieure à celle du coût des facteurs de production.

Nous estimons que le niveau juste suffisant de la LPM, conçue avant le déclenchement des opérations en cours, n'autorise aucune encoche. La situation budgétaire du ministère de la Défense, avec plus de trois milliards d'euros de report de charges fin 2014, ne permet plus de financement à crédit de l'outil de défense. Toute diminution budgétaire aura maintenant des conséquences en matière d'effectifs dans le secteur industriel.

Le programme 146 ne doit plus être ponctionné pour compenser les sous-dotations constatées en matière de fonctionnement. C'est, en effet, le programme qui concerne les développements futurs.

Nous réaffirmons l'impérieuse nécessité du maintien de l'effort en matière de recherche et technologie (R&T), si l'on veut financer les programmes au-delà de 2019. La sanctuarisation du programme 144 est donc plus que jamais nécessaire. Les discussions en cours sur la création d'un éventuel dispositif de financement de la recherche de défense au niveau européen ne doivent pas faire oublier que nous sommes quasiment seuls en Europe à assumer un effort important en matière de défense. La remontée de l'effort budgétaire observée depuis 2014 chez certains de nos partenaires européens ne doit pas masquer le recul régulier des budgets d'investissement depuis près de dix ans. Il leur faudra des années avant de revenir à un niveau acceptable. Les sommes versées au fonds de la Commission européenne ne doivent pas être compensées par une baisse en France, sous peine d'avoir des soucis en matière de R&T.

Pour nous, industriels, les exportations sont fondamentales pour compenser la baisse du budget de la défense, et donc la baisse de la quantité des matériels à livrer aux armées françaises. Nous avons obtenu de très bons résultats en 2013 et 2014, et 2015 devrait être une bonne année grâce à la vente de Rafale et de frégates multi-missions (FREMM). Ces succès viennent de ce que nos équipements sont éprouvés – leur qualité a été démontrée au combat par les forces armées de la France ; ils sont également dus aux besoins réels des pays acheteurs qui doivent renforcer leur défense et leur sécurité, à la volonté de certains États de se tourner vers la France pour des raisons politiques, et également à une bonne coordination entre l'État et l'industrie. On peut penser que les réussites récentes doivent beaucoup à cette conjonction de facteurs, assez rare. Nous appelons à la poursuite des efforts en matière de soutien à l'exportation, vitale pour l'industrie française.

Il ne faut toutefois pas croire que ces succès vont constituer une rente pour les industriels – finalement, il ne s'agit que de rediriger des matériels prévus pour la France vers l'exportation. En revanche, ils vont permettre d'atténuer les effets des baisses de cibles d'acquisitions nationales et d'étaler les commandes passées alors que les outils industriels étaient en mode de production minimale. Il était ainsi impossible de produire moins d'un Rafale par mois. Les bons résultats à l'export permettent, en outre, de maintenir des chaînes de production, des équipes ou encore des filières, qui comptent de nombreux sous-traitants. Ils vont, enfin, augmenter le solde commercial de la filière tout en soulageant l'effort fourni à court terme par la Nation.

Le bénéfice de ce contexte pour les armées réside avant tout dans le maintien sur le territoire national d'une industrie dévouée, apte à comprendre leurs besoins et à fournir sans risque d'interdiction de vente et d'emploi des équipements nécessaires à leurs missions.

En conclusion, l'industrie souhaite rappeler l'importance d'un effort budgétaire continu en faveur de la défense, qui devrait être rétabli à 2 % du PIB. Il convient, d'ailleurs, de plaider au niveau européen pour que nos partenaires prennent également ce chiffre comme référence. L'utilisation des matériels français sur les théâtres d'opération constitue une vitrine utile à la réussite de l'exportation. Ainsi, outil militaire et outil industriel fonctionnent-ils en un écosystème.

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