Intervention de éric Trappier

Réunion du 2 juin 2015 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

éric Trappier, président du comité défense du Conseil des industries de défense, CIDEF, président-directeur général de Dassault Aviation :

La question des normes ITAR est très sensible et continue de défrayer la chronique dans le domaine des satellites. Les Américains utilisent, en effet, ces règles pour limiter certaines exportations vers des pays pourtant amis, pour des raisons souvent plus politiques que juridiques. Tout dépend, en fait, du degré de sensibilité des produits exportés. Le Rafale, comme tous les matériels militaires français, comprend des composants ITAR, mais dans une proportion assez faible, au point que nous pourrions presque le livrer en nous en passant. Il ne serait donc pas de l'intérêt de l'industrie américaine de se priver de ce genre d'exportations dès lors qu'elles sont réalisées vers un pays qui n'est pas l'ennemi des États-Unis. Nous aurions sans doute plus de difficultés si nous voulions exporter des Rafale vers la Russie…

Il s'agit de contrats commerciaux bien organisés qui s'inscrivent dans le cadre de partenariats intergouvernementaux stratégiques qui définissent des règles liant les États concernés. C'est pourquoi ceux-ci sont fortement impliqués et pourquoi des assurances sont données – il s'agit tout de même de matériels de guerre, qui coûtent cher et d'engagements à long terme puisqu'il faut assurer ensuite l'approvisionnement de pièces de rechange.

J'en viens à la question de l'après-Rafale. Pour tout vous dire, je trouve que nos armées et l'ensemble de la profession de défense sont exclusivement mobilisés sur leurs tableurs Excel – c'est la LPM ! Je vois peu de penseurs préparer le futur, non que les militaires n'aient pas envie de s'y consacrer, mais leur préoccupation du jour est telle qu'elle en devient pour eux inhibante. C'est inquiétant. La DGA, elle, pense en termes de technologie mais, quand on prépare l'avenir à vingt ans, on a besoin de confronter les savoir-faire technologiques, et il faudra bien discuter avec les états-majors pour savoir ce que sera la guerre de demain – quand bien même personne ne la souhaite, il faut s'y préparer. Nous accusons, par exemple, du retard dans le domaine des drones dont la technologie a davantage été mise en valeur par nos amis américains et israéliens qui en ont très rapidement compris l'utilité. Il nous faut donc rattraper notre retard en matière de drones de combat – c'est l'objet du démonstrateur nEUROn, mais il ne s'agit que d'un démonstrateur. Nous constatons une première prise de conscience de ce que les technologies de demain peuvent apporter en matière de guerre aérienne : nous allons devoir intégrer des systèmes de plus en plus complexes.

La boucle entre état-major des armées, état-major de telle ou telle arme, DGA et industriels est un peu longue et la circulation lente, car on ne veut pas donner à ces derniers l'idée de lancer des programmes alors qu'il n'y a pas d'argent. Seulement, à suivre cette logique, on finit par ne plus rien lancer. Nous le faisons tout de même par d'autres moyens, notamment grâce à l'export et à la coopération. Il faudrait retrouver des méthodes de coopération pragmatique sur des besoins communs, qui permettraient, pourvu que les états-majors se soient consultés et aient élaboré des fiches-programmes ou des fiches de besoins opérationnels communs, de lancer des programmes européens. Ainsi, pour ce qui est des drones de combat, sommes-nous en train de développer le programme franco-britannique FCAS-DP, avec nos amis de BAE Systems, Rolls-Royce, Safran, Thales et Selex UK. Nous nous rapprochons, par ailleurs, des Allemands et des Italiens pour ce qui est des drones de surveillance afin de préparer, pour les années 2020, non pas un Reaper bis mais l'après-Reaper.

De la même manière, le programme PATMAR 2030 ne vise pas forcément à remplacer l'ATL2 mais à concevoir la patrouille maritime de demain, la mission de surveillance pouvant d'ailleurs très certainement être accomplie par des drones qui tourneraient 24 heures sur 24, des avions d'armes pouvant intervenir très rapidement pour traiter les menaces sous-marines ou de surface. Un important travail de préparation reste donc à effectuer en même temps que les mentalités doivent changer, de façon à être capable de répondre à des questions comme celle de savoir, par exemple, si les avions de combat de demain devront aller dans l'espace.

C'est bien le programme 144, « Environnement et prospective de la politique de défense », qui doit y contribuer. Plus encore, c'est aussi une affaire de mobilisation des industriels, de la DGA et des états-majors – ces derniers devant s'intéresser au futur, quitte à détacher des personnels à cette fin. C'est fondamental si la France veut rester au bon niveau de développement des technologies et des produits. Tâchons d'agir en ce sens au plan européen, à condition, de grâce ! que cette Europe se montre pragmatique, contrairement à ce qu'elle fait aujourd'hui en annonçant des choses qu'elle ne fait pas – tout au moins en matière de défense. Que les États qui souhaitent coopérer élaborent une fiche programme commune, nous trouverons toujours les moyens, ensuite, nous industriels, de coopérer – même Dassault et Airbus le peuvent, c'est vous dire !

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