Intervention de Tancrède Voituriez

Réunion du 27 mai 2015 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Tancrède Voituriez, directeur de programme Gouvernance de l'IDDRI :

Mesdames et messieurs les députés, je commencerai par trois généralités concernant les négociations sur le financement du climat.

Premièrement, il existe un certain décalage entre les négociations qui portent sur le financement, et celles qui portent sur les contributions en tant que telles. L'accord de Paris, contrairement à ce qui se passait avant celui de Copenhague, comportera des contributions nationales, établies pour l'instant sans référence ou avec une référence très limitée au principe de responsabilité commune et différenciée. La grande modernité de l'accord de Paris sera sans doute que ce principe se trouvera quelque peu estompé. Tous les pays, de manière bottom-up, participeront au pot commun en annonçant leurs contributions pour l'atténuation ou l'adaptation. Mais ce n'est pas le cas en matière de finance, où la responsabilité commune et différenciée reste très présente.

Deuxièmement, l'attente suscitée par les INDC (Intended Nationally Determined Contributions), ces contributions nationales, a quelque peu éclipsé les discussions sur le financement. Les discussions sur le financement sont moins matures que les discussions sur les contributions.

Troisièmement, la chronologie est particulière. On va commencer la séquence par une négociation sur les financements du développement durable, qui abordera les questions de financement du climat sans que l'on connaisse ni les objectifs du développement durable dont la liste sera finalisée en septembre, ni l'ensemble des contributions nationales.

En matière de financement du climat et de négociation sur le financement du climat, plus particulièrement, je distingue principalement trois grands sujets, qui sont liés entre eux : d'abord, la réorientation et la réallocation des flux financiers, publics et privés – on parle en anglais du shifting trillions ; ensuite, le Fonds vert pour le climat ; enfin, la place du financement dans l'architecture de l'accord de Paris.

Commençons par la mobilisation et la réallocation des flux financiers, qui atteignent en effet des milliers de milliards. Les discussions commencent par l'estimation des besoins. En gros, ne serait-ce que pour financer des infrastructures bas carbone, il nous faudrait 100 000 milliards d'ici 2030, c'est-à-dire sur quinze ans. Le PIB mondial étant de 100 000 milliards par an, 15 % du PIB mondial annuel devraient donc prendre la forme d'investissements dans des activités bas carbone.

Finalement, ce n'est pas beaucoup, dans la mesure où l'investissement dans le PIB mondial est d'un peu plus de 20 %. Donc, contrairement aux idées reçues, il ne faut pas beaucoup plus d'argent, mais il faut qu'une partie des investissements qui s'élèvent à quelque 20 000 milliards par an dans le monde soient réalloués à hauteur des trois quarts vers des activités bas carbone. Et pour que ces investissements soient alloués vers les bons endroits, il faut des cadres juridiques nationaux incitatifs. L'argent n'étant pas très cher en ce moment, il n'est pas difficile de mobiliser des fonds, la question qui se pose est de les orienter vers les bons secteurs.

C'est là que les difficultés surgissent : pour allouer ces investissements dans les bons secteurs, il faut des signaux et des cadres de réglementation et de régulation. Or ceux-ci ne sont pas homogènes à travers le monde. Et on investit toujours beaucoup d'argent dans des activités très intensives en carbone.

La CCNUCC, la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique – en anglais l'UNFCCC, United Nations Framework Convention on Climate Change – ainsi que la Banque mondiale et un think tank qu'on appelle le Climate Policy Initiative (CPI), ont estimé le niveau des investissements climat – ou finance climat. Le problème est que ces estimations sont très disparates. Ainsi, l'UNFCCC annonce jusqu'à 600 milliards par an, mais la CPI et la Banque mondiale en annoncent plutôt la moitié : 300 milliards par an. Pour vous donner un ordre de grandeur, l'aide publique au développement, 150 milliards, en représente encore la moitié. Le financement climat se situe donc entre 300 et 600 milliards par an. Or, en 2014, selon la Banque mondiale, les investissements dans les énergies fossiles atteignaient encore 1 000 milliards. Quoi qu'il en soit, il y a beaucoup d'argent à gagner à moindre coût. Ce n'est pas davantage de dettes, c'est simplement de l'argent qui est mieux utilisé.

Le financement climat représente 300 ou 600 milliards selon le périmètre, lequel n'est pas clairement établi. Cela suscite beaucoup de discussions techniques et donc de discussions politiques : que mettre dans le périmètre du financement climat ? Faut-il y mettre les tarifs d'achat d'électricité renouvelable par exemple ? Si oui, à quelle hauteur et avec quelles références de prix ? C'est très compliqué.

Dans ces 300 ou 600 milliards par an, 60 % sont de l'investissement privé, et 40 % de l'investissement public ou des dépenses publiques. Dans ces 40 %, la grande majorité prend la forme de financement concessionnel, c'est-à-dire en dessous du taux d'intérêt du marché – ce peut être au seuil de l'aide publique au développement (APD) ou entre le seuil de l'APD et le taux de marché. L'essentiel du financement climat public international ressemble ainsi à de l'aide publique au développement. Cela pose problème : comment comptabiliser l'APD non climatique et l'APD climatique ? D'où une nouvelle querelle, évidemment très politique, sur la méthode.

Il y a trois manières de faire, qui ne sont pas convergentes :

D'abord, l'approche de l'OCDE et du Comité d'aide pour le développement (CAD), qui a été élaborée à partir des marqueurs de Rio. Ces marqueurs sont très qualitatifs. Imaginons que je travaille à l'AFD (Agence française de développement) et que mon projet ait pour ambition d'atténuer ou de produire des résultats en matière d'adaptation. Je cocherai une case différente selon que je considère que ce projet est significativement ou principalement tourné vers tel ou tel objectif. Évidemment, cela provoque des controverses.

Ensuite, la France, par le biais de l'AFD et du Club International des Finances du développement IDFC (International Development Finance Club), propose une méthodologie alternative, plus objective. Celle-ci ne vise pas à apprécier l'impact climatique d'un projet, mais à montrer, à partir des émissions évitées, l'impact réel de ce projet.

Enfin, une troisième méthode, plus mystérieuse, sur laquelle on fait des études, a été développée par la Banque mondiale. Sur cette base, jusqu'à 80 % des projets de la Banque mondiale sont « amis du climat », alors qu'avec d'autres mesures comme les marqueurs de Rio, le pourcentage tombe à 20 ou 30 %. Cela pose quelque problème.

Toutes ces discussions techniques mettent en évidence qu'il est impossible de dissocier les discussions sur le financement du développement des discussions sur le financement du climat. De nombreux projets de financement de développement ont des effets sur le climat, et beaucoup de projets d'atténuation ont des effets sur le développement. Ainsi, aujourd'hui, l'Agence française de développement, avec sa méthodologie, annonce que 50 % de ses projets sont compatibles avec des objectifs climatiques.

Je tiens à préciser que dans cette masse de 300 ou 600 milliards, l'essentiel, soit 90 %, sont des investissements d'atténuation ; l'adaptation représente moins de 10 %. Or l'adaptation devient un sujet et un motif de revendication croissant de la part des pays en développement. Ceux-ci se doutent qu'on ne va pas atteindre l'objectif de limiter le réchauffement climatique à deux degrés, que ce réchauffement atteindra plutôt trois ou quatre degrés, et que les impacts de ce réchauffement sur le climat seront très importants. Plutôt que de se focaliser sur la négociation de contributions qui seront sans effet, ils préfèrent négocier tout de suite une masse d'argent dédiée à l'adaptation. Les montants et les estimations des montants dédiés à l'adaptation vont donc aller croissant. Or le point de départ est très bas. Cela risque d'entraîner des difficultés pour les bailleurs internationaux, notamment la France.

J'en viens à mon deuxième grand sujet : le Fonds vert pour le climat, qui est une initiative symbolique et politique.

On ne sait pas à quoi ce fonds va servir. Il n'a pas d'objectifs très spécifiques, hormis l'atténuation et l'adaptation. Le concernant, on a commencé à discuter d'argent, bien davantage que d'objectifs.

Les critères de mobilisation de ce fonds ne sont pas clairs non plus. Y aura-t-il un droit de tirage pour les pays en développement et les banques nationales de développement, sur la base du principe de responsabilité commune et différenciée ? S'agira-t-il d'un fonds du type « fonds pour l'environnement mondial », hébergé par une institution multilatérale ? Les pays en développement n'en veulent pas.

Enfin, on n'arrive pas à mobiliser les fonds privés. Les privés ne veulent pas financer dans le climat à hauteur de ce que l'on attend d'eux. Il ne pourra s'agir que de financements conjoints, ce que l'on appelle de la finance mixte, de la blended finance.

Dernier grand sujet : la place du financement dans l'architecture de l'accord.

Il y a trois pistes ou trois options, qui toutes procèdent de la distinction entre la mobilisation des fonds et la fourniture des fonds. Il pourrait y avoir des objectifs globaux de mobilisation des fonds ; des objectifs de fourniture des fonds établis sur la base du principe de responsabilité commune et différenciée, avec un calendrier et des cycles d'engagement sur cette fourniture de fonds ; enfin, des principes pour guider la mise en oeuvre et la dépense du Fonds vert, qui restent encore à établir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion