Intervention de Benoît Leguet

Réunion du 27 mai 2015 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Benoît Leguet, directeur de la recherche à CDC Climat :

Mesdames et messieurs, je vais continuer à peindre sur la toile qu'ont commencé à brosser M. Michon et M. Voituriez, en vous parlant des flux réels et des besoins de financement – au niveau mondial et en France.

D'où viennent les chiffres cités par M. Voituriez ? Quand on parle de finance climat, on parle d'investissements dans du dur, dans du matériel, dans de l'infrastructure tangible, donc de projets d'investissement. On se consacre essentiellement à l'étude des flux que je qualifierais de « durs » en excluant généralement ceux que je qualifierais de « mous », qui sont liés à la recherche et développement, à la formation, à l'information, à l'éducation, etc. Ce n'est pas que ces derniers aient une importance négligeable dans la lutte contre le changement climatique. Mais on regarde essentiellement là où l'on a des chiffes. Et il se trouve que l'on a plutôt des chiffres sur du dur, sur de l'infrastructure, sur des projets d'investissement.

On regarde surtout les projets qui participent à la lutte contre le changement climatique – atténuation et adaptation. Cela dit, comme l'a rappelé M. Voituriez, la plupart des projets concernent plutôt le secteur de l'atténuation, et donc de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

On ne traite donc qu'une partie des flux financiers. En général, tout ce qui est mou est oublié. Les projets non capitalistiques ne sont pas non plus pris en compte, ou ils sont peu ou mal traités. Il convient donc de toujours avoir à l'esprit que l'on ne parle que d'une partie de la question, la plus documentée.

Pourquoi les estimations divergent-elles ? Pour un certain nombre de raisons, qui sont essentiellement des problèmes de périmètre. On ne parle pas toujours de la même couverture sectorielle ; on regarde parfois l'énergie, parfois l'ensemble de l'économie, etc. Il est difficile de savoir ce qui relève, ou ne relève pas, du climat. Est-ce qu'une centrale à gaz est un projet climat, ou pas ? On pourrait trouver autant de réponses que de personnes dans la salle. On ne parle pas toujours de la même couverture spatiale, voire du même horizon temporel. Or plus l'horizon temporel s'accroît, plus les besoins augmentent. Cela peut alors accroître l'addition lorsque l'on raisonne en flux annualisés.

Cela dépend également de la part du climat estimée dans un investissement donné. Est-ce que l'on raisonne en marginal ou en absolu ? Par exemple, j'investis aujourd'hui dans l'éolien. C'est un investissement vert. Mais est-ce que je considère mon investissement total comme un investissement climat ? Dois-je prendre seulement en compte le surcoût éventuel entre l'éolien et une solution de référence, par exemple celle qui aurait été adoptée en l'absence de toute incitation ?

Voilà pourquoi nous trouvons autant de divergences dans les chiffres qui nous sont donnés. Néanmoins, des sources existent : le Comité permanent sur les finances de la CCNUCC (en anglais, le Standing Comittee of Finance de l'UNFCCC), a publié en 2014 une étude, qui devrait être renouvelée tous les deux ans, et qui a le mérite de faire consensus ; d'autres organismes publient des chiffres, comme la CPI ou la New Climate Economy, dont a parlé M. Voituriez tout à l'heure.

Dans l'étude de l'UNFCCC, je retiendrai trois chiffres, ou plutôt trois fourchettes. Certes, il n'est pas toujours facile de savoir quelles sont les années qui ont été prises en compte. Pour autant, au début des années 2010, le total de la finance climat au niveau mondial se situait entre 340 et 650 milliards de dollars par an. C'est une fourchette très large – mais vous devez garder en tête les raisons qui font que ces chiffres paraissaient parfois diverger. Le total des financements climat Nord Sud variait entre 40 et 175 milliards de dollars par an, et la part de ceux transitant par des institutions publiques entre 35 et 50 milliards de dollars par an.

Comment relier cela au débat sur la mobilisation de 100 milliards de dollars par an, pour laquelle les attentes, en vue de la Conférence de Paris, des pays du Sud sont très fortes ? Le montant se situe entre les deux derniers montants que j'ai donnés : l'ensemble des financements qui partent du Nord pour aller au Sud, et la part publique de ces financements. Je précise que personne n'imagine aujourd'hui que l'ensemble de ces financements viendra du public ; il y aura donc une part de public et une part de privé. Je précise également que je n'ai pas comptabilisé le Fonds vert. La raison est très simple : d'après les chiffres du Comité permanent sur le financement, le Fonds vert n'est pas encore opérationnel.

Pour gagner du temps, je ne parlerai pas des énergies fossiles ni des subventions aux énergies fossiles. On pourra y revenir au cours de la séance de questions, si vous le souhaitez.

Vous remarquerez que j'ai avant tout parlé des flux réels – et non de flux qui sont des objectifs, du type des 100 milliards de dollars par an. J'en viens maintenant à l'autre côté du problème, à savoir les besoins.

En ce domaine également, les estimations varient beaucoup. Je vous conseille de garder en tête 1 000 milliards de dollars – ou un trillion – par an. C'est un ordre de grandeur assez pratique, même si ce n'est qu'un ordre de grandeur (et que les chiffres peuvent varier de 1 à 9).

Pour être plus précis, un rapport de la New Climate Economy mentionne le chiffre de 90 000 milliards de dollars d'investissements totaux dans le monde d'ici à 2030. Que ces investissements soient verts ou qu'ils ne le soient pas, ces chiffres restent à peu près les mêmes : 89 000 milliards de dollars dans un cas, et 93 000 milliards de dollars dans l'autre. Soit, dans les deux cas, 4 000 milliards de dollars par an, et donc dans l'ordre de grandeur du millier de milliards par an.

Certaines estimations, je vous le signale, prennent en compte les investissements qui devront être faits en tout état de cause dans les énergies fossiles. Quand on fait du vert, on doit toujours avoir une petite partie d'énergies fossiles résiduelle. Même en faisant du renouvelable, on peut désirer avoir du gaz en soutien sur le renouvelable. Cela fait partie de l'équation.

Une grande partie de ces investissements devront être faits quoi qu'il arrive. Faire du bas carbone ou faire du haut en carbone, ce n'est pas si différent que cela en termes de chiffres globaux de financement. On devra de toute façon réinvestir dans des moyens de production énergétique, ne serait-ce que pour répondre aux besoins de développement, et pour remettre en service des installations qui arriveraient en fin de vie.

Il faut par ailleurs prendre en compte l'existence d'un effet d'éviction. Si on investit dans l'efficacité énergétique, on a moins besoin d'investir dans des moyens de production. C'est peut-être aussi cela qui permettra de réduire la facture.

Quand on entend parler de milliers de milliards de dollars, on se dit que c'est beaucoup d'argent. Mais finalement, au niveau mondial, faire « vert », cela représente moins de 5 % de la formation brute de capital fixe. C'est donc faisable. Et ce qui est vrai au niveau mondial est vrai au niveau français.

Nous avons une étude équivalente au niveau français, à savoir un panorama des financements climatiques sur des données 2011 – les dernières données disponibles. On travaille aujourd'hui à une mise à jour sur les données 2013 et sur les données 2014. Le panorama de la finance climatique en France 2013-2014 devrait répondre à ce qui figure aujourd'hui dans l'article 48 bis du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. C'est en tout cas l'ambition qu'on s'est fixée.

En France, on retrouve à peu près les mêmes caractéristiques qu'au niveau mondial. Les flux financiers actuels représentent à peu près 20 à 25 milliards d'euros par an qui se répartissent ainsi : 40 % sur les énergies renouvelables, 40 % sur l'efficacité énergétique et 20 % sur les transports.

Les besoins, sur lesquels se sont penchés un certain nombre d'organismes comme la Cour des Comptes, ainsi que le débat national sur la transition énergétique, sont estimés entre 40 et 60 milliards d'euros par an. Je précise que les périmètres ne sont pas forcément les mêmes. Mais en tout état de cause, il manque entre 20 et 25 milliards d'euros par an à peu près.

On peut se dire qu'il faudrait doubler notre effort, et que c'est impossible. On peut aussi se dire qu'en France, la formation brute de capital fixe est de 400 milliards d'euros par an et que l'enjeu principal, c'est donc de déplacer 5 % de la formation brute de capital fixe pour y arriver. Mais faire basculer les investissements implique de donner les incitations adéquates.

Notre étude ne dit pas qu'il suffirait de trouver ces 20-25 milliards. Elle ne s'intéresse pas non plus à l'efficacité de l'utilisation de ces fonds. Mais dans tous les cas, ce qu'il faut retenir, c'est que c'est faisable.

En conclusion : gardez en tête les 100 milliards de dollars et les 1 000 milliards de dollars par an. Certes, il reste des progrès considérables à faire sur le suivi des financements climat. Néanmoins, les ordres de grandeur sont déjà là. Tous les chiffres que l'on vous a donnés sont à peu près cohérents, et cela suffit pour travailler.

Enfin, et c'est le troisième message-clé : cette transition est gérable. Il s'agit avant tout de rediriger des flux financiers, et pas tellement de trouver de l'argent supplémentaire. Pour y parvenir, il convient d'envoyer les bons signaux économiques. On pourrait, par exemple, mettre un prix sur le carbone afin de rediriger une partie des investissements du haut carbone vers le bas carbone. Mais si c'est nécessaire, ce n'est certainement pas suffisant.

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