Intervention de Stanislas Dupré

Réunion du 27 mai 2015 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Stanislas Dupré, directeur du think tank 2° C II :

Je vais vous parler de la mobilisation et de la réallocation du capital, ainsi que du secteur financier. Celui-ci se trouve en amont de la chaîne. De fait, les investisseurs institutionnels, les banques et leurs régulateurs ont une influence assez importante sur la façon dont les capitaux sont alloués.

Je me focaliserai sur la question du reporting, ou de l'information communiquée par les investisseurs, à la fois aux régulateurs et à leurs clients. Notre mission est de voir comment les objectifs climatiques peuvent être intégrés dans le fonctionnement du secteur financier. Nous avons été créés pour cela.

On appelle cela le « concept d'investissement 2° » - un investissement cohérent avec l'objectif de réduction du réchauffement climatique à 2 degrés. On a un budget carbone disponible sur le siècle au niveau international. Ce budget est traduit en scénarios climatiques impliquant des changements économiques : pour schématiser, plus d'activités vertes et moins d'activités grises. De façon plus technique, des organisations, comme l'Agence internationale de l'énergie, transcrivent ce concept dans des scénarios technologiques conduisant à développer davantage d'énergies renouvelables, la capture du carbone, différentes technologies…

La recherche et développement (R&D) a une place importante dans ces scénarios technologiques, alors qu'elle est assez peu présente dans les chiffres qui sont en général communiqués. On considère globalement que celle-ci ne représente que quelques pour cent des investissements mobilisés. En revanche, le décalage entre ce qu'il faudrait faire et ce qui est fait est beaucoup plus important en matière de R&D qu'en matière d'investissements en infrastructures – l'ordre étant de 1 à 10. Si on regarde les scénarios dans le détail, on s'aperçoit que la majorité des réductions d'émissions qui doivent avoir lieu sur le siècle sont liées à des technologies qui n'existent pas encore, et pour lesquelles il faudrait faire dès maintenant des investissements en R&D. Je vous invite à garder en permanence ces éléments en tête, car aujourd'hui ils sont totalement absents du débat public sur les questions de mobilisation des investissements.

Ces scénarios technologiques sont traduits en besoins d'investissements, par l'Agence internationale de l'énergie, mais aussi en besoin de financements, et là, on dispose de beaucoup moins d'informations. Or la façon dont le secteur financier va investir – en actions, en obligations, en création de crédits – pour financer ces nouveaux investissements se retrouve, en fin de compte, dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels en réallocation de leurs actifs.

Cela va dans deux directions : dans l'une, les objectifs climatiques fixés par les pouvoirs publics ont un impact sur le rendement et les risques des actifs détenus par les investisseurs ; dans l'autre, la façon dont les investisseurs institutionnels allouent leur portefeuille d'actifs a un impact sur la disponibilité et le coût du capital, sur les flux d'investissement et, in fine, sur la réussite des objectifs climatiques. C'est cette dynamique que l'on appelle « l'investissement deux degrés ».

Chez 2° C II, nous avons trois objectifs : essayer de définir des indicateurs pour mesurer comment ce double système fonctionne ; comprendre le fonctionnement des processus d'investissement au sein du secteur financier pour voir comment ceux-ci peuvent intégrer des objectifs climatiques ; enfin, travailler avec le régulateur pour voir comment la réglementation financière peut favoriser cette transition au sein du secteur financier.

Nos membres sont à la fois des pouvoirs publics comme le gouvernement français, des institutions financières, à la fois publiques et privées, des associations environnementales, des universités. Globalement, notre travail consiste à mettre en relation, sur des aspects très techniques, des organisations financières – qui peuvent être des investisseurs, des banques, des agences de notation, par exemple – et des gouvernements, comprendre comment améliorer le système et aller dans le même sens.

Je terminerai sur la question de l'impact climatique des portefeuilles d'investissement. Le projet sur la transition énergétique pour la croissance verte porte, à l'issue de son examen par votre assemblée la semaine dernière, une disposition qui va contraindre les investisseurs à mesurer l'impact de leur investissement sur le climat, à essayer d'influencer l'allocation d'actifs des investisseurs pour avoir un effet sur le coût et la disponibilité du capital, et donc contribuer au financement de la transition énergétique.

Globalement, ce qui a été voté rend obligatoire une pratique qui avait commencé à être mise en place en 2005 de façon pilote, à la fois en Suisse et en Angleterre. Cette pratique consiste à mesurer les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités indirectement financées par le secteur financier et, in fine, par les épargnants. Les investissements des entreprises, des collectivités locales, voire des particuliers peuvent être concernés.

En 2007, ces expériences pilotes ont été traduites à l'échelle du Groupe Caisse d'Épargne dans un programme qui couvrait tous les produits d'investissements ; une étiquette a été testée pendant un an et diffusée au sein du réseau au consommateur. Cette expérience s'est terminée au moment de la crise financière. À l'époque du Grenelle de l'environnement, il était envisagé de rendre ce type d'étiquette obligatoire. Mais finalement, le projet a été abandonné.

Entre 2007 et il y a à peu près un an et demi, on peut dire qu'il y a eu une sorte de « traversée du désert en matière de pratiques. En revanche, d'assez nombreuses associations environnementales se sont mobilisées pour faire de la pédagogie sur ces questions.

Un reportage, diffusé en prime time sur France 2, a mis l'accent sur le sujet et sur l'impact des banques sur le climat. Cela a mobilisé les leaders d'opinion.

Une autre association, qui est de nos membres, a publié en 2011 un rapport mettant en avant le fait que le contenu en carbone des réserves de pétrole de gaz et de charbon était beaucoup plus important que ce que l'on pouvait rejeter dans l'atmosphère si l'on voulait respecter les objectifs climatiques. L'idée sous-jacente était que, potentiellement, il y avait une sorte de bulle financière liée à l'investissement dans ces actifs, qui éclaterait si les objectifs climatiques étaient mis en place.

Ce rapport a eu un écho certain dans les médias et a contribué, à partir de 2014, à mobiliser les investisseurs sur cette question de l'impact climatique des portefeuilles. De fait, au cours des mois qui viennent de s'écouler, des investisseurs ont annoncé qu'ils allaient « décarboner » leurs portefeuilles à partir des méthodes qui avaient été développées une dizaine d'années plus tôt. Enfin, une loi obligeant les investisseurs français à le faire sur tous leurs portefeuilles a été adoptée.

On en est là aujourd'hui ; quelles sont les prochaines étapes ?

Première étape, le décret d'application, qui doit être publié à la fin de l'année. Les enjeux sont énormes. Le problème est qu'une bonne partie des annonces qui ont été faites reposent sur des méthodes à la fiabilité incertaine : on peut faire des choses qui ont du sens, et d'autres qui n'en n'ont absolument pas. Je vous incite donc à la plus grande vigilance à tous les stades de la rédaction de ce décret d'application.

Deuxième étape, les incitations : une fois que les investisseurs rendront des comptes sur l'impact climatique de leurs portefeuilles, il n'y aura pas de raison spécifique d'améliorer cet impact climatique. Globalement, il est assez peu probable que les épargnants descendent manifester dans la rue en demandant que leur portefeuille soit plus vert. D'où l'importance de la fiscalité.

Nous allons publier le mois prochain, avec France Stratégie, un rapport qui fait le point sur l'efficacité et les objectifs liés à la dépense fiscale sur l'épargne – à peu près 10 milliards d'euros par an. En un mot, est-il techniquement possible de mettre en cohérence les incitations fiscales avec les objectifs climatiques, en s'appuyant notamment sur ces nouvelles obligations d'information ? Je suis à votre disposition pour en discuter après sa parution, si vous le souhaitez.

La troisième étape consiste à mobiliser les partenaires européens. Si les investisseurs réallouent leurs actifs de manière isolée, l'impact sera faible sur les marchés financiers mondiaux. D'assez nombreuses annonces ont été faites lors de la Climate Week de New-York. De nombreuses annonces, très intéressantes et très regardées, ont été faites la semaine dernière à Paris.

Quatrième étape : la tenue du G7 le mois prochain. Nous sommes en train d'y travailler avec le gouvernement allemand. Dans le communiqué final, il sera vraisemblablement fait mention de la question de l'investissement 2° C, et de l'objectif de mobiliser les investisseurs publics sur cette question. Les États-Unis et le Japon n'y sont pas très favorables. Pour l'instant, c'est dans le texte. On verra ce que cela va devenir.

Tout cela nous amène à la COP. Il serait intéressant qu'en parallèle des négociations, les gouvernements fassent des annonces sur cette question de la mobilisation du secteur financier.

Je ferai une dernière remarque de méthodologie. D'une certaine façon, on met la charrue avant les boeufs en imposant des obligations d'information, en incitant certains à s'engager, alors que les méthodes de calcul ne sont pas stabilisées. Nous sommes en train de mener avec la Commission européenne et de nombreux partenaires, venant notamment du secteur financier, un travail visant à définir une méthode scientifique. Il serait également important que, dans les années à venir, les pouvoirs publics se mobilisent pour développer des standards internationaux en la matière, investir dans la recherche, définir les scénarios climatiques et mieux comprendre de quels investissements on a besoin et où. Aujourd'hui, il y a un déficit criant de mobilisation sur ces méthodes et sur la production de données correspondantes.

Enfin, le but – et c'est peut-être le changement qu'apportera cette COP – est de donner au secteur financier un rôle actif dans la mise en oeuvre des objectifs climatiques, au même titre que les secteurs industriels.

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